Bien que le terme de « cohabitation » ne soit pas utilisé par le nouveau chef du gouvernement ni par le président de la République, l’Elysée évoque « une coexistence exigeante » pour définir la période qui s’ouvre.
« L’une des premières questions que nous lui avons posées était : quel genre de Premier ministre entend-il être ? » Devant la presse réunie près de l’Hôtel de Matignon, Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, entouré de son homologue à l’Assemblée, Laurent Wauquiez et du président du Sénat, Gérard Larcher, ont détaillé, vendredi 6 septembre, leur rencontre avec Michel Barnier, nommé la veille. « Est-ce que ce sera un Premier ministre collaborationniste, auquel cas ce sera sans nous, ou est-ce que ce sera un Premier ministre à part entière ? »a poursuivi l’homme politique vendéen.
Bruno Retailleau n’est pas le seul à se poser cette question. Quelle sera la relation entre les deux chefs de l’exécutif ? De quelle marge de manœuvre disposera Michel Barnier ? Après 51 jours de tergiversations et de multiples consultations, l’ancien ministre et négociateur en chef du Brexit, mais aussi figure des Républicains, s’est imposé aux yeux d’Emmanuel Macron. Pour autant, la période qui s’ouvre n’est pas une cohabitation au sens strict, comme l’a connue la France en 1986, 1993 et 1997 avec une opposition qui avait remporté les élections et disposait de la majorité absolue au Palais-Bourbon. « J’ai connu des cohabitations, en tout cas une cohabitation dont j’étais l’un des ministres (en 1993, dans le gouvernement d’Edouard Balladur). Nous ne sommes pas dans cette situation », a confirmé Michel Barnier vendredi soir sur TF1.
Face à une Assemblée nationale divisée en trois blocs, le Savoyard de 73 ans va devoir composer et inventer une nouvelle façon de travailler avec le président de la République. L’ancien ministre ne bénéficie pas, pour l’instant, du soutien total de sa famille politique ni du soutien automatique du camp présidentiel. Il s’agit de« exiger une coopération »L’entourage d’Emmanuel Macron a déclaré à franceinfo, qui a également mentionné à l’AFP que « exigeant la coexistence« . « C’est un terme qui peut convenir »L’entourage du Premier ministre l’a assuré à franceinfo.
« Il a été choisi pour ses qualités de négociateur. Il agira donc avec méthode, écoute, dialogue, ouverture et surtout détermination. »ajoute la même source. Michel Barnier sera « très respectueux des institutions »assure le député LR Patrick Hetzel. « Il exercera les prérogatives de chef du gouvernement telles que définies par la Constitution »ajoute ce parlementaire qui l’a soutenu lors de la primaire de la droite pour l’élection présidentielle de 2021.
L’article 20 de la Loi fondamentale dispose que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Assisterons-nous alors à une lecture plus littérale de la Constitution ?« Nous sommes dans une ère nouvelle. (…) Un gouvernement responsable et indépendant, promis Michel Barnier sur TF1. Le gouvernement gouvernera et je le ferai en bonne entente avec le Président de la République. Et le nouveau Premier ministre a martelé la formule consacrée : « Le président doit présider, le gouvernement doit gouverner. »
« Ce sera le gouvernement de Michel Barnier », insiste Brigitte Kuster, ancienne députée LR et très proche du nouveau locataire de Matignon. « Il aura carte blanche »elle assure.
« C’est une personnalité forte qui ne se laisse pas avoir, tout en étant respectueuse. Il a le sens de l’État et n’aime pas le conflit et la confrontation. »
Brigitte Kuster, ancienne députée, proche de Michel Barnierà franceinfo
Après avoir longtemps refusé une coalition avec le président, le parti dont est issu le Premier ministre pourrait bien changer d’avis et se laisser convaincre. « Il est évident que certains d’entre nous seront au gouvernement et ce sera notre façon d’avoir un impact. »assure un parlementaire LR proche de Michel Barnier. « Techniquement, c’est une cohabitation, mais on imagine mal Michel Barnier tenir tête à Macron et taper du poing sur la table. »en revanche, estime auprès de France Télévisions un membre du parti Les Républicains.
Dans le même temps, le parti présidentiel assure qu’il n’y aura pas « Pas de censure automatique » mais non « chèque en blanc » pour Michel Barnier. « Il n’y aura aucune volonté de blocage ou de soutien inconditionnel de notre part. »a écrit aux députés Renaissance Gabriel Attal, le chef du groupe, après sa rencontre avec le chef du gouvernement vendredi matin. « C’est un Premier ministre qui n’est pas du côté du président, donc normalement, on appelle ça la cohabitation.observe le député Renaissance Ludovic Mendes. Ou alors on verra s’il y a une coalition et si Michel Barnier est quelqu’un qui se met au-dessus des partis. »
Le nombre de personnalités issues du bloc central ainsi que leur profil au sein du futur gouvernement seront ainsi scrutés.La couleur du prochain gouvernement donnera une indication claire de l’équilibre des pouvoirs au sein de l’exécutif. Interrogé par son camp vendredi matin, Michel Barnier a tenu à les rassurer. « « J’ai une certaine liberté de manœuvre que je veux utiliser. »Il leur a dit, selon des sources concordantes à France Télévisions. L’entourage du président s’est également exprimé auprès de franceinfo sur la « La liberté du Premier ministre »évoquant par exemple la fin d’un représentant de l’Elysée lors des réunions interministérielles à Matignon.
Emmanuel Macron, souvent décrit comme un chef d’État qui s’occupe de tout, va-t-il moins intervenir dans la conduite de la politique de la nation ? « Le président a pris de nombreux engagements pour que le Premier ministre ne soit pas censuré. Logiquement, il doit maintenant céder du terrain pour ne pas être responsable de tout », a-t-il ajouté. prône un député de la Renaissance. « « Etant donné la situation politique, l’impulsion que pourrait donner le président sur les réformes à mener sera forcément moindre, et la latitude du Premier ministre plus grande »observe Marc Ferracci, député Renaissance et proche d’Emmanuel Macron.
D’autres aimeraient également voir l’ancien commissaire européen jouer le rôle de pare-feu. « Il appartient désormais au Premier ministre de protéger le président en trouvant des alliances au Parlement »assure le député Renaissance Mathieu Lefèvre. Mais, en coulisses, certains ont des doutes, sachant comment Emmanuel Macron a opéré pendant sept ans. « Le président a clairement voulu se désengager. Cela dit, je ne le vois pas lâcher complètement prise s’il voit que la politique menée est très divergente de la sienne », a-t-il ajouté. note un ancien conseiller de l’exécutif.
Mais la ligne de Michel Barnier, qui ne remettra pas en cause la réforme des retraites, sera-t-elle si différente de celle du chef de l’Etat ? « Je vois un duo équilibré compte tenu de l’expérience nationale et européenne du Premier ministre (…) et efficace puisque les deux lignes politiques ne sont pas en opposition frontale »juge le député Renaissance François Cormier-Bouligeon. « Michel Barnier est suffisamment proche idéologiquement pour ne pas détricoter le dossier »note le politologue Benjamin Morel.
« Si Emmanuel Macron veut trop imposer ses vues, il sera une force déstabilisatrice, je pense qu’il l’a compris. Le président se concentrera sur ses domaines de prédilection comme la diplomatie ou la défense. »
Benjamin Morel, politologueà franceinfo
Pour ce spécialiste de la Constitution, «Le vrai patron de Michel Barnier sera le Palais-Bourbon, avec le RN à gérer mais aussi Gabriel Attal et Edouard Philippe qui deviennent ses problèmes ». Pour un ancien conseiller d’Emmanuel Macron, L’équation très complexe de l’Assemblée nationale relèguerait presque au second plan la question des relations futures du duo exécutif : « Je ne peux pas pas d’imaginer combien de temps ce Premier ministre peut tenir sans censure. »