Contrôleurs aériens : les dessous de l’accord confidentiel qui a évité la grève
Les dizaines de milliers de passagers qui ont vu leurs vols annulés jeudi dernier, en raison de la grève des contrôleurs aériens, trouveront peut-être une certaine consolation dans le fait que ce conflit a abouti à un accord, qui devrait éloigner définitivement la menace d’une nouvelle grève.
La nuit blanche de négociation, de mardi 18 heures à mercredi 8 heures, n’a pas sauvé le programme de vols de jeudi, mais elle aura au moins permis aux contrôleurs aériens et à leurs autorités de contrôle de trouver des pistes d’amélioration. accord, qui semble satisfaire les deux parties.
Le contenu de l’accord non révélé
Pour le ministère des Transports et la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), cet accord évite non seulement trois jours de grève supplémentaires les 9, 10 et 11 mai, mais il ouvre également la voie à une réforme inédite de la navigation aérienne d’ici 2035. Avec à la clé des gains de productivité et de sécurité.
Pour les contrôleurs aériens, l’accord entraînera des augmentations de salaire significatives, des jours de congé supplémentaires et d’autres avantages qui feraient pâlir d’envie la plupart des fonctionnaires. C’est sans doute la raison pour laquelle le ministère des Transports a demandé la plus grande discrétion concernant cet accord dont le contenu n’a pas été rendu public.
Consignes de discrétion au ministère
Malgré les consignes de discrétion, « Les Echos » ont pu prendre connaissance des principaux points de cet accord, qui répond largement aux revendications du principal syndicat des contrôleurs aériens, le SNCTA. Des revendications portant principalement sur la fin de carrière et la rémunération, en contrepartie des gains de productivité attendus. Mais aussi sur des compensations en contrepartie de la généralisation des distributeurs de badges et de pointeuses et de la suppression de la pratique des « habilitations », ces absences incalculables que certains contrôleurs s’autorisent entre eux lorsque la circulation le permet.
Concernant la fin de carrière, le SNCTA a obtenu exactement ce qu’il demandait. A savoir l’accès aux indices de fonction publique les plus élevés (HEA et HEB) pour tous les ingénieurs de contrôle de la navigation aérienne (ICNA). Cela devrait se traduire par une augmentation significative de leurs pensions de retraite, à partir de 59 ans.
Le salaire passe de 226 à 1 000 euros
En matière de rémunération en revanche, la revendication initiale d’une augmentation de 3 000 euros par mois a rapidement disparu des négociations. Le SNCTA a également nié avoir formulé une telle demande. Mais les augmentations de salaire accordées, dont les montants varient selon les catégories de contrôleurs, sont néanmoins conséquentes. Selon nos informations, ils varient de 226 euros net par mois à 1 001 euros.
A cela s’ajoutent des augmentations des bonus, qui représentent la moitié de la rémunération, mais aussi des réductions de cotisations au fonds de pension interne. Ainsi au total, l’augmentation moyenne des rémunérations avoisinerait les 1 500 euros par mois, étalés sur quatre ans, de 2024 à 2027. Mais ce chiffre est sans doute plus élevé pour certains.
18 jours supplémentaires de récupération
Sur le troisième point – la généralisation des distributeurs de badges et des pointeuses – le SNCTA a également obtenu ce qu’il souhaitait. A savoir tout d’abord la possibilité pour l’accompagnateur d’autoriser des « montées » échelonnées et des départs anticipés jusqu’à 3 heures lorsque la circulation le permet, le temps de présence minimum obligatoire étant ainsi réduit à 5 heures (6 en période de tarification).
Mais aussi et surtout, 18 jours supplémentaires de « récupération » pour les contrôleurs en salle et 6 jours pour les contrôleurs « hors salle » (travaillant dans les bureaux), en plus de leurs 39 jours de congés. « En salle, on est sur un cycle de 12 jours, avec 3 jours travaillés puis 3 jours de repos, deux fois de suite », explique un contrôleur. Pour effectuer un quart de travail complet, vous avez besoin de six jours de congé. Les 18 jours obtenus par le SNCTA en échange du blaireau correspondent donc à trois postes.
Compenser la fin des « dégagements »
Toutefois, afin de limiter les absences, huit jours seront déposés sur un compte épargne temps non plafonné, permettant de prendre une retraite anticipée avant 59 ans. Par ailleurs, le CET n’entrera en vigueur qu’une fois les distributeurs de badges installés, entre janvier 2025 et janvier 2026.
Le pari de cet accord repose en fait sur l’idée que l’augmentation du temps de travail attendue grâce à la disparition des « dégagements » fera plus que compenser les jours de repos supplémentaires. Selon un rapport du BEA, à l’origine de la remise en cause de cette pratique, les « dégagements » représentent à eux seuls une réduction du temps de travail de 25 % en moyenne, sur une durée officielle de travail de 32 heures par semaine, pauses comprises.
Le pari de la DGAC
Plus largement, la DGAC estime que les gains générés par son projet de réforme compenseront le coût de cet accord. Car les augmentations de salaire et les jours de congés supplémentaires accompagneront sa mise en œuvre. Outre l’augmentation du temps de travail effectif, cette réorganisation se traduira également par une réduction de moitié du nombre de centres de contrôle en approche, la fermeture d’un quart des tours de contrôle et une augmentation globale des performances. La DGAC s’est notamment fixé pour objectif de réduire les retards d’un million de minutes.
C’est tout l’enjeu pour les compagnies aériennes, qui financent à 100 % le contrôle aérien français et qui devront supporter le coût de la réforme et de cet accord. Les compensations pour les retards et le manque d’optimisation des routes aériennes leur coûtent chaque année des millions d’euros. Les jours de grève sont ruineux. Selon une source proche du dossier, le coût potentiel des trois jours de grève prévus en mai serait potentiellement plus élevé, pour la seule Air France, que celui des concessions faites au SNCTA.
Un résultat encore incertain
Le pari n’est pas encore gagné. Si le SNCTA est majoritaire parmi les contrôleurs, la DGAC devra trouver un accord avec au moins un autre syndicat pour valider son projet de réforme, qui touche d’autres catégories de personnels. Les concessions faites aux contrôleurs aériens susciteraient déjà une certaine grogne interne. Il devra également faire face à l’opposition d’autres syndicats, comme l’UNSA-ICNA, au principe même des machines à badges et des pointeuses, considérées comme une mesure « vexatoire » et inutile.
« Le blaireau ne laissera pas passer un autre avion », assure un contrôleur. Cela ne fera que nous forcer à être présents et à ne rien faire. Quand le trafic l’exige, on est déjà là et personne n’est « autorisé », explique-t-il. Dans un centre comme le mien, il y a très peu de dégagements. J’en suis à 32 heures. Avec les jours de récupération supplémentaires, on va donc travailler moins pour gagner plus. En tant que particulier, je ne vais pas m’en plaindre, mais cela ne rendra pas la navigation aérienne française plus efficace.»