Qu’ont en commun un chasseur-bombardier F35, un TESLA et Facebook ? Lignes de code. L’avion américain en possède 25 millions, la voiture électrique d’Elon Musk 10 millions et l’algorithme du réseau social 50 millions.
Si l’arrivée dans le grand public des premiers produits liés à l’IA fait la une de l’actualité, c’est une révolution profonde qui s’opère dans le domaine militaire avec l’explosion des capacités offertes par le triptyque : calcul de puissance, vitesse de connexion et nouvelles fonctionnalités applicatives. .
Au cours des trois dernières décennies, les systèmes d’armes et de commandement ont été conçus et construits autour du « réseau », ce que les Américains appelaient « Guerre centrée sur les réseaux »dont la première apparition sur le champ de bataille remonte à la guerre du Golfe en 1991. Ce concept profitait des progrès alors réalisés dans les télécommunications, notamment spatiales, dans la standardisation de l’informatique et dans les outils de positionnement précis – GPS – dont la commercialisation a explosé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Années 1990. Grâce à ces technologies, la boucle décisionnelle, notamment celle de l’appui-feu aérien, a été fortement accélérée, permettant aujourd’hui de traiter en quelques minutes les cibles émergentes détectées par les satellites.
Parallèlement, la puissance et la miniaturisation des ordinateurs ont conduit à automatiser une partie des tâches des opérateurs. Cela a eu pour effet de réduire les équipages des avions, des navires ou ceux des postes de commandement tactique. Là Languedoc, la frégate qui a engagé le 9 décembre des drones suicides houthis en mer Rouge, compte un équipage de 110 hommes, là où il y a 30 ans un navire équivalent embarquait 250 marins. À l’inverse, les effectifs ont eu tendance à s’agrandir pour traiter des quantités toujours croissantes d’informations, les processus ayant finalement tendance à ralentir la prise de décision. Un historien a récemment noté qu’entre 1918 et 2003, l’armée britannique avait multiplié par 25 le nombre d’officiers dans l’état-major de la brigade.
Une nouvelle donne
Cette réalité est aujourd’hui confrontée à une nouvelle révolution, celle de la donnée.
- Son premier aspect est que le logiciel n’est plus au-dessus mais au centre du système.. Cela devient le cœur, l’architecture principale. Le logiciel n’est plus seulement un agrégateur taylorien de tâches et sous-tâches déterministes, ce n’est plus seulement le « système nerveux » d’une architecture matérielle, ce n’est plus seulement le métronome de « routines » établies à l’avance, mais il devient un ensemble d’outils modulaires, configurables à volonté, à adapter à une mission donnée. Il devient un « team member » de la mission, capable d’organiser, de diffuser, de proposer et d’encadrer.
- Le deuxième aspect de cette révolution est celui de la massification des objets connectés et partiellement autonomes. Les progrès de la microélectronique permettent désormais de construire des réseaux de capteurs ou d’effecteurs à très grande échelle, constituant ainsi des réseaux maillés de surveillance ou d’action, capables de couvrir des zones immenses. Sur le front ukrainien, environ 100 000 drones sont opérés par chacun des deux camps le long des 1 000 kilomètres de la ligne de front, assurant ainsi une surveillance permanente et continue des mouvements. Ce constat est au cœur de la « guérilla » des munitions téléopérées, qui se déroule actuellement dans les plaines du Donbass.
- Le troisième aspect est celui de l’arrivée de l’IA, dont les effets se propagent à grande vitesse tout au long du cycle de l’action militaire. L’IA contribue à une adaptation très rapide des tactiques mais aussi des équipements du champ de bataille. En Ukraine, le logiciel des drones est mis à jour toutes les six semaines pour s’adapter aux tactiques de l’adversaire. L’IA permet d’assister les acteurs dans la boucle décisionnelle en leur donnant les moyens de traiter des masses considérables de données émises par les réseaux maillés. Profitant de la technologie de Grands modèles de langageles états-majors peuvent nourrir l’espoir de contrôler leur taille tout en étant plus efficaces.
Les données comme carburant
Cette révolution numérique implique une transformation profonde de nos modes de fonctionnement. Ce qui change, c’est l’absence de rupture, la continuité inédite établie entre les données produites, ou exploitées au cœur du combat, et celles utilisées dans les unités de soutien, qui constituent la « supply chain » des Armées. Qu’elles soient de renseignement, de maintenance, RH ou opérationnelles, les données deviennent le seul carburant des différents « métiers » qui, avec les mêmes données affinées, correctement stockées et mises à disposition, atteindront mieux leurs objectifs. missions. Dans un contexte de tensions sur les ressources humaines dont les causes sont partagées avec le monde de l’entreprise, la nouvelle révolution numérique permet d’envisager une rationalisation de la formation et de l’emploi des personnels, en les focalisant sur les « actions business ». » où l’humain apporte une réelle valeur ajoutée ou doit impérativement exercer un contrôle direct, laissant les autres tâches, répétitives ou simples, gérées par des applications.
Ce continuum de données va conduire à repenser l’organisation générale du domaine numérique selon une double dynamique. D’une part, cela nécessitera le renforcement de la maîtrise d’œuvre générale, pour orienter les choix structurants en matière d’architecture, qui sont des décisions de long terme. De l’autre, l’organisation numérique devra pouvoir se décentraliser pour être au plus près des métiers afin de produire des applications liées aux nouveaux « cas d’usage » numériques. Il ne s’agit pas de concevoir des systèmes fixes. L’enjeu est de mettre en place une organisation à la fois résiliente et réactive, capable de prendre des risques pour garder le dessus. Il s’agit donc de trouver un nouvel équilibre entre sécurité et agilité.
Un budget de recherche 10 fois plus élevé aux Etats-Unis
Dans le domaine d’action des armées, comme dans celui des entreprises, la question de la souveraineté se pose avec une acuité particulière. Dans un univers technologique largement dominé par les géants américains, dont les budgets annuels de recherche sont plus de 10 fois supérieurs à ceux de l’Europe, il est essentiel de se fixer des objectifs clairs et réalisables : maîtriser les architectures, être en mesure de choisir les briques technologiques. , renforcer la résilience et enfin, maîtriser parfaitement les processus de chiffrement.
Mais au-delà de la technique, c’est avant tout une révolution culturelle qui doit réussir. Chacun doit comprendre le potentiel offert par ces nouvelles ressources numériques pour améliorer les performances. Cela nécessite une prise de conscience collective et un effort de formation important. La « culture numérique » doit désormais devenir une seconde nature par rapport à la culture opérationnelle.