La crise budgétaire continue de donner le vertige aux comptables de Bercy. Auditionnés cette semaine par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, les ministres Thomas Armand (Économie) et Laurent Saint-Martin (Comptes publics) ont annoncé que le déficit public de la France pourrait dépasser 6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024. Coincé dans une période prolongée crise, la France s’apprête à entrer dans des discussions budgétaires explosives.
Les ministres ont annoncé aux députés que la présentation du budget 2025 devrait avoir lieu « dans la semaine du 9 octobre ». Retardé par la dissolution de l’Assemblée nationale et les négociations pour nommer un nouveau gouvernement, le calendrier budgétaire est particulièrement tendu cette année. Dans ce contexte dégradé, des propositions commencent à surgir dans le débat public.
En prévision du débat au Parlement, des économistes de la Fondation Jean Jaurès, laboratoire d’idées proche des sociaux-démocrates, proposent dans une note consultée par La Tribune, » une augmentation ciblée de la fiscalité » Et « un recentrage des appareils » peu jugé « efficace ». L’ensemble des mesures fiscales proposées pourraient rapporter jusqu’à 55 milliards d’euros en 2025.
ISF vert, droits de succession
A Dès son arrivée à Matignon, le Premier ministre Michel Barnier a ouvert la porte à des hausses d’impôts. Evoquant le principe d’une plus grande « justice fiscale », l’ancien commissaire européen est toutefois resté vague sur ses intentions. Sur les ménages, les auteurs de la note proposent de rétablir l’impôt sur la fortune, supprimé sous Emmanuel Macron, en le renforçant et en mettant en place un ISF vert.
Les économistes suggèrent que « L’assiette du nouvel ISF pourrait notamment inclure le patrimoine professionnel pour les actifs les plus importants, en supprimant ces exonérations au-dessus de 50 millions d’euros. » Par conséquent, « le plafonnement des exonérations pour les actifs inférieurs à 50 millions d’euros garantit que le nouvel ISF n’aura aucun impact sur la fiscalité des dirigeants de PME, start-up et exploitations familiales ». Ces mesures pourraient rapporter jusqu’à 18,5 milliards d’euros aux caisses de l’État.
Les économistes du groupe de réflexion social-démocrate suggèrent également d’introduire un impôt sur les successions (5 milliards d’euros). Dans un rapport dévoilé le 25 septembre, la Cour des comptes a réduit les niches fiscales liées à l’impôt sur la fortune. Dans le viseur se trouvent, entre autres, le Pacte Dutreil et l’assurance-vie. Des dispositifs également visés par l’Inspection générale des finances (IGF) dans leur revue des dépenses dévoilée fin septembre.
Recentrer le crédit d’impôt recherche sur les PME
Concernant les entreprises, les économistes suggèrent de revoir le crédit d’impôt recherche. Réserve des entreprises, ce système est de plus en plus controversé pour son coût pour les finances publiques. » Le crédit d’impôt recherche est la première niche fiscale en France », rappelle Simon-Pierre Sengayrac, co-directeur de l’Observatoire économique à la fondation.
» Malgré de multiples évaluations, des effets d’aubaine subsistent », pointe le professeur de finances publiques à Sciences-Po Paris.
Là aussi, la Cour des comptes a critiqué à plusieurs reprises l’élargissement de cette niche fiscale dans plusieurs rapports. Estimé à 7 milliards d’euros chaque année, le crédit d’impôt recherche a également été récemment évalué par l’Inspection générale des finances. » Concernant les dépenses fiscales, il y a beaucoup de choses à revoir. Le crédit d’impôt recherche et les aides aux entreprises méritent d’être débattus », a déclaré Pierre Moscovici, lors d’une rencontre avec des journalistes économiques cette semaine. Pour limiter son coût, les économistes de la Fondation Jaurès proposent de recentrer le dispositif sur les PME et les start-up en abaissant « le plafond des dépenses (des entreprises) de 100 à 20 millions d’euros et la suppression du taux de CIR de 5% relatif actuellement aux dépenses au-delà de 100 millions d’euros ».
Les aides à l’apprentissage dans le collimateur
L’autre sujet sur la table concerne les aides à l’apprentissage. Depuis le plan de relance de 100 milliards d’euros lancé en 2020, les aides à l’apprentissage se sont envolées pour représenter un coût d’environ 25 milliards d’euros par an, selon une récente note de l’OFCE dévoilée par le La Tribune.
» L’idée de notre proposition est d’exclure les profils ayant bénéficié d’effets d’aubaine et de cibler les aides sur des personnes éloignées de l’emploi ou sur des métiers en pénurie. », déclare Louis-Samuel Pilcer, eprofesseur d’économie et co-auteur de la note. Un meilleur ciblage pourrait apporter un gain substantiel de 8 milliards d’euros aux finances publiques.
Une marge de manœuvre limitée
De la Cour des comptes à l’Inspection générale des finances en passant par l’ONG Oxfam, les propositions fiscales et budgétaires ont fleuri ces dernières semaines. Pressé par la dégradation des finances publiques, le Premier ministre pourrait évoquer sa feuille de route budgétaire lors de son discours de politique générale à l’Assemblée.
Mais la marge de manœuvre budgétaire devrait être limitée au Parlement ou au sein de l’exécutif. Devant la Commission des Finances, les ministres de Bercy ont d’abord rappelé que leur priorité serait d’abord la réduction des dépenses publiques. » Ce n’est qu’en faisant d’abord un effort sur les dépenses publiques que l’on pourra ensuite ouvrir le débat sur l’augmentation des recettes. », a déclaré Laurent Saint-Martin.
Les employeurs prêts à bloquer
Du côté des entreprises, le président du Medef, Patrick Martin, a ouvert la porte à une contribution fiscale, mais en imposant des conditions strictes : « La démonstration que, sur les dépenses publiques excessives, l’État fait des efforts bien supérieurs à ce qu’il demande aux entreprises ».
Alors, que cet effort » n’arrête pas la dynamique d’investissement et de création d’emplois dans une situation économique très fragile « . A Matignon et Bercy, les différents ministres ont rencontré des représentants du patronat qui ont rapidement prévenu le nouvel exécutif d’une éventuelle hausse d’impôts. Une équation budgétaire très difficile pour le nouvel exécutif.
L’option d’un budget rectificatif sur la table pour la fin de l’année
Compte tenu des déficits plus importants que prévu en 2024, le scénario d’un budget rectificatif pour la fin de l’année est actuellement en discussion au gouvernement. En effet, l’exécutif a déjà réduit par décret au printemps 10 milliards d’euros les dépenses de l’État. Pour aller plus loin, il est obligé de passer par une loi correctrice et devant le Parlement.
Sur l’objectif d’atteindre 3% d’ici 2027, de nombreux économistes jugent cette promesse irréaliste. » Il existe un consensus mondial selon lequel revenir à 3 % en 2027 est une stupidité. Ce serait suicidaire », déclare Simon-Pierre Sengayrac. Même son de cloche avec Pierre Moscovici : « Revenir à 3% d’ici 2027 serait stupide ». Un objectif néanmoins répété par l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire juste avant son départ.