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Comment l’armée accompagne les blessés de guerre vers une carrière de sportif de haut niveau

Handicapés après des blessures sur le terrain, d’anciens militaires tentent de se reconstruire grâce au sport. Un long processus, qui peut parfois déboucher sur une carrière dans le handisport et une participation aux Jeux paralympiques.

« Il fallait que je me ressaisisse. C’était ça ou arrêter. » Rémy Boullé, un ancien militaire de 36 ans, est devenu paraplégique après un accident survenu en mission. Le 4 septembre 2014, son parachute ne s’est pas ouvert et il a heurté le sol à 50 km/h. Son corps et sa carrière ont été brisés. « Je n’avais aucun diplôme, j’avais perdu toutes mes passions : l’armée, le parachutisme et la course à pied. »

Il lui fallait se reconstruire. Rémy Boullé l’a fait par le sport. Après quatre mois alité sans pouvoir bouger, il s’est fixé comme objectif en janvier 2015 de participer aux Jeux de Rio en paracanoë. Vendredi 6 septembre, près de dix ans après son accident, il entamera ses troisièmes Jeux paralympiques consécutifs. Et tentera de faire mieux qu’à Tokyo, où il a décroché la médaille de bronze, dans la catégorie KL1.

Rémy Boullé n’est pas le seul ancien blessé de l’armée en compétition à Paris : Jean-Louis Michaud est également dans la catégorie tir à la carabine, ou encore Cyrille Chahboune, Guillaume Ducrocq et Thomas Laronce dans l’équipe de France de volley-ball assis. Autant d’exemples pour l’armée française, qui développe depuis dix ans un programme pour aider les 1 000 blessés de guerre recensés par l’armée durant cette période, tant physiques que psychologiques, à se reconstruire par le sport. « En plus d’aborder la préparation physique des combattants, c’est un moyen de constater des progrès après une blessure, de reprendre confiance en soi et de retrouver la fierté dans le regard des autres. »résume le général Paul Sanzey, commissaire adjoint aux sports militaires et commandant du Centre national des sports de défense (CNSD). Situé dans la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne), ce site, « Insep pour les militaires »Selon le général, c’est la pierre angulaire de l’accompagnement des soldats blessés vers la reprise de l’activité sportive.

« Nous ne guérissons pas les gens, mais nous offrons, à travers le sport, la possibilité de se retrouver soi-même, en tant qu’homme ou femme qui malgré la blessure tient tête à la vie. »

Général Paul Sanzey, commandant du Centre sportif de la Défense nationale

à franceinfo

« Nous voulons montrer aux blessés qu’ils sont capables de reprendre une activité physique » par des moyens ludiques, en complément des soins, ajoute le commandant Erwan Lebrun, directeur technique des sports militaires. Une première étape qui doit permettre de se réapproprier son corps. Elle n’est cependant pas imposée par l’armée et les blessés peuvent se rétablir « sinon »assure le soldat.

Ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent participer aux Rencontres militaires blessures et sports, stages de quatre semaines organisés chaque année. Ils sont organisés par l’Unité d’Aide aux Blessés de l’Armée de Terre depuis 2012, en coordination avec le CNSD, le Cercle sportif de l’institution nationale des Invalides et d’autres unités d’aide aux blessés des armées et des services. Ces rencontres présenter le « de nombreuses activités adaptées aux militaires blessés handicapés, rééducation à la pratique sportive et stages de sensibilisation à la compétition »assure le site du ministère de la Défense. « C’est la première fois que nous (leur) propose une activité sportive après son séjour à l’hôpitalexplique Erwan LebrunIl s’agit de redonner confiance aux blessés dans leur capacité à être physiquement actifs.

Il existe également des parcours plus courts, spécialisés dans certaines disciplines, comme le Challenge Ad Victoriam. Il s’agit de la dernière étape avant de réellement se lancer dans la compétition, symbolisée par les Invictus Games. Ces rencontres multisports, réservées aux militaires et aux civils de la défense, ont été créées par le prince Harry en 2014. Elles ont lieu tous les deux ans. Lors de la dernière édition, en septembre 2023 à Düsseldorf (Allemagne), 21 nations et 550 athlètes étaient présents. La délégation française comptait 22 membres.

Ces Jeux Invictus sont loin de concurrencer les Jeux Paralympiques. « Ils ne travaillent pas sur la compétition mais sur le collectif, la cohésion et la fierté de défendre les couleurs de leur pays »développe le général Paul Sanzey. Ils permettre de créer « un moment clé pour réunir tous les militaires victimes d’accidents liés à leurs activités »observe Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la Vie du Sportif au sein de la Fédération Française Handisport.

Cyrille Chahboune et Guillaume Ducrocq, aujourd’hui membres de l’équipe de France de volley-ball assis, ont suivi ces traces. Déployés en Irak en 2016 avec les forces spéciales françaises, en tant que commandos parachutistes aéroportés, ils ont tous deux été grièvement blessés dans l’explosion d’un drone piégé. Cyrille Chahboune a perdu ses deux jambes, son frère d’armes, une.

Aux côtés de Rémy Boullé, ils se sont rencontrés aux Invictus Games de Sydney en 2018. Cyrille Chahboune a concouru dans sept disciplines et a remporté une médaille d’or en voile. Cette même année, il a rejoint l’équipe de France de volley-ball assis, créée pour les Jeux de Paris, avec Guillaume Ducrocq. « Quand j’étais valide et dans l’armée, les Jeux Olympiques ne me faisaient pas rêver, j’étais à fond dans mon travail. Mais (les Jeux Paralympiques) « C’est devenu un bel objectif à atteindre, après la fin de ma carrière. »explique Cyrille Chahboune.

Tous les blessés de guerre ne peuvent pas viser cet objectif. Poursuivre une carrière sportive entraîne également une classification du handicap et limite le nombre de candidats au plus haut niveau. Aujourd’hui, l’armée française recense 20 % de blessés physiques et 80 % de blessés psychiques, parmi lesquels figurent ceux souffrant de stress post-traumatique. Les blessures psychiques ne constituent pas un handicap inclus dans les critères de classification du sport paralympique : contrairement aux Jeux Invictus, ceux qui en souffrent ne peuvent pas y participer.

Pour avoir une idée du monde paralympique, les personnes souffrant de blessures physiques doivent souvent se débrouiller seules. « Le CNSD essaie de créer des ponts avec les différentes fédérations, mais sauf erreur, les rares qui ont pu participer à des compétitions internationales ont une approche plus individuelle »« Surmonter tous ces obstacles demande un mental d’acier et de la volonté », note Jean Minier, directeur sportif du Comité paralympique et sportif français. « À part le service de santé, l’armée ne m’a pas aidé : je n’avais pas d’entraîneur quand je me suis qualifié pour Rio. (Même) « Sans l’armée, je serais au même niveau aujourd’hui »explique Rémy Boullé, qui a lancé une cagnotte en ligne pour acheter un bateau afin de s’entraîner pour les Jeux paralympiques de 2016.

« Nous avons donné une partie de notre âme et de notre corps pour défendre notre pays, c’est dommage que nous ne recevions rien en retour alors que nous continuons à le faire à travers le sport. »

Cyrille Chahboune, membre de l’équipe de France de volley-ball assis

à franceinfo

Sans parler de l’aspect financier. « Le parasport ne paie pas »déplore Cyrille Chahboune, qui a besoin d’un budget annuel de 30 à 40 000 euros pour représenter son pays. La retraite et la pension d’invalidité que lui verse chaque mois l’armée ne sont pas forcément suffisantes et « ne remplacera jamais mes jambes, ni ce dont j’étais capable avant la blessure »Pour subvenir à ses besoins, le para-athlète doit démarcher des sponsors. Il peut aussi compter sur des associations comme Bleuet de France, qui a financé les prothèses de Guillaume Ducrocq et Cyrille Chahboune, et vient actuellement en aide à 25 000 autres bénéficiaires, dont 5 000 blessés de guerre ou en mission.

Avant leur blessure, ces soldats avaient des capacités physiques « un peu hors du commun »affirme Erwan Lebrun. Le sport fait partie de l’ADN du soldat. « Ceux qui sont sur le terrain s’entraînent, ils sont costauds et ont un capital physique à la base »note Nicolas Becker, entraîneur de l’équipe de France de paratriathlon. Cyrille Chahboune faisait deux à trois heures de sport chaque matin avant de perdre ses jambes. « En tant que membre des commandos des forces spéciales, on se balade parfois avec 60 kg de matériel sur le dos, on saute en parachute… Le niveau physique était largement équivalent à ce qu’on peut trouver au haut niveau actuel »il explique.

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Mais ces capacités physiques indéniables et une meilleure gestion du stress, dues à l’expérience militaire, ne conduisent pas nécessairement à une carrière parasportive. « Les membres blessés des forces spéciales ne sont pas forcément des champions paralympiques potentiels l’année suivante »prévient Pierrick Giraudeau. La Fédération Handisport ne veut pas précipiter les choses. Elle envoie des cadres dans les rassemblements de blessés militaires, afin de donner des avis et partager des savoir-faire sur le handicap et le handisport. « Nous voulons être sûrs que l’athlète a pris les bonnes mesures pour s’engager sur cette voie de la compétition. »insiste-t-il. Car les exigences du haut niveau, en termes de formation, sont fortes.

L’armée préfère également rester prudente, car le sport de compétition comporte des frustrations en cas d’échec. « C’est déjà très compliqué d’accepter le handicap et de perdre ses capacités militaires »glisse Erwan Lebrun. « Seule une partie des blessés voit la compétition comme un moyen de se reconstruire, résume le général Paul Sanzey, d’autant plus qu’elle entraîne un absentéisme familial, une pression de performance, elle peut se transformer en addiction, ce qui n’est pas forcément adapté au parcours de chacun. » Cyrille Chahboune est conscient de ces risques. « La reconstruction par le sport, c’est bien, mais la compétition de haut niveau peut détruire. La pression, la médaille… Des civils valides ont connu des burn-outs. »il prévient.

« Planifier un projet sportif de haut niveau réussi signifie s’engager à participer à deux ou trois événements d’entraînement paralympiques, au minimum. »

Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la Vie du Sportif au sein de la Fédération Française des Sports Paralympiques

à franceinfo

Les institutions ont besoin de temps avant que les programmes, mis en place il y a dix ans, ne portent leurs fruits « massivement vers une transition des militaires blessés vers des athlètes paralympiques »plaide Jean Minier. Le commandant Erwan Lebrun, pour sa part, avance « une maturité du système de reconstruction par le sport »avec un personnel désormais formé pour prendre soin des blessés.

Avec une nouveauté : l’ouverture, en fin d’année, d’un village pour les blessés au CNSD. D’une capacité permanente de 100 places, il permettra « un accès accru et facilité pour les blessés à une large gamme d’activités axées sur le sport, allant de la préparation physique et psychologique à la préparation aux compétitions sportives de haut niveau »« C’est un défi de taille, assure l’armée dans un communiqué. Afin de permettre aux futurs blessés de suivre les traces de Rémy Boullé et des autres. L’ancien commando parachutiste, lui, voit à plus court terme. Il rêve de l’or à Paris, lors de la finale du 200 m en kayak (KL1), samedi 7 septembre. « Presque 10 ans jour pour jour après (son) accident. »

Ray Richard

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