«Complément d’enquête» apporte de nouvelles preuves sur les dérives du business de l’apprentissage privé – Libération
« À qui profitent les milliards d’apprentissages ? Le magazine d’investigation Complément d’enquête, diffusé ce jeudi 25 avril sur France 2 à 23 heures, apporte une nouvelle preuve du business juteux et insuffisamment maîtrisé que représente aujourd’hui l’alternance. Sur le papier, ce système éducatif (alternance cours et stages en entreprise) est le moyen idéal pour se former et entrer sur le marché du travail. Sauf qu’aujourd’hui, le système est en partie mal utilisé : des milliards d’euros d’aides publiques pour soutenir l’apprentissage remplissent principalement les caisses des actionnaires qui mettent parfois en place de fausses formations. En France, l’enseignement supérieur est un secteur déréglementé, ouvert au lucratif secteur privé : ces dernières années, de grands groupes se sont constitués, attirant les fonds d’investissement.
Nous avons révélé ces dérives dans plusieurs articles. Retour à la genèse : la réforme de la formation professionnelle de 2018 a ouvert grand les vannes des aides publiques en faveur de l’alternance… sans prévoir un système de contrôle robuste. Dans le Complément d’enquête, la journaliste Camille Le Pomellec apporte une nouvelle preuve. Comme ce témoignage éloquent d’un cadre supérieur de Galileo, l’un des leaders mondiaux de l’enseignement privé, qui explique comment l’intérêt financier passe avant l’intérêt éducatif. « Quand un contribuable dépense 8 000 euros pour la formation, 1 600 euros seulement vont à l’éducation », explique-t-il, pièce justificative. Un chiffre contesté par la direction du groupe, mise en cause dans le documentaire, invoquant des coûts structurels (frais généraux, investissement).
« Des dérives inquiétantes »
L’enquête de France 2 révèle également les primes dont bénéficient les membres d’une équipe lorsqu’ils parviennent à convaincre suffisamment de jeunes de revenir suivre une année de formation supplémentaire. Ou encore la relative fiabilité des taux d’intégration sur le marché du travail, un argument de poids pour attirer les étudiants et leurs familles. Face caméra, un responsable d’une école de management du sport se confond dans les chiffres, en réalité bien moins fringants que les 94,9% d’étudiants en poste à la sortie, qui flashent sur la brochure.
L’été dernier, une mission d’enquête parlementaire a été lancée pour faire le point sur l’enseignement supérieur privé, lucratif et en plein essor. « Plus d’un quart des étudiants suivent aujourd’hui leurs études supérieures dans un établissement privé. Et un apprenti post-bac sur quatre achève sa formation dans un établissement privé lucratif. écrivent les deux députées, Béatrice Descamps (Libertés, Indépendants) et Estelle Folest (Modem). Ils ont interrogé 130 personnes, dont Libérer. Leurs conclusions, rendues publiques il y a quelques jours, sont sans appel : outre un problème de « lisibilité et transparence »ils pointent « un problème de contrôle de la qualité éducative » et « des déviations inquiétantes qui démontrent le manque de régulation du lucratif secteur privé et l’insuffisance de protection de l’étudiant-consommateur ».
Le travail minutieux et précis des députés met le ministère de l’Enseignement supérieur en mauvaise posture : le projet de label de qualité, annoncé par le ministre en septembre dernier, apparaît clairement en deçà des enjeux. Les révélations de Complément d’enquête venez, à votre tour, le démontrer.