Une déclaration forte, loin d’être une coïncidence du calendrier. Au moment où l’EPR de Flamanville, construit dans la Manche, connaît un énième retard dans sa mise en service, et alors que la Chine vient d’annoncer un programme massif d’investissement dans le nucléaire, la pression monte sur l’énergéticien français EDF, jadis fer de lance du nucléaire mondial.
A tel point que son PDG, Luc Rémont, a dû faire bonne figure devant les patrons français réunis par le Medef, à la rentrée : la durée de construction des centrales devra être réduite, à terme, à moins de six ans, leur a-t-il dit mardi, interrogé sur le programme de relance ordonné par le président Emmanuel Macron. L’objectif : « Le retour à l’échelle industrielle « la construction des réacteurs », a-t-il dit, « et, par là même, l’entreprise EDF au centre du jeu.
Car jusqu’à présent, le bilan est catastrophique : au lieu de cinq ans, la livraison de l’EPR de Flamanville, le tout premier développé sur le territoire, a pris dix-sept ans ! Soit près de trois fois plus de temps que pour les centrales du parc historique, construites entre 1960 et 2002. L’objectif sera donc de revenir, à l’avenir, à « l’éco-responsabilité ». 70 mois pour la construction « , ou un » raccourcissement très significatif par rapport aux dernières réalisations « , a souligné Luc Rémont.
En novembre 2023, il avait déjà déclaré qu’il souhaitait qu’EDF développe « 1 à 1,5 réacteur par an » en Europe dans la prochaine décennie, un rythme qui paraît à première vue incroyable au vu des déboires rencontrés par l’EPR depuis vingt ans, en France comme ailleurs.
« Rupture de charge »
Et pour cause, ces réacteurs de troisième génération, autrefois considérés comme un fleuron technologique franco-allemand, marquent le pas. Globalement, entre l’annulation de projets et la fermeture anticipée de réacteurs en exploitation, comme à Fessenheim en Alsace, la filière traverse une période difficile, malgré la relance du nucléaire annoncée par Emmanuel Macron en février 2022 (avec 6 EPR, plus 8 en option à terme).
Le plan Messmer de 1974, qui avait donné un coup d’accélérateur au déploiement du nucléaire en France, semble en effet bien loin : aucun nouveau réacteur n’a été mis en service depuis 2002. rupture de charge » plus de vingt ans qui a « a considérablement affaibli le secteur « , a lui-même reconnu le chef de l’Etat à Belfort. Et a participé à lui faire perdre des compétences, notamment après l’accident japonais de Fukushima en 2011.
« Nous avons une industrie du BTP qui construisait cinq réacteurs par an dans notre pays il y a une trentaine d’années et à qui on a demandé ensuite de construire un réacteur sur deux décennies », a insisté mardi Luc Rémont.
Effet série
Mais concrètement, comment renouer avec l’âge d’or du nucléaire français ? Comme dans toute industrie, lorsque vous répétez un geste, vous l’accélérez, vous améliorez la qualité de son exécution. « , a répondu le PDG d’EDF devant le patronat. Autrement dit, plus on construira de centrales, mieux on pourra les construire, et plus vite.
D’où le fait qu’EDF espère également relancer les exportations et multiplier les contrats afin de construire une série de modèles. Ainsi, cette période optimisée » ce ne sera pas le cas la première fois « , mais se fera finalement par un effet de série, a précisé Luc Rémont.
Par ailleurs, les EPR2 commandés par l’Etat seront « plus facile et plus rapide » de mettre en place les premiers EPR, dont celui de Flamanville, affirmait déjà en 2022 le syndicat professionnel de l’industrie nucléaire française (Gifen).
« Il n’y a pas d’avancée technologique par rapport à ces derniers, donc pas d’effet de leader de série, puisque les principaux systèmes sont les mêmes. Mais ils offriront un meilleur processus grâce à plusieurs améliorations et retours d’expérience des premiers EPR », soulignait alors le responsable de l’organisation.
En effet, grâce aux études menées par EDF pour simplifier la conception et développer la standardisation, ces EPR2 sont, sur le papier, censés réduire les activités et les temps de montage sur site.
Compétition asiatique
Pour autant, la route s’annonce longue et les défis nombreux. D’autant que l’Asie semble supplanter EDF dans tous les domaines. Le mois dernier, par exemple, le groupe français a perdu face à son concurrent sud-coréen KHNP pour la construction de deux réacteurs en République tchèque. Le pays d’Europe centrale a en effet choisi le géant asiatique, meilleur sur tous les critères évalués « , selon son Premier ministre – un coup dur pour l’électricien français, qui vise avant tout l’Europe pour exporter son savoir-faire.
Mais c’est surtout la Chine qui, une fois de plus, rafle tous les records : alors que l’EPR de Flamanville n’a toujours pas enregistré de fission nucléaire, celui de Taishan, dans le sud de la Chine, fournit déjà de l’électricité à 5 millions de personnes… Alors même que les travaux de l’EPR ont commencé deux ans après ceux du réacteur de Normandie. Surtout, Pékin fait progresser son programme atomique à pas de géant, puisque le gouvernement a approuvé il y a quelques jours la construction de 11 nouveaux réacteurs, portant le total en cours de développement à 36.
Et les objectifs se révèlent pour le moins audacieux, avec un investissement estimé à 28 milliards d’euros (soit 2,5 milliards d’euros par réacteur, contre environ 11 milliards d’euros pour chaque EPR2 français), et des délais annoncés à quatre ans et demi par installation. Autant de promesses impressionnantes, de quoi faire pâlir EDF.
Alors que l’EPR de Flamanville vient d’être achevé avec 12 ans de retard, le mystère demeure sur la date de couplage de l’installation au réseau électrique. Alors que, début juillet 2024, EDF assurait que l’opération de divergence, qui consiste à produire la première fission nucléaire, était « imminent « , c’est-à-dire, a été compté comme » pas en mois, mais en jours ou en semaines « , rien ne s’est encore produit.
À ce jour, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a en effet déclaré que La Tribune n’ayant toujours pas reçu de demande d’autorisation de divergence, confirmant des informations de La chaîne PresseDe son côté, EDF a annoncé que les opérations préliminaires se poursuivaient, sans donner plus de détails sur ces vérifications, et assure que le réacteur démarrera et bien pour injecter de l’électricité dans le réseau d’ici la fin de l’étéUne fois la demande envoyée à l’ASN, celle-ci disposera de 4 jours ouvrables pour répondre.