Comment le trader de Poutine est rentré chez lui après la libération du journaliste Evan Gershkovich
C’est une histoire d’espionnage qu’aurait pu écrire Evan Gershkovich, le journaliste du Wall Street Journal emprisonné pendant 16 mois en Russie et condamné à 16 ans de prison pour espionnage avant sa libération le 1er mai.euh Août. Vladislav Klyushin, un entrepreneur d’une quarantaine d’années, a connu une ascension fulgurante dans le domaine de la cybersécurité. Sa société moscovite, M-13, proposait ses services aux entreprises et aux gouvernements en quête de protection contre les pirates informatiques. Parmi ses clients figuraient le gouvernement et la présidence russes. Mais, chevalier blanc le jour, il espionnait les informations confidentielles des entreprises dans d’autres fuseaux horaires, ceux de la plus grande place financière du monde, Wall Street. Son équipe a fait fortune à Wall Street.
Arrêté en tenue de ski à sa descente de jet dans la station huppée de Sion en Suisse en mars 2021, il est extradé vers les Etats-Unis 9 mois plus tard. Il est alors condamné à 9 ans de prison pour son rôle clé dans le piratage de données de groupes comme Tesla et Snapchat. Le cerveau de cette fraude boursière a néanmoins été libéré de prison par Vladimir Poutine, par la grande porte. Il a bénéficié, comme d’autres de ses compatriotes emprisonnés aux Etats-Unis, d’un échange de prisonniers avec Evan Gershkovich.
Le « trader de Poutine » selon le documentaire de CNBC réalisé par Eamon Javers (« Comment des hackers russes ont volé des millions aux investisseurs américains ») est de nouveau libre dans son pays natal, que n’a pas quitté son complice Ivan Yermakov, qui a travaillé dans les services secrets avant de se tourner vers le piratage informatique. Un autre ancien membre du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, chargé du renseignement) interrogé par la chaîne affirme que le cas de Vladislav Klyushin est loin d’être isolé. Des hackers et des membres du renseignement travaillent avec l’assentiment du Kremlin pour déstabiliser et extorquer de l’argent à Wall Street.
La finance et les marchés américains sont l’un des champs de bataille du conflit sans merci entre les deux puissances. Depuis la guerre en Ukraine et les sanctions financières qui l’ont frappée, la Russie veut riposter en frappant au portefeuille. Elle peut compter sur une armée de hackers dévoués à cette grande guerre patriotique numérique. Ses membres peuvent s’enrichir sans limite au détriment de l’ennemi, les États-Unis, tout en ridiculisant et déstabilisant ses grands groupes emblématiques. Un piratage réussi n’a pas seulement une dimension financière, il met également à mal la crédibilité de l’institution.
De Madoff à Poutine
Vladislav Klyushin avait fait d’une pierre deux coups. En 2 ans et 9 mois (janvier 2018 – septembre 2020), les opérations d’initiés du groupe de hackers dont il faisait partie avaient généré un rendement de 900 %, alors que Wall Street n’avait progressé que de 25 % sur la même période. Ils avaient empoché près de 93 millions de dollars, dont près d’un tiers pour Klyushin. Les rares investisseurs qui voulaient profiter de cette stratégie financière très rentable et apparemment légale ont dû lui reverser 60 % de leurs bénéfices.
La bande de 4 pirates a-t-elle donné une partie de ses profits à des personnes proches du gouvernement ou du président Poutine ? Le ministère américain de la Justice n’a fait aucune révélation sur cette question. Aucune des personnes interrogées par CNBC n’a souhaité s’exprimer sur le cas du président russe et son éventuelle implication dans cette affaire. La justice avait accusé Klyushin d’avoir porté préjudice aux marchés américains en faussant ses règles du jeu grâce à ses opérations d’initiés.
Il avait ciblé en particulier les sociétés Toppan Merrill et Donnelley, dont les activités sont particulièrement sensibles. Elles collectent les informations financières des sociétés cotées pour les mettre en forme et les rendre conformes aux exigences du gendarme des marchés, la Securities and Exchange Commission (SEC). Elles disposent ainsi d’un trésor pour quelques heures, les résultats des groupes américains destinés à être annoncés plus tard, après la clôture de Wall Street.
Mais, trop sûr de lui, Klyushin a commis des erreurs comme ses commentaires trop explicites sur l’application de messagerie Threema. Il a aussi payé des ordinateurs en bitcoin, sans prendre la peine de brouiller les pistes avec cette crypto traçable. Une erreur dont a profité BJ Kang, l’un des agents du FBI lors de l’affaire Madoff, alors qu’il était mobilisé sur cette affaire internationale, sensible car liée à la Russie. Désormais de retour au pays, Vladislav Klyushin saura-t-il rendre la pareille à son libérateur en se mettant au service de sa nouvelle guerre froide ? Il saura retrouver d’anciens membres du M-13, recherchés par la justice américaine, mais en sécurité en Russie.