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Comment l’aéroport de Bordeaux va reconstruire son trafic après le départ de Ryanair

LA TRIBUNE – Avec quelques semaines de recul, comment analysez-vous la décision de Ryanair de cesser toutes ses activités à Bordeaux-Mérignac ?

Simon DRESCHEL – D’abord, ils sont toujours là puisqu’ils ne partiront que cet automne ! Nous continuons donc à entretenir des relations opérationnelles et, je le répète, nous ne souhaitons pas voir partir cette compagnie qui opère à Bordeaux depuis 14 ans. Et nous n’avons pas le pouvoir de chasser une compagnie. Mais, clairement, Ryanair a fait son choix et nous en prenons acte. Nous recherchons des partenaires solides pour mener à bien notre plan stratégique et pour nous accompagner dans nos ambitions de transformation de la plateforme. Et nous avons une trentaine d’autres compagnies sur l’aéroport pour cela.

Mais le nœud du problème semble résider dans les négociations commerciales entre l’aéroport et Ryanair…

Le fait est que nous changeons notre façon de travailler avec les compagnies aériennes. L’aéroport de Bordeaux est l’aéroport le moins cher de France et nous sommes donc en droit d’augmenter nos prix alors que le trafic aérien de Bordeaux est très porteur. Nous avons augmenté nos prix de 5 % au 1er août 2023 et nous les augmenterons encore de 5 % au 1er août 2024 (voir encadré, NDLR). Mais même avec ces augmentations, nous restons l’aéroport le moins cher de France, ce qui est très attractif pour les compagnies aériennes ! La réalité est que l’aéroport est une entreprise qui doit investir 250 millions d’euros dans ses infrastructures et les compagnies aériennes doivent donc payer ces services. C’est aussi basique que cela.

Augmentation de 5% au 1er août 2024

Après avoir déjà augmenté de 5% au 1er août 2023, l’aéroport de Bordeaux va à nouveau augmenter de 5% les tarifs payés par les compagnies aériennes à compter du 1er août 2024. La plateforme en profite pour présenter une modulation tarifaire liés aux émissions de gEffets de serre Et toiune autre liée à l’utilisation de carburants d’aviation durables. Par ailleurs, la redevance « aviation d’affaires », actuellement identique à celle des vols commerciaux (soit entre 5,17 et 5,53 euros par passager) deviendra un tarif unique de 8 euros par passager, soit une augmentation comprise entre 45% et 55%.

Avec 1,7 million de passagers, Ryanair représentait un quart du trafic l’an dernier. Quel sera l’impact de son départ ?

Simon DRESCHEL – On devrait terminer 2024 avec à peu près ce qu’on disait : environ 6,5 millions de passagers (soit une stagnation par rapport aux 6,6 millions de passagers de 2023, NDLR). Il faut encore évaluer précisément le choc que représentera le départ de Ryanair pour 2025, mais ce qu’on constate, à ce stade, c’est une reprise assez dynamique du trafic. Par exemple, Transavia vient d’annoncer qu’elle ouvrirait six nouvelles lignes cet hiver au départ de Bordeaux (1), où elle a décidé de baser un premier avion. C’est un signal très positif. Mais, soyons clairs, il n’y aura pas une seule compagnie qui pourra reprendre tout le trafic de Ryanair !

Quels sont vos objectifs pour reconstruire ce trafic ?

Simon DRESCHEL – Notre premier enjeu stratégique est de diversifier notre portefeuille de compagnies pour ne pas dépendre d’un seul client ! Il y a des aéroports mono-client et ce n’est jamais une bonne chose. Notre positionnement est aussi d’éviter un trafic artificiel avec des avions qui volent sans répondre à aucune demande. Notre vocation est d’avoir des avions bien remplis qui répondent aux besoins des réunions de famille, du tourisme entrant et sortant et des voyages d’affaires.

Cyrielle CLEMENT – Ryanair exploitait une quarantaine de lignes au départ de Bordeaux, l’objectif premier est donc de regarder quelles destinations ont le plus de sens pour la région, pour son économie et pour la demande locale. Ensuite, nous essaierons de trouver des compagnies intéressées par ces destinations que nous considérons pertinentes. Mais nous regarderons aussi de nouvelles lignes puisque le départ de Ryanair laisse la possibilité à d’autres opérateurs d’envisager d’autres destinations.

On voit que Transavia, Easyjet, Volotea et Twin Jet se positionnent déjà pour de nouveaux lancements. Le fait que Transavia se positionne quelques semaines seulement après l’annonce de Ryanair est exceptionnel, sachant que ce type de décision prend généralement beaucoup de temps. D’autres réflexions sont en cours pour l’hiver 2024 et nous travaillons sur la saison estivale 2025. Nous devrions avoir de bonnes nouvelles à annoncer à notre retour à l’école en septembre, maisLes négociations dureront jusqu’à fin novembre.

Easyjet, Volotea, Transavia… Qui prendra la place de Ryanair à Bordeaux ?

De quels outils disposez-vous pour convaincre les compagnies aériennes de venir opérer à Bordeaux ?

Cyrielle CLEMENT – Nous démontrons la pertinence de telle ou telle ligne en nous appuyant sur les données économiques du territoire, sur l’expérience d’autres aéroports régionaux, sur les données des vols en correspondance au départ de Bordeaux, sur les volumes de recherche sur les sites de comparaison de vols, etc. Tout cela nous permet d’estimer la demande potentielle pour une destination. Et depuis l’année dernière, par exemple, nous sentons un intérêt pour les vols de Bordeaux vers l’Albanie. Nous regardons de près ce qui se passe à Lyon, qui a ouvert l’année dernière une ligne vers la capitale Tirana.

Mais il ne s’agit pas seulement de tourisme, nous évaluons aussi les besoins des acteurs économiques du territoire, qu’il s’agisse du monde viticole, de l’industrie, de l’aéronautique, de la chimie ou encore du secteur bancaire. Tout cela nous permet d’aller chercher des clients complémentaires et donc des destinations et des compagnies aériennes différentes, notamment sur des vols moyen et long courrier. La ligne vers Dakar ouverte l’hiver dernier fonctionne très bien, tout comme la liaison vers le Canada, et nous recherchons aussi une compagnie aérienne capable de proposer des liaisons directes vers la côte Est des Etats-Unis. Mais les destinations lointaines sont aussi très soumises aux aléas géopolitiques, notamment au Proche et Moyen-Orient, et à la disponibilité des avions.

Et sur le plan commercial, quels sont vos leviers pour négocier avec telle ou telle entreprise ?

Pas grand chose ! Notre grille tarifaire est publique et prévoit des aides financières pour l’ouverture de lignes en fonction des volumes de passagers attendus par les compagnies. Il y a des critères d’éligibilité et à partir du moment où une compagnie remplit ces critères elle peut bénéficier de l’aide (2). Cela ne se fait pas au gré du client ! De plus, l’aéroport de Bordeaux n’est pas subventionné par l’argent public pour verser des aides aux compagnies aériennes, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Nous devons équilibrer notre budget et les compagnies doivent participer au financement du service public aéroportuaire. Il y a des réglementations européennes très strictes que nous respectons. Cela ne nous empêche pas de faire la promotion de telle ou telle destination en affichant des affiches à Bordeaux et il peut arriver que ces campagnes de communication fassent partie des discussions avec telle ou telle compagnie.

Cependant, dans sa dernière décision, l’Autorité de régulation des transports a annoncé qu’elle lançait « une procédure de recherche et d’observation de échec au cadre réglementaire en vigueur  » à propos des contrats bilatéraux conclus avec certaines compagnies aériennes parce qu’elles  » pourrait constituer un contournement de la grille tarifaire qui fait l’objet de la présente décision « . De quoi s’agit-il ?

Cela fait suite au rapport de la Cour des comptes sur la période 2013-2021. Nous sommes un livre ouvert avec cette autorité qui remplit son rôle. Nous en saurons plus tard. Nous faisons un travail très contrôlé dans tous les domaines et c’est très bien.

Agadir, Marrakech, Istanbul, Porto, Séville et Marseille.