comment l’Insee a pris de court le gouvernement, qui pourrait se priver de meilleures recettes fiscales
Dans son budget 2025, le gouvernement tablait sur une inflation de 2 % pour calculer ses tranches d’imposition. Mais ce sera finalement moindre selon l’Insee, ce qui revient à accorder de petits cadeaux fiscaux à certains contribuables.
Y aurait-il des problèmes de communication entre l’État et l’Insee ? Alors que ce jeudi, le Budget 2025 a été dévoilé par l’exécutif, l’Institut National de la Statistique a publié de nouvelles estimations d’inflation pour 2024. Or, l’évolution des prix est essentielle pour construire le Budget et notamment pour sa partie fiscale.
Le barème de l’impôt sur le revenu est composé de cinq tranches dont la valeur évolue chaque année en fonction du niveau d’inflation et donc de l’évolution anticipée des salaires. Dans le barème présenté ce jeudi 10 octobre, la première tranche à 0% monte à 11 520 euros de revenus contre 11 294 euros cette année. Le second à 11% à 29.373 euros contre 28.797 euros. Chaque borne est ainsi majorée de 2%.
Concrètement, cela signifie que sans changement de barème, un foyer fiscal qui verrait ses revenus passer de 28 000 à 29 000 euros en 2025 changerait de tranche et serait donc davantage imposé. Et ce, alors que l’évolution des salaires ne ferait que suivre celle des prix. Le changement de barème permet donc de neutraliser l’effet de l’inflation et donc d’annuler cette obligation fiscale supplémentaire.
L’Insee modifie son estimation de l’inflation
C’est ainsi que, côté Bercy, nous avons confirmé la revalorisation de 2 % des tranches du barème de l’impôt sur le revenu afin de « protéger le pouvoir d’achat des Français ». Une mesure qui « permet d’éviter que près de 530 000 ménages ne tombent dans le champ de l’impôt sur le revenu. Elle protège les Français d’une hausse de la fiscalité liée à l’inflation », indique ce texte. Cela représentera un manque à gagner de 3,7 milliards d’euros pour l’Etat, selon le projet de budget présenté jeudi.
Une évolution conforme à l’estimation de l’inflation réalisée par l’Insee en juillet et qui était de 2,1% (hors tabac) sur l’année. La légère différence de 0,1 point a même permis d’avoir de meilleures recettes fiscales et donc d’augmenter légèrement l’impôt.
Mais ce jeudi, il y a eu un rebondissement. L’Insee publie un nouveau rapport de conjoncture dans lequel il estime que l’inflation sera à terme de 1,8% sur l’année (hors tabac) et que l’évolution du pouvoir d’achat des Français sera également de 1,8%. Des prévisions plutôt meilleures que prévu pour l’économie française mais qui embarrassent le gouvernement.
La revalorisation des tranches d’imposition s’avère finalement plus forte que l’inflation de 0,2 point. Ce qui revient donc à faire un (petit) cadeau fiscal aux contribuables. Un certain nombre d’entre eux qui auraient dû modifier leur tranche supérieure d’imposition seront protégés par le nouveau barème.
En soi, cela ne changera pas les grands équilibres budgétaires puisque le déficit ne s’élèvera qu’à quelques dizaines (ou au pire une centaine) de millions d’euros.
Le gouvernement pensait faire le contraire
Mais c’est assez paradoxal puisque le gouvernement court après chaque euro de dépenses publiques et qu’il envisageait en septembre de faire l’inverse, c’est-à-dire geler le barème. Une technique utilisée au début des années 2010 pour augmenter les impôts sans modifier les taux d’imposition.
En ne modifiant pas les limites des tranches d’imposition au rythme de l’inflation, on fait rentrer les Français dans l’impôt ou on impose plus de contribuables qui gagnent plus d’une année sur l’autre. Le gain estimé cette année d’une telle mesure aurait été de 4 milliards d’euros.
Ce gel du barème fait partie des mesures prises en 2011 par le gouvernement Fillon pour redresser les comptes publics. 400 000 Français non imposables étaient alors assujettis à l’impôt.
Il ne faut cependant pas se réjouir trop vite. Le texte du Budget fera l’objet de débats parlementaires et des amendements pourraient supprimer le « cadeau fiscal » en modifiant les limites des tranches d’imposition pour qu’elles collent à la nouvelle estimation de l’inflation.