comment l’immigration est devenue le thème numéro un
Comment un seul thème peut-il avoir autant de poids dans les résultats électoraux ? Si l’on en croit la dernière étude Ipsos sur les déterminants du vote aux élections européennes, l’immigration apparaît comme le sujet majeur pour 23% des Français, devant le pouvoir d’achat, cité en priorité par 18% des personnes interrogées. Et 43% le citent parmi les trois matières qui ont le plus compté dans leur choix, derrière le pouvoir d’achat (45%) cette fois. En 2019, l’immigration était certes déjà une des préoccupations essentielles des Français, mais à un niveau moindre puisque 38% des sondés citent en premier le pouvoir d’achat et l’environnement, devant la place de la France dans le monde. (32%), à égalité avec l’immigration.
Alors pourquoi l’immigration semble-t-elle compter de plus en plus comme critère de choix électoral ? Si la prééminence du sujet dans les débats est loin de concerner uniquement notre pays, en France des éléments structurels peuvent éclairer cette préoccupation. Premièrement, la France est le plus ancien pays d’immigration d’Europe. Avec des arrivées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le sujet occupe depuis longtemps une place importante dans le paysage. Le phénomène s’est depuis étendu à ses voisins européens : avec 12,8 % de sa population née à l’étranger, la France se situe dans la moyenne des pays de l’Union européenne (12,4 %).
Mais du fait de cette immigration plus ancienne, près d’un quart de la population française a désormais un parent ou un grand-parent issu de l’immigration, ce qui ajoute la question de l’intégration des immigrés de deuxième génération à celle des nouveaux arrivants. Spécialement depuis « cette question de l’immigration renvoie à des questions plus implicites qui portent sur la diversité culturelle et la manière dont on la gère, par exemple avec toutes les questions liées à la laïcité »explique Hélène Thiollet, chargée de recherche au CNRS.
Par ailleurs, ce qui distingue aussi la France, c’est la permanence depuis les années 1970 d’un acteur politique, le Front National devenu Rassemblement National, qui fait de l’immigration un sujet problématique. « En 1972, lors de la création du FN, Jean-Marie Le Pen fut le premier à présenter l’immigration comme une menace pour la France, explique Jérôme Valette, chercheur au Centre de prospective et d’information internationale. Mais, à partir du moment où le FN obtient ses premiers succès électoraux, le sujet contamine les autres partis. On constate que, dans les années 1990, 100 % des candidats aux législatives du FN en parlaient dans leur profession de foi mais aussi 60 % des candidats de droite. »
« Bruit de fond permanent »
Malgré cela, note Jean-Daniel Lévy, directeur adjoint chez Harris Interactive, « Parmi les électeurs, le sujet reste très divisé politiquement. Les électeurs de gauche considèrent toujours ce sujet comme un sujet peu prioritaire, alors qu’au contraire, ceux de droite et d’extrême droite en font un sujet déterminant.» À mesure que le nombre d’électeurs RN augmente, y compris dans les territoires et les catégories sociales où ils étaient auparavant peu représentés, le sujet progresse mécaniquement.
Néanmoins, « Ce que nous montrent les études sur le long terme, c’est que, paradoxalement, on n’observe pas d’hostilité croissante à l’égard de l’immigration dans la société, observe Hélène Thiollet, chargée de recherche au CNRS. En revanche, on constate que certains événements exploités conduisent parfois à une forte polarisation de l’opinion publique.» Et ils ont été nombreux ces dernières années. Ainsi, les attentats de 2013 à 2018, la hausse des arrivées de migrants depuis 2015, l’assassinat de la petite Lola ou du professeur Dominique Bernard, les émeutes suite à la mort du jeune Nahel, la loi sur l’immigration furent autant de séquences défavorables à apaiser les débats autour de l’immigration. De sorte que « cela peut contribuer à créer un bruit de fond permanent défavorable à l’immigration, qui peut être activé en quasi-permanence par certains acteurs politiques »poursuit Hélène Thiollet.
À cela s’ajoute le fait que « L’immigration complète parfois un certain nombre d’autres sujets problématiques, note Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de l’institut BVA. La montée du vote RN est indissociable d’un certain malaise social motivé par la peur d’un déclassement social. Les gens ont le sentiment qu’il est de plus en plus difficile de passer le mois et que l’État les abandonne. Dans ce contexte, ils peuvent avoir l’impression que trop d’argent est dépensé pour les immigrés et pas assez pour résoudre leurs problèmes. L’immigration apparaît donc comme un bouc émissaire tout fait.».