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Contre le coup d’État constitutionnel, la VIe République ?

Coup de force, coup d’Etat constitutionnel, autoritarisme… les qualificatifs ne manquent pas pour dénoncer la décision du président de la République de refuser de nommer un gouvernement de gauche et d’en former un avec LR et le soutien tacite de l’extrême droite. Boris Vallaud, député PS des Landes, Cécile Cukierman, sénatrice PCF de la Loire, Cyrielle Chatelain, députée écologiste de l’Isère, Mathilde Panot, députée FI du Val-de-Marne, et le constitutionnaliste Benjamin Morel en ont débattu à la Fête de l’Humanité.

Emmanuel Macron avait-il le droit de nommer Michel Barnier ? Problème juridique ou crise de régime ?

Benjamin Morel

Constitutionnaliste

Constitutionnellement, il en avait le droit. L’article 8 stipule que le président nomme un Premier ministre. Mais il ne précise pas son profil, ni si le chef de l’État doit tenir compte de la majorité à l’Assemblée nationale. En réalité, c’est la pratique du régime qui est présidentialiste.

En temps « normal », le président détient une majorité parlementaire qui est au garde-à-vous. S’il détient le Palais Bourbon, il détient aussi Matignon. Cette fois, ce n’est pas le cas. Mais il veut toujours se comporter comme s’il était le maître des horloges. La crise actuelle découle de cette situation. En s’accrochant au pouvoir malgré le résultat des élections, Emmanuel Macron crée des troubles dans le régime.

Cécile Cukierman

Sénateur PCF de la Loire

La loi doit nous permettre de vivre ensemble. L’expression politique et populaire des citoyens doit être respectée. Le président de la République peut nommer qui il veut et quand il veut grâce au texte de notre Constitution. Mais en nommant Michel Barnier, qui constitue un gouvernement encore plus à droite, le fossé s’est encore creusé avec les aspirations des femmes et des hommes de notre pays.

Au-delà du débat juridique, nous avons donc un problème politique que la Constitution seule ne résoudra pas. Nous, forces de gauche, devons collectivement le réinventer pour que le pouvoir démocratique des citoyens soit effectif. Ne pas le faire reviendrait à donner le pouvoir à l’extrême droite.

Mathilde Panot

Député FI du Val-de-Marne

Tout le monde comprend qu’il y a un problème avec les institutions du Vet République. Emmanuel Macron les a poussées à leur paroxysme : avec la non-reconnaissance des résultats du 7 juillet, mais aussi avant. Il a utilisé l’article 49.3 à 23 reprises, notamment pour imposer la réforme des retraites malgré les plus grandes manifestations depuis un demi-siècle. Il a aussi utilisé la répression contre les citoyens qui s’exprimaient contre sa politique, je pense notamment aux gilets jaunes.

Nous sommes dans une sorte de Vet République radicalisée. Le Nouveau Front Populaire (NFP) a gagné. Nous nous sommes présentés comme une coalition, avec un programme commun, et nous avons le plus de députés.

En réponse, Emmanuel Macron a battu le record du IVet et le Vet République du gouvernement démissionnaire le plus long. Nous qui sommes pour le VIet République, on dit que l’Assemblée constituante a gagné aux élections législatives.

Boris Vallaud

Député PS des Landes

Le Vet La République est déjà une monarchie républicaine. Avec le macronisme, cette tendance devient une forme d’absolutisme où Emmanuel Macron n’écoute que lui-même. Benjamin Morel souligne que Macron pourrait nommer Michel Barnier, mais c’est confondre le pouvoir de nommer et le pouvoir de choisir.

Le choix appartient aux électeurs, et le NFP est arrivé en tête à l’Assemblée. Si Macron avait conservé quelque chose d’un monarque constitutionnel, il aurait agi comme le roi d’Espagne après les législatives, qui a d’abord appelé le PP à former un gouvernement, puis le PSOE.

Mais il a cherché à prolonger son pouvoir. La réforme des retraites était une injustice sociale et un coup porté à la démocratie. Il a ignoré la rue et les partenaires sociaux. Je prône un régime parlementaire, un VIet Une République qui rééquilibrerait les pouvoirs et renforcerait l’Assemblée nationale. Et on peut aussi mettre le sixième dans le cinquième…

Cyrielle Chatelain

Député des écologistes de l’Isère

Nous pouvons chercher des victoires au sein du Vet République. Avec la représentation proportionnelle par exemple. Avec l’inversion du calendrier, qui donne aujourd’hui encore plus de pouvoir au président de la République en élisant les députés après lui. Mais cela sera largement insuffisant.

Le Vet La République est construite autour d’une seule figure, celle du président. Les partis sont construits pour gagner l’élection présidentielle. En réalité, aucune femme, aucun homme ne peut être assez puissant pour changer le monde à lui seul. Au final, on est toujours déçu. Les gens ne vont plus voter. Et ce qui vient de se passer risque de renforcer le sentiment que voter ne sert plus à rien.

Il faut changer la République pour que chacun se sente représenté. Notre Constitution est datée, elle vient du monde d’avant. Il faut repenser, grâce à une Assemblée constituante, une République qui nous permettra d’avoir les outils dont nous avons besoin en 2024.

Comment mettre en œuvre ce nouveau régime ?

Benjamin Morel Je n’ai aucun tabou sur VIet République. Mais il ne faut pas fétichiser l’ordinal. Il y a trois niveaux de réformes. On peut faire du sixième au cinquième. Passer à la proportionnelle permet déjà de tout changer. Avec le scrutin majoritaire à deux tours et le télescopage des calendriers, le président a une majorité pléthorique. La proportionnelle change tout, mais il y en a mille formes.

La manière dont le RN voit les choses a changé, par exemple : il est favorable à une proportionnelle intégrale, mais avec un bonus majoritaire qui lui permettrait aussi d’avoir la majorité absolue. Le mode de scrutin le moins représentatif que je connaisse est la proportionnelle et il est français : les élections municipales. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas changer la Constitution.

Prenons le cas du référendum d’initiative partagée (RIP) : il a été conçu et construit pour ne jamais être utilisé. Il est assez unique au monde. Il faut réunir 4,9 millions d’électeurs pour pouvoir le lancer, contre 500 000 en Italie. Il suffit de changer cet élément dans notre pays et nous aurons un véritable RIP.

C’est faisable dans le cadre de la Constitution actuelle. Si nous faisons un VIet République, on change la mystique et les bases du régime. On n’en a pas forcément besoin d’un point de vue institutionnel, mais d’un point de vue politique. Si c’est vraiment le symbole d’un changement, on peut passer à la sixième.

Mathilde Panot Ce n’est pas le chiffre de la République qui nous intéresse. Une révolution citoyenne commence par une phase destituante, désengageante. Vient ensuite la phase instituante, où l’on se reconnaît comme peuple, puis la phase constituante, où l’on réécrit ses propres règles du jeu.

C’est précisément ce processus révolutionnaire qui nous intéresse. Nous refusons qu’un comité d’experts se charge de réécrire nos règles du vivre ensemble. C’est au peuple de le faire et de se doter de nouveaux droits.

Cyrielle Chatelain Notre pratique politique est historiquement conflictuelle, sans culture du compromis. Un régime parlementaire n’y changera rien : les débats resteront vifs, même avec des coalitions.

Nous privilégions le collectif et le débat pour représenter tout le monde, ce qui transformera sans doute notre approche. Participer à une coalition implique des concessions : on gagne sur certains points, on perd sur d’autres.

L’absence de compromis n’a pas empêché la régression des droits des travailleurs, ni permis une politique environnementale ambitieuse. Dans une assemblée de coalitions, les batailles culturelles seront essentielles pour que la victoire de la gauche ait un impact.

Quel rôle joue le Sénat dans cette équation parlementaire ?

Cécile Cukierman En politique, rien n’est naturel. J’ai été élu au Sénat en 2011, alors que celui-ci basculait à gauche. Évitons de donner l’impression qu’il existe des institutions qui ne bougeraient pas pour préserver le changement auquel aspire la population.

A gauche, on part d’un postulat : celui de la confiance dans le peuple. Le Parlement, dans sa représentation, dans sa diversité, doit aussi être respecté. Emmanuel Macron est parti d’un autre postulat : il y aurait des institutions qui doivent se protéger des choix du peuple pour continuer à mettre en œuvre des politiques libérales. Que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, cette bataille politique va continuer.

Quelle place donner à la revendication d’une démocratie plus directe ?

Boris Vallaud Dans ma circonscription, le FN est passé de 9% en 2017 à 35,5% en 2023. Il faut repenser nos pratiques politiques, questionner la réalité du pouvoir ressenti par les citoyens sur les décisions qui affectent leur vie. Il faut envisager les comités consultatifs citoyens, le RIP et le RIC pour permettre aux citoyens de mieux maîtriser leur destin. Il faut inventer une démocratie continue, au-delà des simples réunions électorales.

Faut-il passer par une Assemblée constituante ?

Benjamin Morel L’Assemblée constituante est le moyen classique de passer à une nouvelle République, à l’exception du Consulat et de la Cinquièmeet République. En 1958, un gouvernement élabore une Constitution soumise à référendum. Le texte actuel vise à permettre à l’exécutif de contrôler la majorité parlementaire, confondant majorité et stabilité.

Aujourd’hui, cette stabilité est révolue. Pourquoi pas une Assemblée constituante, mais la Ve ?et La République est un IVet L’élaboration d’une nouvelle Constitution comporte des incertitudes sur son interprétation future, comme en 1875, lorsque les constituants imaginèrent la construction d’une monarchie constitutionnelle qui aboutit finalement à une République parlementaire. On sait bien mieux réparer une horloge que construire une nouvelle à partir des mécanismes.

L’exemple chilien a montré qu’une Assemblée constituante n’était pas une garantie d’une Constitution progressiste. En tenez-vous compte ?

Mathilde Panot Les Français éliront une Assemblée constituante. Chacun fera campagne avec ses propositions. Nous proposons une assemblée dont une partie sera tirée au sort et dont les membres ne pourront pas devenir parlementaires par la suite, afin de les empêcher de rédiger eux-mêmes une Constitution.

Nous avons observé avec attention ce qui s’est passé au Chili. L’Assemblée constituante était très progressiste, mais elle a été défaite. Certains de ses membres, qui représentaient des luttes très fortes, manquaient de liens et de relais avec des formes plus organisées d’associations et de syndicats. Ils n’ont pas réussi à conquérir l’ensemble de la société chilienne.

Les luttes doivent irriguer l’Assemblée constituante. Elles sont membres d’un tout, d’un même programme. Les luttes écologiques et sociales sont liées, comme les questions féministes, antiracistes… La France est un projet politique qui doit être déterminé par la souveraineté du peuple autour de la devise « Liberté, égalité, fraternité ».

Cyrielle Chatelain Je n’attends pas que les Français choisissent une nouvelle République comme je le pense. Je ne veux plus du suffrage universel direct pour le Président de la République, mais ce n’est peut-être pas ce que décidera l’Assemblée constituante…

Il faut en outre étendre les pratiques démocratiques bien au-delà des institutions, et notamment dans les entreprises. Les salariés doivent pouvoir décider ou co-décider de leurs pratiques de travail.

Cécile Cukierman Pour sortir de cette crise politique, il faudra toutes les volontés, à tous les niveaux. Je pense notamment aux communes, échelon essentiel de la République, car cela se jouera aussi en proximité.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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