Comment faire un barbecue comme un chef grâce à la chimie
L’été est la saison des barbecues et des grillades. Voici les secrets d’un chimiste pour réussir vos grillades comme un chef.
L’été n’est pas seulement la saison des bains de soleil, c’est aussi celle des barbecues et de leurs appétissantes odeurs de fumée. Si 80 % des foyers américains sont équipés d’un barbecue, pas moins de neuf foyers français sur 10 en sont également équipés. En Europe, le podium des plus grands amateurs de barbecue est occupé par les Allemands (1ère place), les Français (2e)et lieu) et les Polonais (3et lieu).
Si tout le monde s’accorde à dire que les aliments grillés au charbon de bois sont savoureux, rares sont ceux qui connaissent réellement la chimie qui se cache derrière ce goût fumé tant apprécié des viandes grillées… Découvrons ensemble quelles molécules sont responsables de ce merveilleux goût ! Mais aussi celles qui pourraient, à long terme, nous causer quelques problèmes de santé si nous ne respectons pas certaines règles simples.
Que se cache-t-il dans le bois et la viande ?
Bien que les grils à gaz envahissent le marché, probablement en raison de leur facilité d’utilisation, de leur chauffage rapide et de leur contrôle précis de la température, presque tout le monde s’accorde à dire que les aliments grillés au bois et au charbon de bois sont beaucoup plus savoureux que les aliments grillés sur des grils à gaz.
Le charbon de bois est un combustible produit par l’homme (contrairement au charbon des mines qui est produit par la nature par un processus très lent) via une réaction physico-chimique appelée carbonisation (ou pyrolyse, le même procédé utilisé dans les fours domestiques pour carboniser les graisses) qui consiste à soumettre le bois à une très haute température dans une atmosphère contrôlée.
Le charbon de bois et le bois contiennent trois composants principaux : la cellulose (la matière qui compose le papier), les hémicelluloses et les lignines. Parmi ces trois composants, seules la cellulose et les lignines jouent un rôle majeur dans la création de l’arôme. La cellulose est un polymère linéaire composé uniquement de glucose (sucre). Les lignines sont des polymères polyphénoliques plus complexes et variés, dont la composition chimique dépend grandement du type de bois. Caractérisés par la présence d’au moins deux groupes phénoliques, les polyphénols sont une famille de molécules relativement complexes largement présentes dans la nature. Parmi les plus connus d’entre eux, outre les lignines, on trouve le resvératrol ou les tannins, présents dans le raisin.
La viande, quant à elle, est composée d’eau (75%), de protéines (19%), de graisses intramusculaires (2,5%), de sucres (1,2%) et d’autres substances non protéiques (2,3%, acides aminés, sels minéraux, etc.). Les protéines sont des polymères naturels composés d’acides aminés qui peuvent être dégradés par la chaleur ou par des enzymes.
L’origine de cette délicieuse saveur fumée
Lors de la combustion du bois et du charbon de bois, la cellulose, les hémicelluloses et les lignines sont décomposées par la chaleur. Les lignines sont responsables de la saveur fumée grâce à la production d’une variété de composés phénoliques (idem pour les phénols) issus de leur dégradation par pyrolyse.
Parmi ces composés phénoliques, les plus importants sont le gaïacol et le syringol, responsables respectivement de la saveur et de l’odeur fumées. Lorsqu’ils sont présents dans la fumée, ces deux composés phénoliques sont piégés par l’humidité des aliments grillés (les jus) et les imprègnent.
Le gaïacol est naturellement présent dans des plantes comme le gaïac, on le retrouve également dans le whisky et le café torréfié, et il est couramment utilisé pour produire de la vanilline à l’échelle industrielle. Le syringol synthétique, quant à lui, est couramment utilisé comme arôme de fumée pour ceux qui veulent le goût du barbecue sans avoir à griller les aliments.
Si le bois et le charbon de bois jouent un rôle crucial dans la production du goût et de l’odeur de la fumée, un autre processus chimique, la « glycation » (également connue sous le nom de réaction de Maillard), contribue également grandement aux saveurs des aliments grillés. C’est également ce processus qui donne à la viande grillée cette couleur brune si caractéristique.
Cette réaction ne se produisant qu’à des températures supérieures à 110°C, le brunissement s’observe principalement à la surface de la viande. Découvert par le chimiste et médecin Lorrain L. Maillard en 1912, ce processus fait intervenir des acides aminés (issus de la dégradation des protéines) et certains sucres présents dans la viande. La composition en acides aminés et en sucres étant assez variable d’une viande à l’autre, la grande diversité apportée par la réaction de Maillard conduit donc à une large palette de profils aromatiques différents.
Mais attention aux produits chimiques nocifs
Si les grillades au bois et au charbon de bois ajoutent une délicieuse saveur et odeur de fumée à la viande, elles peuvent également générer des produits chimiques assez nocifs. Les plus courants sont les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les amines hétérocycliques (AHC) et l’acrylamide.
Les HAP se forment lorsque de la graisse fondue coule sur du charbon de bois chaud. Certains d’entre eux sont cancérigènes. La production de HAP par la cuisson au charbon de bois, qui dépend à la fois de la teneur en graisse de la viande et de la proximité de la source de chaleur, peut être réduite en cuisant plus longtemps à des températures plus basses.
Les HCA et l’acrylamide sont étroitement liés à la réaction de Maillard. En effet, les HCA se forment lors de la cuisson de la viande et se retrouvent généralement dans les parties carbonisées de la viande cuite. De tels composés peuvent également être obtenus à des températures plus basses dans le cas de temps de cuisson trop longs. Il a été démontré que les viandes pauvres en matières grasses génèrent moins de HCA. Comme les HAP, ces composés sont également des composés cancérigènes.
L’acrylamide est un autre cancérigène potentiel. Bien qu’il ait été démontré que des doses élevées d’acrylamide provoquent le cancer chez les souris et les rats, étant donné la concentration relativement faible d’acrylamide dans la viande grillée consommée, le risque associé à la cuisson au barbecue est assez limité tant que la viande n’est pas cuite à des températures excessivement élevées pendant une durée excessive.
Sans la pyrolyse de la lignine et la réaction de Maillard, nous n’aurions pas le plaisir de déguster nos délicieuses grillades estivales aux multiples saveurs et aux couleurs brunes. Phénols, sucres et acides aminés sont les molécules en jeu dans ce style de cuisson très populaire qu’est le barbecue. Si griller de la viande au bois ou au charbon de bois peut sembler la façon la plus simple, voire la plus ancienne, de cuire les aliments, la chimie qui se joue en coulisses est assez complexe. En effet, différents paramètres entrent en jeu, non seulement en termes de saveur, mais aussi en termes de toxicité potentielle.
Par exemple, la provenance du bois et du charbon (c’est-à-dire le type d’arbre) aura un impact important sur la saveur globale (le hêtre apporte une saveur fumée très appréciée des amateurs de barbecue), tandis que le temps et la température de cuisson, ainsi que la distance entre la viande et le feu, peuvent être ajustés pour limiter la production de composés toxiques comme les HAP, les HCA et l’acrylamide. Avec autant de paramètres (par exemple, le type de viande, le bois/charbon, la température, le temps de cuisson), il existe un nombre presque infini de recettes qui peuvent être concoctées. Trouver celles qui conviendront à vos papilles gustatives est simplement une question d’expérimentation ! Qui aurait cru que le barbecue dépendait autant de la chimie ?
Cet article est basé sur le chapitre « Barbecue. La chimie derrière la cuisson au barbecue » du livre « Manuel de gastronomie moléculaire »
Florent Allais, Directeur de l’URD ABI, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Cet article est republié par The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.