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Comment le Premier ministre a réussi à former son gouvernement à la dernière minute

Après 16 jours de négociations et de multiples consultations, le gouvernement composite de Michel Barnier a finalement été annoncé samedi soir.

Le défi était de taille pour l’ancien négociateur en chef du Brexit. Nommé Premier ministre le 5 septembre, Michel Barnier devait, pour former son gouvernement, concilier les appétits accrus des Républicains, sa famille politique, les exigences des macronistes, qui n’ont pas manqué de rappeler leur poids à l’Assemblée nationale, et l’impossible ouverture à la gauche. Après 16 jours de tractations et de pressions en coulisses, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, a finalement annoncé, samedi 21 septembre, la liste des 39 ministres de cette coalition entre LR et le camp présidentiel. Un nouveau gouvernement marqué par la droite, avec notamment l’entrée du chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, au ministère de l’Intérieur, et un seul ministre de gauche, Didier Migaud, ancien député socialiste, nommé à la Justice.

Cette annonce officielle n’était pas acquise d’avance. Jeudi 19 septembre, Matignon assurait que Michel Barnier entamait sa «« dernier jour de consultations »la droite augmente immédiatement la pression. « C’est la dernière chance, sinon il démissionnera »prévient un stratège de droite. « Ce matin, il y a plus de chances qu’il parte que qu’il continue, c’est extrêmement fragile. On est dans une situation très grave. » « C’est Gérard Larcher (le président du Sénat) qui a convaincu Michel Barnier de rester hier ! Il a voulu claquer la porte », fournit même une source LR.

Dans le collimateur de certains Républicains : Emmanuel Macron. « Le président se mêle de tout, sans en avoir l’air ! Il joue avec le feu. Si Michel démissionne, c’est lui qui sera en première ligne. »fulmine encore un cadre LR. L’Elysée a pourtant promis que l’ancien négociateur du Brexit aurait carte blanche pour former son équipe, répétant à l’envi ce mantra constitutionnel : un président qui préside, un Premier ministre qui gouverne.

Pour tenter de rapprocher Républicains et Macronistes, Michel Barnier, après les avoir reçus séparément, a eu l’idée de les inviter à une dernière réunion à 15 heures. « en vue de la formation rapide d’un gouvernement »Matignon l’a annoncé. A l’heure du déjeuner, le chef de file des députés macronistes, Gabriel Attal, a envoyé un message à ses troupes pour annoncer qu’il assisterait à cette réunion. « Je demanderai au Premier ministre quelles sont les grandes lignes de l’action qu’il entend mener avec son futur gouvernement, et comment son architecture permettra d’incarner l’union républicaine dont notre pays a tant besoin. »il a écrit. « C’est l’exercice de formation d’un gouvernement le plus délicat depuis le début de la Ve République. »soupire un membre du parti présidentiel.

« Si cela ne fonctionne pas, nous serons tous perdants. »

Un membre du parti présidentiel

à franceinfo

Depuis plusieurs jours, certains cadres du camp présidentiel dénoncent « un problème de méthode » chez le nouveau Premier ministre. « Nous n’avons aucune information sur ce qu’il prépare sur tous les sujets. Matignon doit préparer sa feuille de route avec les groupes qui pourraient le soutenir », a-t-il ajouté. s’inquiète un ministre démissionnaire, après une rencontre avortée mercredi entre Michel Barnier et une délégation de Renaissance. Ils sont rassurés par l’organisation de cette rencontre. Mais dans le même temps, les rumeurs repartent : l’Elysée annule un déplacement d’Emmanuel Macron prévu vendredi en Bretagne, en raison de la crise sanitaire. « contraintes météorologiques »Le temps est agréable ce jour-là, mais le palais présidentiel assure que le plafond nuageux est trop bas pour que l’avion présidentiel puisse atterrir.

Deux heures plus tard, sous le regard de dizaines de caméras, les participants au meeting arrivent dans la cour de Matignon. Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau pour Les Républicains, Marc Fesneau et Maud Gatel pour le MoDem, Franck Riester et Gabriel Attal pour le camp présidentiel, mais aussi Hervé Morin (Les Centristes), Hervé Marseille (UDI), Edouard Philippe (Horizons) et Laurent Hénart (Parti radical). Au programme : les orientations politiques de Michel Barnier et surtout une liste de noms pour son équipe gouvernementale. Le Premier ministre a déjà vu un premier projet rejeté par Emmanuel Macron, qui l’a jugé trop à droite.

« Rien n’est encore acquis. Cela le sera si le président valide la liste à l’issue de la réunion. »

Un cadre LR

à France Télévisions

A 16h45, la réunion s’est terminée, sans un mot aux journalistes sur place. « Nous avons fait beaucoup de progrès mais il reste encore deux ou trois choses qui bloquent »tape sur son téléphone un participant qui lui révèle au passage la répartition prévue des postes : « 38 ministres à parité, 16 ministres de plein exercice dont sept pour Ensemble pour la République, trois LR, deux MoDem, un Horizons, un UDI, un divers gauche et un divers droite. »

Il est temps pour chacun de rendre compte à ses troupes. Lors d’une réunion de groupe vers 17 heures, Gabriel Attal fait part des éclaircissements qu’il a obtenus sur plusieurs points, notamment sur la question du budget. « Pas d’augmentation d’impôts pour les classes moyennes et les travailleurs français, c’est vital pour nous »rassure l’ancien locataire de Matignon. A 19 heures, c’est au tour de Laurent Wauquiez de réunir les députés LR.

« Nous aurons neuf postes, dont trois à temps plein. Cela représente un poids d’environ 20 %, bien en dessous de notre poids au Parlement, mais notre position est claire : nous ferons en sorte que cela fonctionne. »

Laurent Wauquiez

en réunion de groupe

Le président du groupe LR, qui compte 47 députés, a annoncé qu’il ne rejoindrait pas le gouvernement, ayant décliné Bercy car il n’avait d’yeux que pour l’Intérieur, et a dévoilé la liste de tous les élus LR retenus par Michel Barnier : Bruno Retailleau hériterait du portefeuille Beauvau, le député Patrick Hetzel de l’Enseignement supérieur, la députée Annie Genevard de l’Agriculture, le sénateur François-Noël Buffet des Outre-mer. Pour la Famille, c’est le nom de Laurence Garnier, sénatrice aux positions conservatrices sur le mariage pour tous et l’inscription de l’avortement dans la Constitution, qui semble acté.

Du côté des ministres démissionnaires, Sébastien Lecornu est reconduit aux Armées, tout comme Rachida Dati à la Culture, tandis que Catherine Vautrin bascule sur un poste aux Territoires. Pour le contingent MoDem, Jean-Noël Barrot au ministère des Affaires étrangères et Geneviève Darrieussecq à la Santé.

Dans le camp présidentiel, les macronistes de gauche font grise mine. « Honnêtement ? Je suis dans un état de dégoût que je ne pensais pas ressentir, livre un député de la Renaissance. C’est un courant d’extrême droite, notamment Retailleau à l’Intérieur, une manif pour tous à la Famille sans S à la fin, c’est une insulte à tout ce qu’on a fait depuis 2017. « La jambe gauche de l’ancienne majorité est en très très mauvaise posture », soupire un macroniste. La possible nomination de Laurence Garnier a mis le feu aux poudres sur Twitter, la gauche critiquant cette option, tandis que des cadres du parti présidentiel tirent déjà les leçons de ce futur gouvernement.

« Ce soir, c’est la victoire idéologique de la droite fillonienne, de la droite trocadéroise de 2012 à 2017. »

Un membre du camp présidentiel

à franceinfo

Au MoDem aussi, certains parlementaires se montrent plus que circonspects. « Notre sujet n’est pas les lieux pour nous, c’est le respect des équilibres. Sommes-nous là ?demande un député. J’avoue que personnellement je suis extrêmement dubitatif ! On prend la nuit pour y réfléchir. Mais franchement on est très loin du compte. »

A 19 heures, Michel Barnier et Emmanuel Macron ont un nouveau rendez-vous à l’Elysée. L’issue est-elle proche ? Deux heures plus tard, l’entourage du premier se vante « un échange constructif » au cours de laquelle le Premier ministre a présenté « l’architecture et la composition de son gouvernement qui respecte les équilibres »précisant que« Il sera présenté avant dimanche ». Ce ne sera donc pas pour ce jeudi soir. Au cours de cet entretien, le président de la République demande que le nom de Laurence Garnier soit retiré de la liste proposée, révèle un proche du chef de l’Etat. De quoi calmer une partie des troupes macronistes ?

Vendredi matin, un soleil timide se lève sur la capitale et c’est le MoDem qui donnera le ton. Une réunion du groupe de Marc Fesneau, en présence de François Bayrou, est convoquée en visioconférence pour 11h30 « Rien n’est encore décidé. Il reste encore des ambiguïtés à éclaircir sur la ligne politique. »confie un parlementaire. « 80% des députés sont contre l’entrée au gouvernement »affirme une source du parti centriste. Alors que les débats s’animent au MoDem, Matignon a annoncé que le gouvernement ne serait pas nommé vendredi, « les derniers ajustements » étant en cours. Les députés MoDem se réunissent à nouveau en début d’après-midi, sous l’œil irrité de certains macronistes. « Ils veulent plus de postes, ils en font tout un plat. Ils disent qu’ils sont aussi nombreux que les LR et qu’ils ont moins de postes qu’eux. »fustige une source à la Renaissance.

Pendant ce temps, en déplacement à Chartres (Eure-et-Loir), Emmanuel Macron appelle « tout le monde » a « aide » Michel Barnier à « former son gouvernement » Et « réussir parce que c’est dans l’intérêt collectif »La situation s’est débloquée en fin de journée et, peu avant 20 heures, l’entourage de Michel Barnier a annoncé que « l’architecture et la composition finalisées » Des membres du gouvernement ont été envoyés à l’Elysée. Et le MoDem ? « Aucune décision n’a été prise » sur la participation ou non du parti centriste au gouvernement, a indiqué le groupe à l’AFP dans la soirée. « Nous voulons voir si la tendance à droite persiste ou s’il y a eu un rééquilibrage. »explique à l’agence de presse Perrine Goulet, élue MoDem dans la Nièvre. Sur la forme et le fond, cette liste crée aussi des remous du côté d’Horizons, le parti d’Édouard Philippe.

« Ce n’est pas seulement le Modem qui râle, c’est la même chose chez nous. On n’a pas été pris en compte pour le nombre de postes. »

Un gestionnaire d’Horizons

à franceinfo

Samedi matin, place aux contrôles éthiques : « Nous attendons la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) »Matignon assure à franceinfo. « Les Journées européennes du patrimoine posent beaucoup de contraintes. Nous cherchons des solutions »tempère un conseiller de l’Elysée. Dans les dernières heures avant l’annonce d’un gouvernement, certains noms pourraient être écartés par la HATVP et remplacés par d’autres. « Les deux sont liés »assure un autre conseiller du gouvernement.

L’épilogue de cette longue saga arrive finalement en fin d’après-midi. Matignon demande aux ministres potentiels d’être à Paris dimanche matin. « Soyez prêt à midi »Les services du Premier ministre ont été prévenus, car certaines passations de pouvoir pourraient avoir lieu dès dimanche soir ou lundi matin. Dans le même temps, Michel Barnier commence à appeler ses futurs ministres. Il demande à ses nouveaux ministres de recruter leur directeur de cabinet, tandis qu’une première réunion informelle du nouveau gouvernement doit être organisée dimanche soir à Matignon. Un premier Conseil des ministres doit avoir lieu lundi après-midi.

L’annonce officielle du gouvernement tombe peu avant 20 heures, par l’intermédiaire du secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, sur le perron de l’Elysée. Bruno Retailleau à l’Intérieur, Annie Genevard à l’Agriculture, Patrick Hetzel à l’Enseignement supérieur… Au total, dix membres des Républicains sont nommés au gouvernement, contre 12 Renaissance, trois MoDem, deux Horizons, deux UDI et deux Liot, pour former un gouvernement hétéroclite du centre à la droite conservatrice. Laurence Garnier rejoint le gouvernement mais hérite finalement du portefeuille de la Consommation, en tant que secrétaire d’Etat. D’autres profils de droite irritent aussi certains membres du camp présidentiel, comme celui d’Othman Nasrou, proche de Valérie Pécresse et nouveau secrétaire d’Etat à la Citoyenneté, à Beauvau. « Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur avec Othman Nasrou, c’est le cocktail Molotov »ironise un macroniste, au premier soir d’une cohabitation gouvernementale réalisée aux forceps.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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