Comment le Rassemblement national entend financer son programme économique
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Comment le Rassemblement national entend financer son programme économique

Comment le Rassemblement national entend financer son programme économique

« Ordre dans les rues, ordre dans les comptes publics. » Jordan Bardella a tenu une conférence de presse lundi 24 juin pour présenter le programme du Rassemblement national pour les élections législatives. « Les mesures sont chiffrées, elles sont raisonnables »a voulu rassurer le patron du RN. Mais en réalité, peu de chiffres ont été dévoilés lors de cette présentation, comme dans le programme mis en ligne sur le site du parti (Fichier PDF). C’est « vague »observe Elvire Guillaud, une des économistes interrogées par franceinfo, qui s’est penchée (au même titre que pour le programme du Nouveau Front populaire) sur les chiffres présentés par le RN.

Jordan Bardella a promis lundi de diriger une « lutte sans merci » contre « fraude fiscale et sociale ». Ceux-ci, affirme-t-il, «coûtent des dizaines de milliards d’euros chaque année». Dans le programme RN, c’est d’ailleurs le seul point appuyé par des chiffres détaillés. « Selon la Cour des comptes, la fraude serait de l’ordre de 15 milliards d’euros par an pour la seule TVA, 10 à 20, voire 25 milliards d’euros pour la fraude aux prestations sociales », peut-on lire dans le document. De son côté, Julien Odoul, porte-parole du RN, a même évoqué 50 milliards d’euros à récupérer en luttant contre la fraude aux prestations sociales, mercredi, sur franceinfo.

Ces estimations sont nettement supérieures à celles de la Cour des comptes. En 2023, dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes estimait la fraude aux prestations sociales entre 6 et 8 milliards par an, dont environ 4 milliards d’euros pour les sommes versées par l’Assurance maladie. Moins que le chiffre le plus bas avancé dans le programme du parti de Jordan Bardella. Cadres d’infirmières autorisées « faire ce qu’ils veulent avec les chiffres »fustige Elvire Guillaud, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui évoque des estimations « fantaisiste ». En revanche, le document programmatique ne mentionne pas la lutte contre la fraude fiscale – estimée entre 80 et 100 milliards d’euros annuels par le syndicat Solidaires Finances publiques, seule organisation à avancer un bilan.

Le RN a fait d’une autre promesse un élément clé de sa campagne : la baisse de la TVA sur les produits énergétiques. Il souhaite réduire son taux à 5,5 % sur les carburants, le gaz et même l’électricité, au lieu des 20 % actuels. Pour mettre en œuvre cette promesse, il faudrait au préalable modifier une directive européenne sur la TVA, un processus qui nécessite l’unanimité des vingt-sept pays de l’UE. Dans son état actuel, l’Europe autorise une TVA réduite à 5,5 % sur le gaz et l’électricité, mais pas en dessous de 15 % pour les carburants.

Le RN estime également que cette baisse de taxation des produits énergétiques coûtera 7 milliards d’euros. « d’ici la fin de l’année », et 12 milliards d’euros sur une année pleine. L’Institut Montaigne, groupe de réflexion d’inspiration libérale, estime le manque à gagner à 11,3 milliards d’euros par an. L’Ifrap, un think tank libéral proche du patronat, l’estime même à 16,7 milliards d’euros. Non loin des 17 milliards d’euros calculés par le ministère de l’Économie, qui a communiqué aux journalistes, mi-juin, son chiffrage de cette proposition du RN.

Pour financer cette mesure, le RN envisage de supprimer la niche fiscale des armateurs, ce qui rapporterait 1,2 milliard d’euros pour 2024, a estimé lundi Jordan Bardella. Il promet d’ajouter un « réduction de la contribution au budget de l’Union européenne » de l’ordre de deux milliards. Mais cela ne pourrait pas être possible avant 2028, explique le magazine Indiquer, notant que la contribution annuelle des États membres est négociée tous les sept ans, avec une révision à mi-parcours qui vient de s’achever. Enfin, le président du RN évoque trois milliards d’euros prélevés sur « augmentation de la cotisation sur « rentes inframarginales », c’est-à-dire en s’attaquant aux profits des énergéticiens, gonflés par la hausse des prix de l’énergie. En les additionnant, les 7 milliards d’euros ne sont pas entièrement couverts. Mais cet exemple illustre la mécanique du programme économique du RN, estime Elvire Guillaud :

« Ils n’ont pas beaucoup de dépenses et leurs revenus sont en réalité des économies. »

Elvire Guillaud, économiste

sur franceinfo

Le RN compte en effet procéder à d’autres coupes dans le budget français, par exemple en supprimant les agences de l’État. Dans le viseur, entre autres, les Agences Régionales de Santé (ARS) : « Pour débureaucratiser la santé, on supprimera les ARS, qui sont trop souvent issues d’une vision comptable de la santé »a soutenu Jordan Bardella. Cette fois, le RN ne fournit pas d’estimation des économies attendues.

Le Rassemblement national souligne également son intention de supprimer l’Aide médicale de l’État (AME). Affirmant à tort que l’AME donne accès aux étrangers en situation irrégulière à « toute la gamme de soins gratuits »le parti d’extrême droite veut le remplacer par une aide qui ne couvrirait que « urgences vitales ». Montant des économies attendues : un peu plus d’un milliard d’euros, une somme plutôt consensuelle.

Cette suppression de l’AME permettrait de financer en partie l’abrogation de la réforme des retraites promise par le RN, qui ne coûterait que 1,6 milliard d’euros, a un temps assuré le parti. C’est ce qu’a encore assuré l’un de ses porte-parole, Fabrice Leggeri, lundi matin sur Public Sénat. « Ce n’est pas possible, c’est trop peu, vu le nombre de personnes concernées »tranche Elvire Guillaud, dénonçant un « une vraie incohérence ».

Une précision a été apportée ces derniers jours. L’abrogation de la réforme des retraites pèserait à terme « 9 milliards d’euros, au final. A quand la réforme (sera) déployé »Le député RN Jean-Philippe Tanguy a déclaré à Reuters. Et cela sera compensé par d’autres mesures », a ajouté le député sortant, chargé des questions financières au sein du parti. En 2023, lorsque les députés du groupe Liot déposaient un projet de loi abrogeant la réforme des retraites, Emmanuel Macron assurait qu’elle coûterait 15 milliards d’euros, et la Première ministre Elisabeth Borne parlait même de 18 milliards, rapportait Ouest de la France. La réforme envisagée par le RN ne reprendrait cependant pas forcément les mêmes paramètres.

Le parti de Jordan Bardella entend également faire des économies grâce à son projet de réserver les aides sociales aux citoyens français, et de conditionner certaines prestations, dont le RSA, à cinq années de travail en France. L’Ifrap estime que cette deuxième mesure représenterait une économie d’environ 13 milliards d’euros, mais souligne que cette proposition « ne semble pas constitutionnel en l’état ». « De nombreuses mesures du RN seraient refusées par le Conseil constitutionnel, l’UE ou la Cour européenne des droits de l’homme », ajoute Henry Sterdyniak, cofondateur des Economistes Atterrés, collectif de gauche, sur son blog (hébergé par Mediapart).

Le manque de chiffres globaux et de détails sur le programme du RN, ainsi que l’ampleur des ajustements annoncés tout au long de la campagne, sont critiqués par plusieurs économistes. « Le programme du Rassemblement National tient sur un post-it et évolue chaque jour », jugeait l’économiste Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l’université Lyon 2 et Sciences Po, sur franceinfo, avant la conférence de presse de Jordan Bardella. Elvire Guillaud juge son projet économique « fugitif, changeant et imprécis ». Les think tanks qui ont tenté de calculer des chiffres se retrouvent avec des comptes loin d’être équilibrés. «Le programme RN est intenable d’un point de vue budgétaire»écrit la fondation Jean-Jaurès, tandis que l’Ifrap calcule, en l’état actuel des éléments diffusés par le parti, « un déficit supplémentaire d’au moins 5,5 milliards d’euros par an ».

Le flou autour du financement du programme est dû à « une stratégie de campagne électorale qu’on connaît bien »a analysé, sur le plateau de franceinfo, le politologue Bruno Cauprès, chercheur à Sciences Po. C’est, décrit-il, « Mettez en avant quelques titres de chapitres faciles à retenir, qui parlent aux gens. Surtout, n’entrez pas dans les détails d’un long catalogue et d’un financement.

« Si on se lance dans un catalogue et un financement longs, on perd le fil du récit et on tend le bâton pour être battu. »

Bruno Cauvrai, politologue

sur franceinfo

Lundi, à plusieurs reprises, Jordan Bardella a évoqué un « Deuxièmement », après un audit des comptes de l’Etat, la décision sur la possibilité de mettre en œuvre certaines propositions en cas d’adhésion à Matignon. Estimant que le camp présidentiel a mis la France dans une situation de « situation de quasi-faillite »avec un déficit public atteignant 5,5% du PIB en 2023, Jordan Bardella a également alerté sur la maigreur du budget. « des capacités financières mobilisables pour réformer ». Signe que certaines promesses de campagne risquent d’être dépassées par la réalité budgétaire.

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