Comment « Le Monde » couvre le conflit israélo-palestinien depuis 1945
Les années passent, les mêmes mots restent. Par exemple ceux reçus en janvier 2004 par le médiateur du Mondeposte alors occupé par Robert Solé. « Votre traitement biaisé de l’information en provenance du Moyen-Orient s’illustre à son tour par des silences choquants et des qualificatifs erronés et délibérément manipulateurs », écrit un lecteur en colère. Ce qui est en cause dans cette lettre, c’est le traitement de la question israélo-palestinienne par le quotidien, alors situé rue Claude-Bernard, à Paris.
Les adresses ont beau changer, de la rue des Italiens à la rue Falguière, du boulevard Auguste-Blanqui à l’avenue Pierre-Mendès-France, le réquisitoire demeure. Un double procès, initié simultanément par deux parties apparemment inconciliables, même si les défenseurs d’Israël apparaissent, de loin, les plus virulents et les plus obstinés. Tout ce qui est publié sur ce conflit dans ces colonnes est sans relâche scruté, décortiqué et analysé.
L’importation des passions du Proche-Orient est un fait au sein de la communauté particulièrement diversifiée des lecteurs du Monde, sans parler de ceux qui ne le lisent pas mais qui ont néanmoins un avis sur sa couverture. Aucun autre dossier international ne suscite les mêmes fièvres régulières. Dans quel camp se situe le lecteur de 2004 ? Nous le verrons plus tard.
Sombre présage
La tragédie qui a été dramatiquement ravivée par les massacres de civils israéliens par les miliciens du Hamas, le 7 octobre 2023, puis par ceux de civils palestiniens lors de la riposte destructrice de l’armée israélienne, toujours en cours sept mois plus tard, s’est enkystée bien avant la création du le Monde. Elle est annoncée le 2 octobre 1945 dans le « bulletin étranger », l’éditorial non signé qui occupe alors la colonne de gauche de la première page du quotidien. La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer et la guerre froide n’a pas encore commencé.
Ce « bulletin » est intitulé « La crise palestinienne ». Le terme désigne alors strictement l’espace géographique du mandat britannique encore en vigueur. Ceux qui font campagne pour qu’enfin le « Maison juive »mentionné pour la première fois dans la Déclaration Balfour en 1917, revêt les caractéristiques d’un État, se présentent également comme « Juifs palestiniens ». « La situation créée par l’antagonisme entre Arabes et Juifs en Palestine a atteint un point critique », commence l’éditorial. En cause, les nouvelles vagues migratoires composées de survivants de la Shoah, qui accentuent les tensions avec une population arabe sur la défensive. « Quelle solution sera adoptée ? Partage de la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe (…) ? Cela est peu probable en raison de l’opposition des deux partis. Création d’une communauté « binationale », dont les membres auraient des droits égaux ? Cette solution, préconisée par certains Anglais, mériterait d’être précisée. »
Il vous reste 91,15% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.