Entre le marteau et l’enclume. A peine nommé Premier ministre, Michel Barnier a annoncé vouloir prendre contact avec les partis politiques représentés à l’Assemblée. « Il faudra beaucoup d’écoute et beaucoup de respect pour toutes les forces politiques »« Nous sommes très loin de la réalité », a déclaré le Savoyard de 73 ans, jeudi 5 septembre, lors de son discours lors de la passation de pouvoir avec Gabriel Attal à Matignon. Le nouveau Premier ministre sait qu’il est obligé de composer à la fois avec le camp présidentiel et avec le RN et une partie de la gauche pour trouver des compromis.
Cette figure historique des Républicains (LR), déjà député en 1978, est en effet attendu au tournant de l’Assemblée. Avec un hémicycle divisé en trois blocs, il devra chercher des compromis pour faire passer des lois et surtout éviter les motions de censure. « Dans un système triangulaire, on est toujours l’otage d’une partie de la droite ou de la gauche.note avec fatalisme le sénateur Renaissance François Patriat. Mais je pense qu’il réussira à étendre sa majorité. »
Mais le nouveau locataire de Matignon dispose-t-il vraiment d’une majorité ? En additionnant toutes les formations du bloc central, les députés LR et le petit groupe hétéroclite Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), il pourrait théoriquement s’appuyer sur 235 parlementaires. Il manquera donc au moins 54 députés à Michel Barnier pour obtenir la majorité absolue. Dans ce contexte, un coup de groupe du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire pourrait faire tomber son gouvernement.
A gauche, les vives réactions à la nomination de Michel Barnier laissent peu de place à l’espoir d’un accord. Les socialistes refusent un choix « incompréhensible »les rebelles dénoncent une « élection volée »les écologistes parlent de« un vrai scandale »et les communistes voient cela comme une « déni de démocratie ». « Nous exigerons la censure du gouvernement Barnier »ont annoncé les différents partis du Nouveau Front populaire dans un communiqué commun jeudi soir. Il faudra donc compter, au moins dans un premier temps, sur la bonne volonté du RN pour éviter d’être renversé par une motion de censure. « Il faut voir ce qu’il propose, mais le background du personnage n’est pas fait pour rassurer et générer de l’adhésion »Julien Odoul s’est confié à franceinfo.
Michel Barnier est « loin de ce que l’on souhaite pour la France »mais il « n’est pas connu pour être un homme d’excès »juge le député Sébastien Chenu sur France Bleu. « Va-t-il rompre avec le macronisme ou pas ? »s’interroge Jean-Philippe Tanguy sur France 5. « Il semble répondre au moins au premier critère que nous avions demandé, c’est-à-dire un homme respectueux des différentes forces politiques, et capable de pouvoir s’adresser au Rassemblement nationalajoute Marine Le Pen sur LCI. Et cela sera utile car il faudra trouver des compromis. »
« Nous attendons de voir quel sera le discours de politique générale de M. Barnier et comment il fera les compromis qui seront nécessaires dans le prochain budget. »
Le chef des députés RN a exclu toute participation au gouvernement et fait déjà pression sur le nouveau Premier ministre. Le parti d’extrême droite tentera d’imposer ses conditions pour ne pas censurer le nouveau gouvernement. « Respect des électeurs du RN, représentation proportionnelle, plus de pouvoir d’achat, moins d’immigration, moins d’insécurité… »liste le député européen RN Philippe Olivier.
Les premières réactions du RN permettent au camp présidentiel de redonner un peu d’espoir sur la longévité du nouveau gouvernement. « L’Elysée pense qu’il ne sera pas censuré tout de suite, contrairement à Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve »confie un conseiller de l’exécutif. « Je pense que cela peut durer plusieurs mois. Et parfois, les gouvernements de transition, même s’ils ont quelques difficultés au début, parviennent à s’installer. »souligne un proche du chef de l’Etat.
« Cela offre plusieurs avantages : cela élargit la majorité à l’Assemblée et cela amène la majorité au Sénat. »
Un ami proche du chef de l’Étatà franceinfo
Finalement, tout le monde mise sur les qualités de cet homme politique expérimenté, qui a l’image d’un conciliateur. « Vous pouvez être le Joe Biden français »Brice Hortefeux lui avait dit, avant l’élection présidentielle de 2022. « C’est un homme de dialogue, d’expérience, capable de trouver des compromis et qui a des racines d’élu local. Son profil est de nature à rassurer l’UE et les marchés financiers. »assure le macroniste François Patriat. « Il a été respectueux de ses adversaires toute sa vie, de gauche comme de droite. C’est un homme de conviction, mais aussi de consensus. Il écoute, il entend, regardez comment il a négocié le Brexit… Il a rendu visite à tous les chefs d’État européens. »explique Brigitte Kuster, ancienne députée LR et proche de Michel Barnier.
Mais l’expérience Barnier s’annonce néanmoins difficile s’il faut négocier avec le RN sur chaque texte de loi. D’autant que dans le même temps, l’unité du camp présidentiel commence à se fissurer. « Pas de censure automatique »mais pas un « chèque en blanc »a réagi dans un communiqué le parti Renaissance, fondé par Emmanuel Macron. « Cette déclaration est folle. Les guerres intestines ont commencé. »juge un ami proche du président.
Dans les troupes présidentielles, les réactions sont en effet plus que timides. « C’est une surprise totale. Il faut un peu de temps pour digérer. »affirme un ancien ministre d’Emmanuel Macron. « Je sens que le pays a encore besoin d’être réformé et j’ai besoin d’être convaincu que Michel Barnier a le bon profil pour cela. Il a un profil assez techno, avec son passage à la Commission européenne, ce n’est pas forcément très excitant »murmure le député Renaissance Marc Ferracci. « Je ne comprends pas pourquoi on a créé un front républicain anti-RN si c’est pour avoir la bénédiction de Marine Le Pen comme Premier ministre »ajoute un conseiller ministériel sortant.
« Ce sera un premier test pour le bloc central et son indépendance. »
Un conseiller ministérielà franceinfo
Pour éviter de placer son destin entre les mains du RN et de bouleverser le bloc central, le nouveau Premier ministre peut aussi tenter de virer à gauche. « Tout dépend de l’attitude des socialistes. Vont-ils continuer à bouder dans leur coin ? Vont-ils essayer de voter une motion de censure et si elle n’est pas adoptée, reviendront-ils à quelque chose de sensé pour ne pas censurer le budget ? Le pouvoir du RN à l’Assemblée ne dépend que des socialistes »estime un député de la Renaissance. En termes d’arithmétique, le calcul n’est pas faux. Avec les 66 voix des socialistes en plus des 235 de la droite et du centre, Michel Barnier pourrait se passer du RN pour se maintenir en place.
« Il n’a pas d’ennemis, même à gauche. Il n’est pas fougueux.un proche du président tente de se rassurer. Il suffit de regarder les gros titres des journaux. Monde (« un homme de consensus ») et de Libération (« une négociateur ») » . » Pour tenter d’ouvrir sa majorité, l’ancien commissaire européen a pour première étape de former le gouvernement. Les Républicains ne sont plus fermés à l’idée d’occuper des ministères, mais souhaitent d’abord discuter avec le nouveau Premier ministre. « Alors que les fondements de notre pacte législatif sont en jeu »précise l’entourage de Laurent Wauquiez.
Mais cela ne suffira pas. Dans le camp présidentiel, certains espèrent que les sociaux-démocrates répondront à l’appel pour des postes ministériels. « Il nous faut un gouvernement large, avec des personnalités de la gauche républicaine »affirme un proche du président. « Barnier doit passer de LR à la gauche républicaine. Le gouvernement a besoin d’un package politique »ajoute un parlementaire de droite. « Sur tous les sujets, notamment le budget, le ministre doit être un politique avant d’être un technicien. » Le nouveau Premier ministre devra également trouver un accord avec Emmanuel Macron. « Techniquement, c’est une cohabitationnote un dirigeant de LR. Mais on imagine mal Michel tenir tête à Macron et taper du poing sur la table… »
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