comment la célèbre avenue parisienne se transforme en paradis des marques de luxe
Si les marques culturelles disparaissent les unes après les autres sur les Champs-Élysées, les grands groupes de luxe investissent comme jamais. L’avenue représente, pour eux, une vitrine devenue incontournable. Cependant, toutes les entreprises ne peuvent pas suivre, en raison de la « spéculation immobilière ».
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Nappes à carreaux et paniers en osier, le pique-nique sur les Champs-Élysées, dimanche 26 mai, se veut populaire et gratuit. Elle est organisée par les commerçants de l’avenue, qui se réunissent en comité. Quelque 4 000 invités ont été tirés au sort. L’objectif est d’attirer les Parisiens, car Joe Dassin ne chanterait certainement plus aujourd’hui Il y a tout ce que vous voulez sur les Champs-Élysées. Dans cette avenue désormais dédiée au commerce, voire au commerce du luxe, la culture disparaît.
On se souvient de la fin du Virgin Megastore, il y a 10 ans. Pour la Fnac, la fin sera en 2024, et côté cinéma, c’est tout simplement une hémorragie. La dernière session de l’UGC Normandie est prévue le 13 juin. Avant cette disparition constatée, il y a eu celle de l’UGC Georges V, et celle du Gaumont Marignan. « Nous sommes face au vieux cinéma Gaumont, explique Ronan Guevel, il vit tout près des Champs depuis 20 ans et préside une association de quartier, des travaux sont en cours et on ne sait pas s’il s’agira d’un nouveau magasin. A côté, Lacoste a remplacé un autre cinéma il y a quelques années. Quand j’étais adolescent, mes amis et moi aimions sortir sur les Champs-Élysées. Nous avons adoré venir au cinéma. Il devait y en avoir sept ou huit sur l’avenue. Les commerces destinés aux Parisiens sont remplacés par des marques qui possèdent des magasins dans le monde entier. Les Champs-Élysées perdent un peu de leur âme. »
Les grandes marques de luxe investissent comme jamais sur les Champs. C’est l’endroit où il faut être. Une vitrine devenue incontournable, selon Antoine Grignon, responsable du département investissement chez Knight Frank, spécialiste de l’immobilier commercial. « On peut parler aujourd’hui de réenchantement, de réinvention ou de renaissance des Champs-Élysées, il assure. « On a vu une accélération ces derniers mois avec notamment le groupe LVMH, le groupe Kering, le groupe Richemont.
« Toutes ces marques de luxe internationales veulent être sur les Champs-Élysées. Entre un cinquième et un quart des emplacements de l’avenue sont dédiés au luxe. Ces enseignes étaient plus susceptibles d’être locataires de leurs emplacements, mais aujourd’hui elles souhaitent en être propriétaires. «
Antoine Grignon, responsable du département investissement chez Knight Franksur franceinfo
Ces grands groupes en ont les moyens et achètent des immeubles, probablement parmi les plus grosses transactions du marché, reprend Antoine Grignon. LVMH a par exemple pu racheter les 144-150 Champs-Élysées, pour, selon le marché, environ un milliard d’euros. »
Aux côtés des grands noms du luxe, les marques de sport se bousculent également pour se faire une place sur l’avenue. Adidas, Salomon, JD sports, Lululemon, Foot Locker sont sans doute stimulés à l’approche des Jeux Olympiques. Cet engouement ne calme pas les prix des loyers commerciaux. Le prix de location est d’au moins 15 000 euros par mètre carré et par an. Par rapport à une rue parisienne classique, il est en moyenne 50 fois plus élevé et cela va encore augmenter. « Traditionnellement, il y avait une grande différence entre un trottoir pair et un trottoir impair. » poursuit Antoine Grignon. « Le trottoir plat était le meilleur face au soleil. » C’était donc la marque la plus populaire. Le phénomène est quelque peu en train de s’inverser. Les gens voudront peut-être avoir un peu plus d’ombre. Un réajustement peut avoir lieu.
Soleil ou pas soleil, les marques veulent être présentes sur les Champs-Élysées parce que c’est rentable. Un magasin voit 1,3 million de visiteurs franchir ses portes chaque mois, soit une augmentation de 15 % par rapport à l’année écoulée. Les prix s’envolent et certains n’arrivent pas à suivre. Le cinéma UGC Normandie a demandé à son propriétaire de baisser son loyer, que l’on dit monstrueux : en vain. La famille royale qatarienne a dit non. Elle possède au moins dix immeubles sur les Champs.
Ces prix sont dénoncés par la maire de Paris, Anne Hidalgo, et par son adjoint chargé du commerce Nicolas Bonnet-Oulaldj. « La spéculation immobilière reste le problème des Champs-Élysées, insiste l’élu. Le prix au mètre carré est trop cher. L’État devra nous aider dans la régulation et l’encadrement des loyers. Les commerçants sont les premiers à demander cet encadrement des loyers. C’est la loi qui réglemente ça. Des prix exceptionnels, mais il n’y a quasiment pas de places vacantes sur les Champs-Élysées, à peine 4% de vacance, quand la moyenne parisienne est trois fois plus élevée.