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Comment une révolte étudiante a plongé le Bangladesh dans trois semaines de violences sanglantes

C’est un pays marqué par trois semaines de violences. Alors que le leader des manifestations étudiantes a appelé à la suspension des manifestations et que l’armée parle d’une situation désormais « sous contrôle »franceinfo revient sur la révolte étudiante au Bangladesh, au cours de laquelle au moins 174 personnes sont mortes et plus de 2.500 ont été arrêtées, selon un décompte établi par l’AFP.

Le système de quotas favorisant les proches du pouvoir suscite des protestations

Les manifestations étudiantes ont commencé début juillet, pour protester contre un système de quotas pour le recrutement dans les emplois du secteur public. Au total, 30 % de ces emplois doivent être réservés aux enfants de « combattants de la liberté », ayant participé à la guerre de libération du Bangladesh contre le Pakistan en 1971. Les étudiants et les jeunes diplômés se mobilisent contre ce système, affirmant qu’il est utilisé pour attribuer des emplois gouvernementaux aux loyalistes du parti au pouvoir, la Ligue Awami, alors qu’environ 18 millions de jeunes sont au chômage au Bangladesh, selon les chiffres du gouvernement.

Après plusieurs jours de blocage des routes, des autoroutes et des voies ferrées, la cheffe du gouvernement, Sheikh Hasina, au pouvoir depuis plus de quinze ans, insiste pour que les étudiants « perdre leur temps » et qu’il n’y avait pas « aucune justification » pour exiger une réforme du système. Sa déclaration ne freine pas la mobilisation des étudiants, qui réclament l’abolition totale des quotas.

Des dizaines de morts en trois jours

Dix jours après le début du mouvement, la police a commencé à utiliser des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. A Dacca, la capitale du pays, les forces de l’ordre ont toutefois été débordées par les milliers de jeunes manifestants, qui ont réussi à démanteler une barricade de policiers et grimpé sur un véhicule de police, selon des images diffusées par la chaîne de télévision locale Jamuna TV.

La situation s’est détériorée le 15 juillet. Selon la police, Plus de 400 personnes ont été blessées dans des affrontements entre manifestants et membres de l’aile étudiante du parti au pouvoir sur le campus universitaire. L’inspecteur de police Bacchu Mia a déclaré à l’AFP que « 297 personnes ont été soignées à l’hôpital universitaire de Dhaka »Pendant ce temps, 111 autres manifestants de l’Université de Jahangirnagar sont soignés dans une clinique du campus et dans un hôpital voisin.

Le 16 juillet, six personnes ont été tuées lors d’affrontements. Trois manifestants, dont « blessures par balle »Un étudiant est mort à Chittagong, a indiqué à l’AFP le directeur de l’hôpital. Deux autres personnes sont mortes à Dhaka, où des groupes d’étudiants rivaux se sont jetés des briques, a précisé Bacchu Mia. A Rangpur, dans le nord du pays, la police a également déclaré qu’un étudiant avait été tué dans des affrontements, sans donner de détails.

Le gouvernement a alors ordonné la fermeture de toutes les écoles et universités et les forces paramilitaires des gardes-frontières du Bangladesh ont été déployées dans cinq grandes villes. A l’université de Dhaka, les funérailles des six morts, organisées par plus de 500 manifestants le 17 juillet, ont été rapidement interrompues par la police anti-émeute.

Le Premier ministre s’est exprimé à la télévision le même jour pour appeler au calme, tout en condamnant « meurtre » manifestants. Elle promet que les responsables seraient punis, quelle que soit leur affiliation politique.

Ce discours n’a eu aucun effet. Les manifestations ont repris le 18 juillet. Au moins 25 personnes ont été tuées et des centaines blessées lors des affrontements, selon un décompte établi par l’AFP à partir de données fournies par les hôpitaux.

À Dhaka, des manifestants ont incendié le siège de BTV, la chaîne de télévision publique du Bangladesh, des dizaines de commissariats de police et d’autres bâtiments gouvernementaux, en scandant « Je ne veux pas être un imbécile ». « À bas le dictateur »Selon la télévision indépendante, des affrontements ont lieu dans au moins 26 des 64 districts du Bangladesh.

Une coupure Internet quasi totale et un couvre-feu de 24 heures

Afin de reprendre le contrôle de la situation, les autorités ont imposé une coupure quasi totale d’Internet dans le pays le 19 juillet. Les rassemblements publics à Dhaka ont également été interdits pendant « assurer la sécurité publique ». Pendant ce temps, des milliers de personnes prennent d’assaut une prison dans le district central de Narsingdi, selon Moushumi Sarker, un haut responsable local. Tard dans la nuit, le gouvernement décrète finalement un couvre-feu de 24 heures et déploie l’armée pour maintenir l’ordre dans les villes.

Malgré cette mesure, des milliers de personnes sont revenues manifester dans les rues à partir du 20 juillet. Des affrontements, à balles réelles, ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants, constate un journaliste de l’AFP. Le bilan du nombre de personnes tuées dans les manifestations s’élève à 133, selon le comptage réalisé à l’époque par l’agence de presse française.

La Cour suprême se prononce contre le système de quotas

Face à la situation du pays, la Cour suprême, saisie concernant le système de quotas, avance sa décision. Dans sa décision, dévoilée dimanche, elle réduit drastiquement le nombre d’emplois publics réservés aux enfants de « combattants de la liberté », le ramenant de 30% à 5%. Par ailleurs, 1% des postes sont réservés aux communautés tribales et 1% aux personnes handicapées ou s’identifiant à un troisième sexe selon la loi bangladaise. Les 93% des postes restants sont désormais attribués au mérite, a statué la Cour.

Malgré cette annonce, le principal groupe étudiant à l’origine des manifestations, Students Against Discrimination, a décidé de poursuivre le mouvement. Suite au durcissement de la répression policière, des dizaines de milliers de jeunes Bangladais réclament désormais la démission de Sheikh Hasina. Le bilan s’élève à 155 morts dimanche, dont plusieurs policiers, selon le nouveau bilan de l’AFP.

Le leader du mouvement étudiant appelle à la suspension des manifestations

L’armée a déclaré lundi que l’ordre avait été rétabli. De son côté, le chef des Étudiants contre la discrimination, Nahid Islam appelle à « Suspendre « Manifestations de 48 heures »demander au gouvernement « de lever le couvre-feu pendant cette période, de rétablir l’accès à Internet et de cesser d’attaquer les étudiants manifestants »Le gouvernement a assuré mardi que l’internet à haut débit serait rétabli jeudi.

« Nous ne voulions pas d’une réforme des quotas au prix de tant de sang, de tant de meurtres, de tant de dégâts », assurer Nahid Islam Le leader des manifestations étudiantes au Bangladesh affirme avoir été arrêté et battu par la police jusqu’à perdre connaissance, et s’être réveillé le lendemain sur le bord d’une route à Dacca. « Nous qui coordonnons le mouvement craignons pour nos vies. Plusieurs de mes collègues ont disparu »a-t-il expliqué à l’AFP. Le mouvement a décidé mardi de prolonger de 48 heures la suspension des manifestations.

Plusieurs membres du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), principal parti d’opposition, ont également été arrêtés, selon le porte-parole de la police. Au total, 2 580 personnes ont été arrêtées, Selon un nouveau décompte de l’AFP mardi, 174 personnes sont mortes durant ces trois semaines de violences, dont des policiers.

Les corps des défunts bloqués à l’hôpital

Les familles tentent désormais de récupérer les corps des défunts pour les enterrer le plus rapidement possible,Mais le personnel du plus grand hôpital de Dhaka ne peut pas remettre les corps des défunts à leurs proches sans l’autorisation de la police.Les familles sont invitées à se rendre dans un commissariat proche de l’hôpital, mais ceux-ci sont actuellement détruits ou barricadés, après que des dizaines d’incendies ont visé des commissariats les jours précédents, selon un journaliste de l’AFP sur place.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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