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comment les chercheurs gèrent « l’inertie politique » autour des questions climatiques

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Un globe prend feu, lors d'une manifestation du mouvement écologiste Extinction Rebellion, le 10 juillet 2021 à Paris.  (IMAGES SOPA / LIGHTROCKET)

La lutte contre le réchauffement climatique est peu présente dans la campagne européenne. Mais le manque de considération politique ne date pas de ce scrutin. Et cela affecte la vie des nombreux scientifiques qui travaillent sur le sujet.

Le paradoxe de la lutte contre le changement climatique : les rapports du GIEC s’accumulent, mais l’action politique n’est pas à la hauteur. Et l’écologie semble avoir peu de voix dans la campagne électorale européenne. C’est le constat que font de nombreux chercheurs, qui produisent des données précieuses pour orienter les gouvernements. Cette incapacité à se faire entendre se répercute sur leur travail, voire sur leur vie personnelle, et chacun tente, à son niveau, de trouver une manière de répondre à l’urgence climatique.

« On a encore l’impression que ce qu’on fait ne sert à rien », fustige Gonéri Le Cozannet. Ce géographe, spécialiste des risques côtiers et du changement climatique, a pourtant co-écrit le sixième rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Mais il n’a pas observé depuis de véritable tournant politique. « On nous demande de trouver des solutions pour nous adapter au réchauffement climatique, on les cherche, on les trouve, et finalement on n’en veut pas ».il soupire. Et en même temps, nous savons très bien qu’en ne le faisant pas, nous nous dirigeons vers un mur. »

« Au niveau des décisions politiques, j’ai le sentiment qu’on cherche plus à se défendre contre les échecs qu’à avancer », ajoute le chercheur, citant l’exemple des mesures gouvernementales postérieures au mouvement paysan. Sur le climat, il y a certes des réductions des émissions de gaz à effet de serre, mais elles sont encore très lentes et on voit bien qu’il n’y a pas de transformation structurelle, par exemple dans le domaine des transports ou de l’agriculture, qui permettrait de réduire de moitié les émissions de CO2 d’ici 2030. »

Ces blocages peuvent parfois affecter la vie personnelle des chercheurs. « Je n’ai pas bien dormi depuis dix ans, témoigne Sabrina Speich, professeur d’océanographie et de sciences du climat à l’École normale supérieure (ENS). Et ces dernières années, en voyant ce signal dans la température de surface, c’est vraiment très compliqué de penser à autre chose. Et là, on ne parle pas des populations les plus fragiles, on parle aussi des impacts en France métropolitaine. L’ampleur du problème est importante.

Cet enseignant-chercheur, qui étudie l’impact du réchauffement sur les océans, n’a pas encore abandonné. Elle a décidé de s’impliquer davantage dans les programmes des Nations Unies où elle tente de convaincre les États de réduire leurs émissions et de mettre en œuvre des mesures d’adaptation. «Je travaille beaucoup plus que je ne devrais»précise Sabrina Speich, qui donne également des cours « Océan & Climat » à Sciences Po. Un choix qui consiste à « toucher un public très différent »étudiants qui deviendront « des décideurs qui seront un peu plus informés d’ici deux ou trois ans. »

« Il y a de la frustration, de la colère, de l’anxiété, de la peur, des doutes aussi. Mais tout cela est presque secondaire par rapport à la nécessité de faire quelque chose. »

Jérôme Santolini, directeur de recherche en sciences du vivant

sur franceinfo

Jérôme Santolini est directeur de recherche en sciences du vivant, mais également membre de Scientists in Rebellion, un collectif créé début 2020 qui prône la désobéissance civile. Un chapeau inhabituel au premier abord pour lui et pour de nombreux scientifiques familiers avec la seule méthode scientifique.

« La question aujourd’hui est d’arrêter avec ces histoires de neutralité, de réserve et de dire que les scientifiques ne doivent pas se mêler de politique. Ils y ont déjà les pieds »dit Jérôme Santolini. « Si des scientifiques en rébellion se mobilisent devant les vitrines d’Amundi (un gestionnaire d’actifs français) ou dans les assemblées générales de la BNP ou de Total, c’est pour dire : ‘C’est notre réalité commune’. Et notre métier est de donner de la valeur, du sens. à cette réalité, en tout cas un espace politique. »

C’est un mode d’action qu’Henri Waisman, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), n’envisage pas personnellement. Mais il y trouve du mérite. Le rôle du scientifique a changé sur les questions climatiques, estime ce spécialiste de la décarbonation, co-auteur d’un rapport du GIEC sur un réchauffement climatique de 1,5°C. « Nous ne pouvons plus nous permettre d’être un peu à l’extérieur, de donner une bonne parole et de confier la responsabilité de trouver des solutions aux décideurs », juge le chercheur. Je pense que nous avons un rôle à jouer, celui de nous impliquer dans des processus politiques qui, de par leur nature même, seront compliqués et nécessiteront d’évaluer les avantages et les inconvénients de différentes solutions. » Une méthode « complémentaire »croit-il, à des actions plus percutantes et plus médiatisées.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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