Comprendre le problème technique qui a entaché le premier lancement d’Ariane 6

Moment « historique« , « Le retour de l’Europe dans l’espace« , « grand succès»… Le vol inaugural d’Ariane 6, mardi 9 juillet, a été unanimement salué par les acteurs du programme (ESA, CNES, Arianespace et ArianeGroup) ainsi que par de nombreuses personnalités politiques. Réalisé à 21 heures au Centre spatial guyanais de Kourou, le nouveau lanceur a réussi à décoller sans encombre et à placer en orbite les satellites de sa coiffe. L’Europe a retrouvé un accès autonome à l’espace. Cependant, la fin de la mission a été marquée par une anomalie technique qui suscite encore des interrogations. Que s’est-il passé exactement ?

L’incident technique s’est produit alors que la mission d’Ariane 6 était en grande partie achevée. Les premières étapes du lancement, les plus cruciales, se sont déroulées sans encombre : allumage et extinction du moteur de l’étage principal Vulcain 2.1, séparation des deux boosters et de la coiffe, séparation de l’étage supérieur, premier et deuxième allumages du moteur Vinci de l’étage supérieur et, enfin, séparation des « passagers » du lanceur, à savoir les satellites et les expériences. Pour rappel, le moteur Vinci est l’une des principales innovations du lanceur puisqu’il est capable de se rallumer jusqu’à quatre fois et de placer ainsi des satellites sur des orbites différentes.

Ratés d’allumage du moteur auxiliaire d’Ariane 6

L’anomalie s’est produite précisément 1 heure et 14 minutes après le décollage du nouveau lanceur européen. Et concerne un équipement appelé APU (auxiliary power unit), un moteur auxiliaire distinct des autres systèmes de propulsion de la fusée.L’APU a été redémarré, mais s’est arrêté de manière inattendue après quelques secondesont-ils expliqué à l’ESA le lendemain du décollage. Il s’agissait d’un mécanisme automatique dû à l’atteinte d’un seuil de sécurité.» Les raisons de l’interruption de l’APU après son allumage restent inconnues.

L’APU d’Ariane 6 permet de pressuriser les réservoirs d’hydrogène et d’oxygène liquides de l’étage supérieur. Il prépare également le rallumage en vol du moteur Vinci, et fournit un complément de poussée à la demande en orbite. L’interruption de cet équipement a empêché le troisième rallumage du moteur Vinci initialement prévu et a progressivement fait dévier le lanceur de sa trajectoire prévue.La mission s’est poursuivie et les critères pour rallumer le moteur Vinci n’ont pas été remplis, la décision a donc été prise de procéder à la passivation« , précise l’ESA.

La passivation consiste à éliminer la présence d’ergols dans le lanceur. Après l’interruption inopinée de l’APU, les vannes d’Ariane 6 ont ainsi pu être ouvertes pour vider les réservoirs. Mais la fin de la mission n’a pu être menée à bien.Nous n’avons pas ordonné la séparation, les deux derniers passagers n’ont pas été libérés afin de ne pas créer de débris supplémentaires. »détaille l’ESA. De quoi décevoir l’entreprise franco-allemande The Exploration Company et les responsables du projet SpaceCase SC-01 : leurs capsules censées entrer dans l’atmosphère n’ont pas pu être testées.

Aucun impact sur le calendrier

De plus, l’étage supérieur, haut de 8,7 mètres et de 5,45 mètres de diamètre, n’a pas pu pénétrer dans l’atmosphère, où il s’est partiellement désintégré et a fini dans l’océan Pacifique. Que va-t-il advenir de lui ? Selon l’orbite, il pourrait falloir des années pour que le véhicule retombe naturellement sur Terre.Il existe de nombreux autres étages supérieurs qui se sont retrouvés en orbite et qui mettent des années à revenir sur Terre, ce n’est pas une situation unique.a déclaré mardi soir Martin Sion, président exécutif d’ArianeGroup, maître d’ouvrage du projet lanceur. Mais ce qui est vrai, c’est que nous n’avons pas démontré aujourd’hui la capacité de désorbitation du moteur Vinci.»

Pour l’instant, l’ESA assure que l’incident n’a que des conséquences mineures.C’était l’un des scénarios anticipés et Ariane 6 s’est comportée comme prévu.rassure l’agence. Il s’agit d’un vol de qualification inaugural, où les limites ont été repoussées au maximum à des fins de test.« Il ne fait aucun doute que l’analyse des données suite à ce vol, qui s’étendra sur une période d’environ cinq mois, portera en grande partie sur cet incident. Il en va de la flexibilité d’Ariane 6.

« Nous apprendrons beaucoup de ce lancement, car nous n’avons pas pu tester le comportement de l’APU en microgravité au sol.ils justifient à l’ESA. Une fois que nous disposerons de suffisamment de données, nous fournirons des informations supplémentaires.« Si des incertitudes persistent à ce stade, Stéphane Israël nous a assuré immédiatement après le lancement : l’incident n’aura pas d’impact sur le calendrier du lanceur. Le premier vol commercial d’Ariane 6 est toujours prévu pour la fin de l’année.