Anne-Sophie Blot
Publié le
Des œufs mayo, du bourguignon et autres grands classiques de la cuisine française, servis dans une déco rétro et une ambiance « à la bonne franquette », le tout à des prix très abordables, c’est la promesse faite par les bouillons. Né à Paris au XIXᵉ siècle, ce concept connaît un regain de popularité ces dernières années dans tout le pays.
Que ce soit dans de grandes villes telles que Rouen, Lille ou Grenoble, ou bien en zone plus rurale comme à Flers (Orne) ou dans l’Oise, nos rédactions locales annoncent très fréquemment la création d’un restaurant de ce type, puisqu’il en ouvre pratiquement un par mois. Comment expliquer le nouveau succès des bouillons en France ? Décryptage.
Un bouillon, c’est quoi ?
« Ce qui compte dans un bouillon avant tout, c’est l’expérience qu’on y vit, écrit le journaliste d’actu Strasbourg, qui a testé Le Petit Bouillon Pharamond, ouvert en janvier dernier dans la capitale alsacienne.
Ici, on retrouve l’ambiance des célèbres bouillons parisiens. C’est joliment décoré, les serveurs sur leur 31 font un travail impeccable et ils parviennent même à plaisanter avec les clients en plein rush.
Pour comprendre la référence aux « célèbres bouillons parisiens », il faut remonter un peu dans le temps. Les premiers bouillons sont apparus à Paris, en 1854, grâce à un boucher visionnaire, Adolphe-Baptiste Duval, à l’origine de l’entreprise Bouillon-Duval. Il proposait un plat de viande et un bouillon aux travailleurs des Halles, pour moins de deux francs. Face au succès populaire, de nombreux concurrents lui ont emboîté le pas, si bien qu’on trouvait à cette époque des centaines de bouillons dans la capitale.
« Aujourd’hui, il ne reste plus que cinq bouillons à Paris, dont trois Bouillon-Chartier (l’enseigne créée par les deux frères du même nom, principaux concurrents de Duval à la fin du XIXème siècle, ndlr) », explique à actu.fr Bernard Boutboul, président-fondateur de Gira, cabinet de conseil pour tous les acteurs de la restauration.
S’ils ne sont plus qu’une poignée d’établissements parisiens à proposer cette formule, leur succès ne se dément pas, et surtout, il a fait des petits partout dans le pays : on trouve à ce jour 233 bouillons en France. « Avec une moyenne de 10 à 15 ouvertures par an. Mais ce n’est qu’une moyenne, car 40 ont ouvert rien que l’an dernier », précise Bernard Boutboul.
C’est sans doute le Bouillon Pigalle, créé en 2017, puis le Bouillon République, qui ont relancé la mode et ont donné des idées à des entrepreneurs partout en France.
Des classiques de la cuisine traditionnelle
Voilà pour l’histoire du bouillon, mais quelle est la recette du succès ? Premier ingrédient : des plats traditionnels et réconfortants, « comme chez mamie ». Très représentatif de la carte « type », le Bouillon Satio, à Rennes, propose « du poulet frites ou encore de la saucisse purée en plat principal. En entrée, des assiettes de charcuterie, de l’œuf mayo, des escargots persillés… En dessert, l’incontournable île flottante ou la crème brûlée. »
Autres classiques cités par actu Savoie à propos du Bouillon savoyard : « céleri rémoulade, terrine de campagne, escargots, pot-au-feu, cuisse de canard, blanquette de veau ou encore compote de pomme, baba au rhum… »
Certains bouillons ajoutent des spécialités de leur région pour pimenter leur carte. Ainsi, on trouve des trous normands au Bouillon Popote, à Rouen, des ravioles du Royans au Bouillon A de Grenoble, des saucisses de Toulouse, de l’aligot et de la volaille du Gers dans les bouillons toulousains ou encore de la quiche lorraine et de la tartiflette au munster au Bouillon Rousselet, à Nancy.
C’est du bon, du frais et du pas cher. Pas de chichi, ça va droit au but !
Des prix imbattables
Deuxième ingrédient, des prix très bas. Comptez en moyenne entre deux et cinq euros l’entrée, neuf à douze euros le plat, et trois à cinq euros pour le dessert. De quoi s’en sortir avec un ticket qui ne dépasse guère les 20 euros, imbattable.

Et dans le contexte économique actuel, c’est justement ce qui explique le nouveau succès des bouillons, analyse Bernard Boutboul, du cabinet de conseil Gira. « Le nouvel essor des bouillons coïncide avec l’inflation. Beaucoup de gens reviennent au restaurant grâce à ces changements de formules. »
D’ailleurs, de nombreux restaurateurs ont fait le choix d’abandonner leur ancien modèle de restaurant pour passer au bouillon. À Toulouse, le groupe Maison Pergo, propriétaire de huit établissements dans la Ville Rose et sa périphérie, a fait le pari d’en transformer deux en bouillons.
On souhaite coller aux attentes de nos clients. Les gens ont toujours envie d’aller au restaurant et de se faire plaisir mais leur porte-monnaie est un peu plus restreint qu’avant.
Même challenge à Lille pour les frères Fortier, qui avaient repris il y a cinq ans la Brasserie de la Paix, place Rihour, un restaurant « à la réputation raffinée », où l’on pouvait déguster des fruits de mer. « Depuis 2 ans, ça va de moins en moins bien. On s’est retrouvés dans une impasse », relate Philippe Fortier à Lille actu. Pour ne pas boire le bouillon, justement, ils n’ont pas hésité à prendre un virage à 180 °C en changeant de formule.
Et la mayonnaise semble prendre : « On a été surpris : on a fait une centaine de couverts ce midi, contre une trentaine d’habitude ! »
Un modèle économique exigeant
« Nous accompagnons de nombreuses transformations partout en France, confirme Bernard Boutboul. Ça marche à une seule condition : pouvoir faire de gros volumes ». Avec des prix si compétitifs, et donc des marges faibles, le modèle économique du bouillon repose en effet sur des achats en gros et un volume de couverts très important. À Paris par exemple, le Bouillon Chartier sert environ 1 700 couverts par jour.
Un objectif qui n’est pas toujours simple à atteindre, notamment en milieu rural. Le cabinet Gira a aidé un ancien restaurant gastronomique de Flers (Orne) à faire sa transition. « On leur a expliqué qu’ils ne pourraient pas pratiquer les prix parisiens. Ils proposent donc une addition moyenne à 28 euros, contre 20 euros à Paris. » Le Bouillon Flers fait tout de même 220 couverts par jour, « c’est énorme, ça marche très bien ».
Verdict sur l’expérience ?
Mais alors, est-ce que ça vaut vraiment le coup d’aller manger dans un bouillon ? Plusieurs journalistes de la plateforme actu.fr sont allés faire l’expérience pour leurs lecteurs.
Tous ont apprécié l’ambiance conviviale et la décoration d’antan. « Le restaurant suit les codes des bouillons parisiens avec notamment les fameuses nappes rouges et blanches à carreaux », écrit le journaliste de Lorraine actu, qui a apprécié aussi les touches régionales faisant référence à la Lorraine.

Concernant les plats, les avis sont un peu plus mitigés. « Les assiettes et les saveurs sont travaillées. Les portions sont copieuses. On est pile dans l’esprit bouillon », se réjouit-on du côté de 76actu pour le Bouillon Popote. L’auteur d’actu Strasbourg décrit, lui, son bœuf bourguignon ainsi : « Je pourrais chipoter en disant que le plat manquait un poil d’assaisonnement ou que les carottes et les pâtes étaient légèrement trop cuites, mais globalement, c’était goûtu. »
Mais lorsque 76actu fait appel à un critique gastronomique pour essayer un autre établissement de Rouen, le Bouillon d’Or, la sanction tombe :
Quant à la tête de veau, méconnaissable, elle ne faisait guère envie et sa gribiche en forme de mayonnaises assaisonnée ne permettait pas de sauver un plat gâché.
Si vous ne savez toujours pas quoi penser des bouillons, le mieux est encore d’aller vous faire votre propre avis !
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