Comment le Covid-19 peut affecter le cerveau et le QI
Dès les premiers jours de la pandémie de Covid-19 provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2, les personnes apparemment guéries de la phase aiguë de l’infection se sont plaintes d’être affectées par une sorte de « brouillard cérébral ». Décrit par les patients comme une sensation de lenteur mentale, de flou ou de manque de clarté intellectuelle, cet état s’est rapidement révélé être un problème de santé important.
Quatre ans plus tard, il est scientifiquement bien établi que l’infection par le SARS-CoV-2 peut affecter la santé de notre cerveau de diverses manières. En plus du brouillard cérébral, la maladie peut entraîner de nombreux autres troubles : maux de tête, convulsions, accidents vasculaires cérébraux, troubles du sommeil, picotements et paralysies, ainsi que divers troubles de santé mentale.
Si les preuves sont aujourd’hui nombreuses que le SARS-CoV-2 laisse une trace indélébile dans notre cerveau, les voies spécifiques par lesquelles il le fait restent à déterminer et les traitements curatifs à mettre au point. Mais la recherche scientifique continue et, tout récemment, deux nouvelles études publiées dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine jettent un nouvel éclairage sur l’impact profond du Covid-19 sur la santé cognitive.
Comment le Covid-19 laisse ses traces sur le cerveau
En tant que médecin et chercheur, j’étudie le Covid long depuis bien avant que le terme ne soit inventé, dès les premiers rapports décrivant la maladie. J’ai publié de nombreux articles sur le sujet et j’ai été entendu par des sénateurs américains en tant qu’expert. Voici ce que nous savons sur la façon dont l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 peut affecter le cerveau, sur la base de la littérature scientifique la plus solide publiée à ce jour sur le sujet :
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Des analyses épidémiologiques à grande échelle ont montré que les personnes ayant eu la Covid-19 présentent un risque accru de déficits cognitifs tels que des problèmes de mémoire ;
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Des études d’imagerie réalisées sur des personnes avant et après une infection par le SRAS-CoV-2 révèlent une réduction du volume cérébral et une altération de la structure cérébrale après l’infection ;
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Une étude menée auprès de personnes atteintes d’une forme légère à modérée de la Covid-19 a révélé une inflammation cérébrale prolongée, ainsi que des changements censés correspondre à sept ans de vieillissement cérébral normal ;
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Si l’infection par le SARS-CoV-2 entraîne une maladie grave nécessitant une hospitalisation ou des soins intensifs, le résultat peut être beaucoup plus grave : les déficits cognitifs et autres lésions cérébrales peuvent alors équivaloir à 20 ans de vieillissement normal ;
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Des expériences en laboratoire sur des organoïdes cérébraux humains et murins (assemblages de cellules conçus pour imiter certains aspects du fonctionnement cérébral) ont révélé que l’infection par le SARS-CoV-2 déclenche la fusion des cellules cérébrales. Ces changements court-circuitent l’activité électrique du cerveau, compromettant certaines fonctions cérébrales ;
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Des autopsies de personnes ayant souffert d’une forme grave de Covid-19 mais décédées ensuite d’une autre cause ont montré que le virus était toujours présent dans les tissus cérébraux, des mois après l’infection. Cela prouve que le SARS-CoV-2 n’est pas seulement un virus respiratoire. Loin de s’attaquer uniquement aux voies respiratoires, il peut également pénétrer d’autres organes, dont le cerveau chez certains individus. Il faut toutefois noter qu’on ignore encore si la persistance du virus dans le cerveau est directement à l’origine de certains problèmes observés chez les personnes ayant eu la maladie ;
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D’autres travaux ont révélé que même lorsque l’infection est « légère » et que le virus reste principalement confiné aux poumons, il peut néanmoins provoquer une inflammation du cerveau et altérer la capacité des cellules cérébrales à se régénérer ;
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Le Covid-19 peut également perturber la barrière hémato-encéphalique et la rendre poreuse. Il s’agit du bouclier qui protège le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). Chez les patients hospitalisés pour Covid-19 et souffrant de brouillard cérébral, des analyses d’imagerie ont mis en évidence de tels problèmes ;
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Une vaste analyse préliminaire regroupant les données de 11 études différentes (totalisant les données de près d’un million de personnes atteintes du Covid-19 et de plus de 6 millions de personnes non atteintes) a montré que le Covid-19 augmentait le risque de développer une démence chez les personnes de plus de 60 ans.
Perte de QI
Plus récemment, des chercheurs ont évalué diverses capacités cognitives telles que la mémoire, la capacité de planification ou le raisonnement spatial chez près de 113 000 personnes atteintes du Covid-19. Leurs résultats, publiés dans le New England Journal of Medicine, ont révélé que ces patients présentaient des déficits importants de mémoire et de performance dans les tâches exécutives.
Ce déclin a été observé non seulement chez les personnes infectées au début de la pandémie, mais aussi chez celles qui sont tombées malades lorsque les variants delta et omicron circulaient principalement. Ce dernier cas suggère que le risque de déclin cognitif n’a pas diminué à mesure que le virus pandémique initial évoluait de la souche ancestrale vers le variant omicron.
Dans la même étude, un déclin cognitif équivalent à une perte de trois points de QI a été constaté chez des personnes ayant contracté des formes légères de Covid-19 et s’étant rétablies sans complications. En comparaison, les patients présentant des symptômes non résolus, comme un essoufflement persistant ou un épuisement, ont perdu six points de QI. Les personnes admises aux soins intensifs ont perdu neuf points de QI. La réinfection par le virus a contribué à une perte supplémentaire de deux points de QI, par rapport aux personnes qui n’avaient pas été réinfectées.
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Pour mettre les résultats de cette étude en perspective, le QI moyen se situe généralement autour de 100. Les individus surdoués ont généralement un QI supérieur à 130, tandis qu’un QI inférieur à 70 indique une déficience intellectuelle qui justifie un soutien sociétal important. Selon les chiffres dont je dispose, une baisse de trois points du QI ferait passer le nombre d’adultes américains ayant un QI inférieur à 70 de 4,7 millions à 7,5 millions. En d’autres termes, le nombre d’adultes présentant un niveau de déficience cognitive considéré comme nécessitant un soutien sociétal important pourrait augmenter de 2,8 millions.
Dans le même numéro du New England Journal of Medicine, les résultats d’une autre étude ont été publiés. Réalisée entre mars 2020 et avril 2023, elle a porté sur plus de 100 000 personnes de nationalité norvégienne. Les résultats indiquent à nouveau une détérioration de la fonction de la mémoire, jusqu’à 36 mois après l’obtention d’un résultat positif à un test de dépistage du SARS-CoV-2.
Des implications potentiellement graves
Globalement, les résultats de ces études indiquent que le Covid-19 présente un risque sérieux pour la santé cérébrale, même lorsque la maladie se présente sous une forme « bénigne ». Il semble que les conséquences de cette situation commencent à être détectables à l’échelle de la population.
Aux États-Unis, par exemple, la capacité à se souvenir, à se concentrer ou à prendre des décisions a été évaluée dans le cadre de la Current Population Survey (CPS – une enquête menée mensuellement par le Bureau du recensement auprès des ménages américains). Résultat : par rapport aux 15 années précédant l’émergence du SARS-CoV-2, depuis la pandémie un nombre considérable de répondants déclarent éprouver de « sérieuses difficultés » dans ces domaines. Pas moins d’un million d’Américains en âge de travailler sont concernés, et le plus inquiétant est que cette situation touche principalement les jeunes adultes, âgés de 18 à 44 ans.
Les données de l’Union européenne révèlent une tendance similaire : en 2022, 15 % des répondants résidant dans l’UE ont déclaré avoir éprouvé des problèmes de mémoire et de concentration.
Il sera donc crucial à l’avenir d’identifier les individus les plus à risque. Il sera également essentiel de mieux comprendre comment cette situation pourrait affecter les résultats scolaires des enfants et des jeunes, ainsi que la productivité économique des adultes en âge de travailler. En outre, il ne faut pas oublier que l’épidémiologie de la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies conduisant à la démence pourrait être affectée, même si l’on ne sait pas encore dans quelle mesure.
Une chose est sûre : un nombre croissant de recherches confirment désormais que le SARS-CoV-2 doit être considéré comme un virus ayant un impact significatif sur le cerveau. Les implications d’une telle découverte sont vastes, et concernent non seulement la santé des individus, mais aussi celle des populations et de nos sociétés, à travers l’impact potentiel sur l’économie.
Démêler les causes de ces troubles cognitifs, et notamment l’origine du brouillard cérébral, nécessitera des années, voire des décennies, d’efforts concertés, impliquant des chercheurs du monde entier. Malheureusement, face à cette situation inédite, tant que le virus continuera de circuler, nous serons tous des cobayes.