Les 400 clous
François Ruffin, dans « Au Boulot ! » son dernier long métrage en salles le 6 novembre 2024.
POLITIQUE – L’automne a un goût de renaissance pour François Ruffin. Réélu de justesse, grâce au retrait du candidat macroniste aux législatives de juin, le député de la Somme est resté discret. Mais c’est pour mieux revenir début novembre dans un rôle qu’il affectionne particulièrement : coréalisateur, avec Gilles Perret, de son nouveau film Mettez-vous au travail ! au cinéma depuis ce mercredi.
Le synopsis est connu. En février 2023, François Ruffin lance un défi à Sarah Saldmann, avocate mais surtout chroniqueuse de Grandes gueules sur RMC et qui n’a pas de propos assez durs contre le « assisté » : vivre un mois au Smic. Il s’agira finalement de quelques jours, résumés en 1h30 d’un film qui exagère le contraste entre l’avocat médiatique évoluant dans un milieu aisé et le peuple. « cassé », dit François Ruffin lui-même.
Le long-métrage s’ouvre avec Sarah Saldmann, de dos et toute de noir vêtue, des talons aiguilles et un petit chien – Triumph, apprend-on au générique – sur un pont à Paris. Quelques plans plus tard, la voilà (toujours en talons) dans la peau d’un livreur. Puis dans une entreprise agroalimentaire, il conditionne du poisson fumé. Puis dans une ferme, terrorisé par les vaches enfermées. Puis dans un centre d’insertion dans une région Zéro chômage. La caricature fait rire autant que pleurer. L’émotion domine lorsque Sarah Saldmann éprouve les difficultés mais aussi les joies du métier d’aide-soignante. Aussi lorsque Nathalie, licenciée à 45 ans, en invalidité et au chômage depuis longtemps, exprimait sa joie d’avoir retrouvé un emploi de femme de chambre et de pouvoir donner à son tour aux Restos du Cœur.
Un « manifeste politique » pour « les vrais héros »
Sarah Saldmann disparaît peu à peu du film. François Ruffin l’avait expliqué au préalable, évoquant un « rupture morale à cause de Gaza ». A l’écran, la brouille est évoquée de manière presque anecdotique, dans un court dialogue avec Gilles Perret où le député écarte littéralement les menaces de poursuites judiciaires du chroniqueur. Sarah Saldmann n’a jamais été au cœur du projet. Juste une excuse : « Oui, c’était le but, qu’on finisse par ne plus la voir », assume le député dans une interview figurant dans le dossier de presse du projet.
L’objectif est ailleurs et Ruffin le reconnaît sans broncher. Quant à Merci patron! Ou Debout, Femmes !, Mettez-vous au travail ! montre la vie quotidienne des Français « qu’on n’entend ni sur les téléviseurs ni sur les ondes radio »LE » de vrais héros » tels que les élus les présentent.
Il s’en prend sans détour sur France Inter le 4 novembre. Son film, qui n’est pas sans rappeler ses amendements « Vis ma vie » en 2017, est autant un « objet fantastique » qu’un « objet politique ». « Il y a quelque chose de l’ordre d’un manifeste politique »déclare-t-il. Quelques heures plus tard C à toi, il va plus loin et soutient la comparaison de Patrick Cohen entre son film et un programme politique : oui, le film témoigne de son projet politique, « Sans le dire, mais en le montrant. »
« Qu’est-ce que tu as dans le film? » Une France unie, humaine et fraternelle. Vous savez à quel point le travail est central dans ma conception. Je considère qu’aujourd’hui la gauche a le devoir d’héroïser le soignant, le soignant. Pas seulement en disant « Le Smic est de 1 600 euros » mais en donnant des noms, prénoms, lieux, professions. Je ne viens pas seulement dire « c’est ce qui aurait dû être fait », mais je viens pour le faire. ». Le message est clair : ils parlent, il agit. C’est ce qu’on appelle avancer ses pions.
Tourner la page
Car le quatrième film du député de la Somme est aussi le moyen de tourner la page d’une dure séquence politique. Au soir des élections européennes (et de la dissolution prononcée par Emmanuel Macron), c’est François Ruffin qui braque les projecteurs en appelant au Nouveau Front populaire. Toute la gauche le soutient, mais le divorce avec LFI n’est pas loin et l’intéressé s’efface. Quoi qu’il en soit, les négociations sur le programme et les nominations se font entre dirigeants à plumes. Il n’en est pas un, et il a même tendance à jouer avec les » frondeurs » rebelle. Ce qui ne l’empêche pas, de loin, de taper du poing sur la table.
Le député sortant proteste contre l’investiture d’Adrien Quatennens et refuse celle du parti mélenchoniste. Le premier tour du 30 juin est une gifle : le voilà devant le candidat RN de 7 points. Entre-deux tours, il a officialisé la rupture avec Jean-Luc Mélenchon en faisant savoir qu’en cas de réélection, il ne siégerait pas sur les bancs insoumis. Il retrouve enfin son mandat mais la suite est un parcours du combattant : pour avoir accusé LFI d’avoir exécuté « campagnes de faciès »il a été sifflé à la Fête de l’Humanité et qualifié par ses anciens collègues de « Le Fantôme de Doriot »un dirigeant communiste qui a ensuite servi sous l’uniforme nazi. Atmosphère.
Depuis, François Ruffin se fait discret. A l’Assemblée, où il siège dans le groupe écologiste et social, le député n’a pris la parole que quatre fois, selon le décompte sur le site de l’institution, et une seule fois en séance. Sur… Mais aussi beaucoup sur sa tournée pour son film.
Marseille, Abbeville, Cachan, Grigny où une séquence deMettez-vous au travail ! a été filmé… Ces déplacements sont l’occasion d’échanger et de s’exhiber aux côtés du maire ou des élus du quartier. Quelle que soit leur appartenance politique – dans les limites de la gauche. Ainsi, François Ruffin pose aux côtés du maire de la cité phocéenne Benoît Payan, de l’édile nantaise Johanna Rolland proche d’Olivier Faure et numéro 2 du PS, du député LFI Christophe Bex, de la députée Générations Sophie Taillé-Polian, du communiste Nicolas Sansu…
Le 2 novembre, François Ruffin revendiquait 12 000 spectateurs pour son film, qui n’est pas encore sorti en salles. Les avant-premières sont épuisées, selon les publications sur les réseaux sociaux. Et ils rappellent des réunions avant l’heure. Lundi 4 novembre, un sondage Ifop pour Sud Radio plaçait François Ruffin comme la personnalité qui « incarne le mieux la gauche » pour les sympathisants/électeurs de gauche (61%), un cheveu devant l’eurodéputé Raphaël Glucksmann (60%). De quoi l’encourager pour 2027 ? La promotion de son film est en tout cas l’occasion rêvée de faire un pas de plus sur le chemin de l’élection présidentielle.
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