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comment le Rwanda s’est imposé comme un allié aussi essentiel qu’encombrant

Bien qu’il intervienne au Congo en toute illégalité, comme le précise l’ONU dans une note que nous révélons, le Rwanda s’est rendu indispensable aux Occidentaux en leur fournissant des soldats dans les opérations de maintien de la paix.

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Le président rwandais Paul Kagame lors de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, le 24 septembre 2019. (MONIKA GRAFF/MAXPPP)

« Nous perdons des soldats rwandais. Nos frères, nos sœurs, nos enfants sont ramenés dans des sacs mortuaires et enterrés sans honneurs. En novembre 2022, le journaliste rwandais Samuel Baker s’est rendu dans la région du Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), avec son collègue John Williams Ntwali. Tous deux veulent savoir ce qui se passe dans cette zone frontalière avec le Rwanda. Sur les réseaux sociaux, des messages déplorent la mort de jeunes militaires rwandais au Congo. Mais cela ne suffit pas à attester de la réalité de ces décès. C’est pourquoi Samuel Baker et son collègue se lancent sur le terrain. Le consortium Forbidden Stories, à laquelle est associée la cellule d’enquête de Radio France, ont poursuivi leurs investigations. Notre enquête a établi que parmi les 13 militaires décédés identifiés par Samuel Baker entre mai 2022 et début 2023, la majorité d’entre eux auraient perdu la vie en République démocratique du Congo.

Messages sur les réseaux sociaux déplorant la mort de jeunes militaires rwandais en République démocratique du Congo.  (CAPTURE D'ÉCRAN)

Le président Kagame rappelle régulièrement que d’anciens génocidaires hutus du groupe armé des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) se trouvent en RDC et qu’ils présentent un danger pour les Tutsis qui y vivent, ce qui justifierait à ses yeux qu’il puisse intervenir. . Le 18 Février 2024, le ministère rwandais des Affaires étrangères dénonçait «le soutien de la RDC aux FDLR. »Par conséquent, il précise, Le Rwanda se réserve le droit de prendre toutes les mesures légitimes pour défendre ». Pour Samuel Baker, « La raison principale de cette guerre n’a rien à voir avec la communauté tutsie. Elle est liée à l’argent et aux minerais. » Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), note également que « Paul Kagame défend l’idée que la frontière est illégitime et qu’une partie du Nord-Kivu devrait faire partie du Rwanda. »

La RDC accuse son voisin d’avoir envoyé des militaires sur son sol pour soutenir le mouvement rebelle M23 qui a massacré ou jeté des dizaines de milliers de civils sur les routes, Officiellement, le Rwanda n’a jamais reconnu être intervenu hors de ses frontières, contrairement à ce qu’affirment les États-Unis, la France et plusieurs autres pays européens.

Le Rwanda a-t-il violé la souveraineté de son immense voisin ? Si l’on en croit une note confidentielle que nous avons pu consulter, la réponse est oui. Rédigé en mai 2022 par des experts de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUSCO), il s’intitule «Entrée des militaires des Forces de défense rwandaises sur le sol congolais ». Elle affirme que le Rwanda mène «une invasion contre la RDC. Thierry Vircoulon rappelle que« En droit international, lorsque votre armée se trouve de l’autre côté d’une frontière, cela s’appelle une agression. Mais le Rwanda ne veut pas être condamné comme pays agresseur, comme la Russie est un pays agresseur en Ukraine ».

Le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a jamais sanctionné le Rwanda malgré les violations constatées du droit international et la situation humanitaire catastrophique qui prévaut dans l’est de la RDC. Sans doute parce que dans le même temps, le Rwanda rend de grands services aux pays occidentaux d’Afrique. L’armée rwandaise est en effet le troisième contributeur mondial aux missions d’interposition de l’ONU.

Le président centrafricain sortant Faustin-Archange Touadera s'adresse aux médias lors de l'élection présidentielle du 27 décembre 2020 à Bangui, en présence des casques bleus rwandais.  (ADRIENNE SURPRENANT/EPA VIA MAXPPP)

Début 2024, près de 6 000 casques bleus rwandais ont été déployés, principalement au Soudan du Sud et en République centrafricaine. Les pays occidentaux étant devenus réticents à y envoyer leurs militaires, ils défendent « une solution africaine aux problèmes africains ». Cependant, à l’exception du Rwanda, peu de pays africains disposent de soldats suffisamment bien entraînés et équipés pour être déployés. Par ailleurs, dans ce pays où la liberté d’expression est réduite, même si des soldats meurent en mission, la critique est étouffée. Pour l’ancien ambassadeur du Rwanda auprès des Nations Unies Eugène Gasana – aujourd’hui en désaccord avec l’administration Kagame –, « Le programme de maintien de la paix est vital pour le régime. Cela lui donne de la crédibilité et le rend indispensable.

En dehors de l’ONU, le Rwanda est également impliqué dans d’autres missions de sécurité. A Cabo Delgado, province du nord du Mozambique notamment, il a réussi à contenir la rébellion jihadiste, contrairement aux mercenaires russes de Wagner qui avaient échoué. Le lieu est stratégique pour la France et pour l’Europe. Au large de la province, TotalEnergies exploite du gaz naturel, ce qui explique en partie pourquoi l’Union européenne finance la mission rwandaise à hauteur de 20 millions d’euros annuels. Ce contingent est dirigé par le général Alexis Kagame (qui n’est pas issu de la famille de Paul Kagame). L’homme a été mis en cause par la note interne de la MONUSCO évoquée plus haut pour son rôle en RDC. Certains pays de l’UE envisageaient de le sanctionner. Mais pour l’ancien ambassadeur Eugène Gasana, le Rwanda dispose d’un moyen de pression sur l’Occident : « Il menace de retirer les forces de maintien de la paix. Paul Kagame utilisera toujours cette carte s’il a un problème avec l’ONU. »

Sur fond de menace islamiste et de pénétration russe en Afrique, le Rwanda devient donc intouchable en se posant comme une alternative rassurante. « Kagame sait ce que veulent les pays occidentaux. Il s’est rendu si important qu’ils ont peur de lui demander des comptes. » estime le journaliste Samuel Baker. Quelques jours après son retour d’un reportage au Congo, ce dernier a été arrêté et interrogé par les autorités rwandaises. Il vit désormais en exil, loin de chez lui, dans un lieu tenu secret. Quant à son collègue John Williams Ntwali qui a enquêté avec lui sur cette « sale guerre », il est décédé le 18 janvier 2023 dans un mystérieux accident de la route à Kigali.

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Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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