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Comment lutter contre l’addiction aux écrans chez les jeunes (et les adultes) : les conseils d’un addictologue palois

Comment lutter contre l’addiction aux écrans chez les jeunes (et les adultes) : les conseils d’un addictologue palois

Médecin psychiatre, pédopsychiatre et addictologue au centre hospitalier des Pyrénées, le Dr Pierre-Emmanuel Rozier s’intéresse à la question de l’addiction aux écrans. Avec l’université de Bordeaux, le CHP et la mairie de Pau, il est à l’origine de la vaste étude du CNRS sur les écrans qui a été lancée à Pau, mais aussi au-delà sur l’usage des écrans. Il y parle du rapport des jeunes aux écrans, mais aussi de celui des adultes, qui doivent questionner leurs propres pratiques. Éclairant.

Qu’est-ce qu’une addiction pour le praticien que vous êtes ?

La toxicomanie est une maladie neurologique chronique…

Médecin psychiatre, pédopsychiatre et addictologue au centre hospitalier des Pyrénées, le Dr Pierre-Emmanuel Rozier s’intéresse à la question de l’addiction aux écrans. Avec l’université de Bordeaux, le CHP et la mairie de Pau, il est à l’origine de la vaste étude du CNRS sur les écrans qui a été lancée à Pau, mais aussi au-delà sur l’usage des écrans. Il y parle du rapport des jeunes aux écrans, mais aussi de celui des adultes, qui doivent questionner leurs propres pratiques. Éclairant.

Qu’est-ce qu’une addiction pour vous en tant que praticien ?

Une addiction est une maladie neurologique chronique à expression psychiatrique. L’addiction est la perte de contrôle. Le problème de l’addiction n’est pas de ne pas pouvoir s’arrêter, c’est de ne pas pouvoir recommencer. C’est une maladie complexe, que l’on connaît de mieux en mieux. L’addiction n’est pas la conséquence des choses. L’alcoologie s’est intéressée aux conséquences de l’alcool, ou la tabacologie à celles du tabac sur le patient. L’addictologie s’intéresse à la question du « craving ». Comment le patient, lorsqu’il n’en a pas envie, fait-il quelque chose, de manière répétée, invisible, sans son plein consentement, qui lui donne cette impression de ne pas y parvenir ?

Peut-on parler scientifiquement d’addiction aux écrans ?

On connaît les critères des addictions aux substances ou des addictions comportementales depuis les années 1990. Pour l’addiction aux écrans, telle qu’elle est apparue récemment, on n’a pas assez de recul. On sait depuis 2020 que l’addiction aux jeux vidéo existe et elle est reconnue à l’échelle internationale. Mais sur l’addiction aux écrans, il faut se demander ce qu’il y a derrière. L’addiction à l’alcool n’est pas une addiction au verre, c’est une addiction à la fonction, au produit. Il faut donc étudier ce qui la rend addictive. Est-ce le jeu en ligne ? Est-ce le shopping compulsif ? Les réseaux sociaux ? La surconsommation d’informations ou de pornographie ? Est-ce le « binge-watching » (regarder des séries de manière compulsive) ? Tous ces éléments forment malgré tout des réalités d’usages quotidiens dans lesquelles tombent certaines personnes.

Vous traitez des jeunes ou des personnes accros aux écrans ?

Je suis praticienne hospitalière en addictologie, donc je vois des patients qui ont des troubles de consommation de substances principalement, puisque c’est ce qui est reconnu et remboursé par nos autorités. La dépendance aux jeux vidéo en tant que telle, sans problèmes de substances, n’est pas reconnue ni traitée. Mais on a des jeunes ou des jeunes adultes partout qui souffrent de sevrage avec un surinvestissement dans les jeux vidéo, par exemple. Maintenant, ce qu’on voit principalement, c’est une patientèle d’enfants, d’adolescents ou d’adultes, qui sont accros à leur téléphone, et qui vont avoir de la difficulté à moduler ça. Or, en hospitalisant actuellement des patients avec une dépendance aux écrans au CHP, on n’en est pas là. On voit surtout une surutilisation des écrans.

Le public jeune est-il le plus exposé ?

Il y a une réalité chez les enfants, c’est que lorsqu’on les laisse utiliser un produit trop tôt, trop fort, il y a des risques et des conséquences très tôt. Le principal problème pour les enfants, c’est la surexposition à un produit. Il faut savoir qu’un iPhone de bonne qualité, c’est l’équivalent de la technologie de la première fusée Ariane qui tient dans la poche.

Peut-on définir et combattre l’addiction aux écrans ?

Pas encore défini car on n’a pas assez de recul scientifique et c’est le but de notre projet écrans avec le CNRS. Dans quelques temps ce sera le cas. Les éléments que l’on identifie aujourd’hui suggèrent clairement qu’il y a un pouvoir addictif important des réseaux sociaux. Notamment chez les adolescents qui ont besoin de connexions sociales. Cet outil, le smartphone, que l’on a tout le temps, qui nous réveille le matin, nous rappelle notre agenda dans la journée, qui nous permet de correspondre avec nos proches, qui sert à écouter de la musique… Tous ces éléments là provoquent en permanence une hyperexposition. Donc on verra avec la science, avec l’expérience, mais potentiellement, oui on peut parler d’addiction aux écrans. Comme pour tout produit, comme pour tout objet de gratification, le plus important c’est d’avoir le mode d’emploi. Le mode d’emploi quand on boit de l’alcool c’est de ne pas trop consommer en très peu de temps sans avoir mangé, puis de conduire après. Ce sont des règles sociales qui ont été établies par l’expérience.

Quelles règles peuvent être recommandées pour l’utilisation des smartphones ?

Des règles que l’on met en place en famille, à la maison, que l’on organise, que l’on essaie de respecter en tant qu’adulte, car c’est bien de dire aux enfants de ne pas faire quelque chose, mais de leur montrer l’exemple, ce qui est parfois beaucoup plus compliqué. L’enjeu est de pouvoir repositionner l’objet dans notre quotidien sans le stigmatiser ou le diaboliser. Le but n’est pas de dire que tout est de la faute de l’écran, mais de mettre en place des règles que l’on pourra continuer, soutenir, et réévaluer par la suite.

Et il s’agit aussi de penser aux écrans adaptés aux âges de la vie. C’est-à-dire qu’aujourd’hui on voit le problème de la pornographie et la diffusion massive de la pornographie chez les jeunes. Il faut réfléchir à comment avoir un usage responsable du numérique pour transmettre aux plus jeunes.

Vous n’êtes pas favorable à l’interdiction des écrans avant un certain âge ?

Pas du tout. On voit les effets de la prohibition du cannabis aux États-Unis ou en France. Un smartphone est un outil utile et puissant. Ceux qui ont connu le MP3 savent que Spotify ou n’importe quel hébergeur permet de découvrir facilement de nombreux morceaux de musique. C’est un outil très utile qui permet de faire beaucoup de choses. Le problème d’un outil aussi puissant pour les enfants ou les adolescents, c’est qu’il ne faut pas l’avoir en main avec toutes ces fonctionnalités. L’infini est derrière tous les usages.

Alors non, pas d’interdiction à mes yeux, mais un accompagnement pour réduire les risques et les dégâts, quel que soit le produit, quel que soit le comportement. Il faut pouvoir faire de la psychoéducation, de la prévention, mener des campagnes de sensibilisation. Et bien sûr, mener des études qui permettent d’objectiver les réalités scientifiques au-delà du débat d’opinion, des idées reçues, des idées reçues. Il s’agit d’aider et d’accompagner les plus vulnérables dans le bon usage d’un outil.

Existe-t-il des structures à Pau pour accompagner les jeunes dans ce type de cas ?

Le plus important, si on peut déjà identifier un problème, c’est de consulter ou de contacter quelqu’un ou d’en parler. Il existe des centres de soins et d’accompagnement en prévention et en addiction, les CSAPA, comme à Pau et partout en France, qui assurent un accompagnement des plus jeunes ou des adultes. L’hôpital peut aussi être un lieu, mais il est là pour les cas graves qui sont vraiment associés à un besoin de prise en charge médicale. Nous soutenons déjà la réflexion des enfants et des adolescents sur ces questions. On peut aussi s’informer via les chaînes YouTube, les Psy du Soleil du CHU de Marseille par exemple.

Une grande étude lancée sur Pau

Le Projet Ecrans a été lancé à Pau en mai dernier à l’occasion des Dix jours sans écrans qui ont mobilisé de nombreux écoliers palois. Il s’agit d’un questionnaire établi sous l’égide du CNRS et du laboratoire SANPSY de l’Université de Bordeaux, afin de recueillir des informations sur l’impact des écrans dans la vie quotidienne. Le questionnaire, qui n’est pas réservé uniquement aux Palois, a reçu le soutien de la Ville de Pau qui a largement diffusé un lien vers les questions via les services de la vie scolaire, en lien avec la MJC et va lancer une campagne de communication. Plus il y aura de réponses, plus l’étude tirée de ce questionnaire sera pertinente. « La question de l’addiction aux écrans m’intéresse depuis longtemps en tant que parent et élu », explique Thibault Chenevière, adjoint au numérique qui a soutenu la création de cette étude à Pau, une précédente étude ayant eu lieu en Gironde mais dans une commune moins peuplée que Pau. Simple et pratique, le questionnaire est toujours en ligne, il est également accessible via un QR Code. L’étude court jusqu’au printemps 2025.

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