Commission européenne : Ursula von der Leyen pressentie pour un second mandat par les dirigeants
Fumée blanche à Bruxelles. Jeudi soir au siège du Conseil européen, les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement ont approuvé la sélection des trois personnalités destinées aux plus hautes fonctions, ou « top jobs », de l’UE. La conservatrice allemande Ursula von der Leyen doit briguer un second mandat de présidente de la Commission européenne ; l’ancien Premier ministre socialiste portugais António Costa prend celui du Conseil européen. Enfin, la cheffe sortante du gouvernement estonien, la très anti-Poutine Kaja Kallas (libérale), hérite du gouvernail de la politique étrangère de l’Union. Une première pour une personnalité de l’Est du continent.
Mais l’enjeu de ce sommet ne résidait pas tant dans l’identité de ce trio qui ne laissait en réalité que peu de doutes que dans la réaction de Giorgia Meloni. La présidente du Conseil italien s’est abstenue sur la candidature d’Ursula von der Leyen et a voté contre les deux autres nominations, estimant qu’elle et la droite dure de l’UE qu’elle incarne avaient été injustement écartées de cette décision clé. Cette « proposition est erronée dans la méthode et dans le fond. J’ai décidé de ne pas la soutenir par respect pour les citoyens (…) Nous continuons à travailler pour donner enfin à l’Italie le poids qu’elle mérite en Europe », a-t-elle fulminé sur X à l’issue de la réunion.
En effet, six de ses homologues – dont Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz -, représentant les trois composantes de la coalition centrale renouvelée en Europe entre la droite (PPE), les sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux (Renew), avaient se sont mis d’accord sur ces trois noms mardi. Giorgia Meloni a immédiatement vu rouge : avant sa visite à Bruxelles, elle a attaqué l’UE comme « ce monstre bureaucratique envahisseur ». Et la dirigeante italienne a dénoncé son exclusion « surréaliste » du choix des postes à responsabilité, elle, grande gagnante des élections européennes, qui a triomphé non seulement sur ses terres, mais aussi au niveau de l’Union. ECR, le groupe politique eurosceptique qu’elle dirige, est devenu le 9 juin la troisième force au Parlement de Strasbourg.
Une décision à « majorité qualifiée renforcée »
Giorgia Meloni s’est sentie d’autant plus lésée qu’Olaf Scholz et plus encore Emmanuel Macron ont subi de sévères déceptions. Pourquoi, alors, ses partenaires européens ont-ils contourné le chef du gouvernement italien ? D’abord parce qu’ils le pouvaient : à la table des Vingt-Sept, la décision ne nécessitait pas l’unanimité, mais une « majorité qualifiée renforcée » – le vote de 21 pays représentant 65 % de la population de l’UE. Or, le score était là même sans la voix de Rome, ni celle du populiste hongrois Viktor Orbán qui s’est opposé à deux nominations sur trois. « Cette coalition est fondée sur le mensonge et la tromperie, a déclaré ce dernier en marge du sommet. Ce n’est pas pour cela que les gens ont voté. »
En réalité, l’extrême droite a certes gagné du terrain le 9 juin, mais pas suffisamment pour remettre en cause la « coalition von der Leyen » formée en 2019 (entre centre droit, centre gauche et libéraux donc). Celui-ci dispose toujours d’une majorité d’environ 400 députés sur les 720 que compte le Parlement européen. Il aurait cependant été possible d’élargir cette équipe aux forces de Meloni. Mais cette option constituait une ligne rouge pour les libéraux et les sociaux-démocrates. Cela dit, ses homologues ont tenté d’arranger les choses avec le Premier ministre italien, jeudi à Bruxelles. « Il n’y a pas d’Europe sans l’Italie, et pas de décision sans le Premier ministre Meloni. C’est une évidence pour moi», a par exemple assuré le chef du gouvernement polonais, le conservateur Donald Tusk.
Vote du Parlement en juillet
« L’Italie est un Etat fondateur de l’UE, sa troisième économie : il est essentiel qu’elle se sente à l’aise avec ces décisions importantes » martèle un diplomate au cœur des discussions. Cette opération « câlinothérapie » montre qu’à défaut de faire partie de la coalition centrale, Giorgia Meloni devrait bel et bien être au centre du grand jeu européen post-9 juin. Elle jouera un rôle clé à partir du 18 juillet, date à laquelle le Parlement européen devrait se prononcer sur le nom d’Ursula von der Leyen. Pour obtenir un second mandat, la cheffe de la Commission aura besoin du soutien d’une majorité absolue de 361 députés. Or, quelques dizaines de voix au sein de l’arc central risquent de faire défaut à la conservatrice allemande, comme à celles des LR français qui la méprisent.
Pour couvrir ses arrières, Ursula von der Leyen tente de négocier en coulisses avec Giorgia Meloni, comme elle l’a reconnu, implicitement, lors d’une conférence de presse : en échange du soutien des troupes du dirigeant italien à Strasbourg, un poste stratégique de vice-président pourrait a posteriori être accordé à Rome au sein de la future Commission européenne. Enfin, s’il n’était pas à l’ordre du jour, un autre sujet était dans tous les esprits jeudi : les élections législatives françaises. Chacun sait à Bruxelles que l’issue du vote sera finalement bien plus déterminante pour l’avenir de l’Europe que l’identité du futur président de la Commission, ou même que le contenu de « l’agenda stratégique » de l’Union adopté également jeudi soir : un document fixant les grandes priorités politiques (État de droit, compétitivité, défense européenne, élargissement) pour la période 2024-2029. Une arrivée au pouvoir du RN en France, l’un des États membres les plus influents de l’UE, ferait certainement voler en éclat ce programme.