Selon la théorie de la relativité restreinte, le décalage des horloges résulte de leur mouvement relatif dans l’espace. Mais bien sûr, ce ne sont pas nos mouvements respectifs, ridiculement lents par rapport à la lumière, qui désaccordent nos rythmes personnels dans le monde d’ici-bas. Quand nous sommes plusieurs au même endroit, si nous avons l’impression de ne pas habiter le même présent, de ne pas vraiment être ensemblepas vraiment synchronec’est parce que chacun de nous a tout loisir de choisir que lui arrive-t-il. Les outils technologiques portables dont nous disposons désormais génèrent en effet de l’entropie « chrono-dispersive » » nous permettant de distinguer et de personnaliser ce à quoi notre cerveau individuel est occupé, ce à quoi notre corps-esprit prête attention.
La question qui se pose aujourd’hui est donc : dans un tel monde plein d’écrans, constamment ponctué de clics, saturé d’informations, excité par ce que Paul Valéry appelait le « scintillement fantastique des événements », que devient la « vie de l’esprit » ? Allons-nous nous zombifier ? Détendons notre cerveau ? Le laisser consentir à une aliénation insidieuse ? La singularité de notre pensée va-t-elle s’estomper, se dissoudre, exploser ? Ou va-t-elle s’adapter au bain tumultueux dans lequel elle se trouve désormais en inventant une nouvelle façon de donner un sens à la vie ?
Avec Pascal Chabotphilosophe, professeur à Bruxelles, auteur de Un sens de la vie, Enquête philosophique sur l’essentiel (PUF, 2024).