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Comment expliquer la hausse des cas de scorbut chez les jeunes en France, notamment parmi les plus vulnérables ?

Une étude pointe l’augmentation en France de cette « maladie du marin », provoquée par une carence en vitamine C et qui peut provoquer des douleurs osseuses et des hémorragies. L’inflation est dénoncée comme une cause importante, mais pas la seule.

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Un enfant hospitalisé aux urgences pédiatriques de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, le 14 octobre 2022. (ALEXIS SCIARD/MAXPPP)

C’est une maladie que l’on croyait datant d’un autre siècle, mais qui refait surface chez les plus jeunes. Le nombre de cas de scorbut chez les enfants augmente en France, selon une étude publiée dans la revue scientifique The Lancet Régional Santé – Europe le 6 décembre 2024 et réalisé par des médecins des établissements français.

Cette « maladie du marin » peut entraîner de graves problèmes de santé, comme des douleurs osseuses, une faiblesse musculaire ou des saignements. Les cas sont encore relativement peu nombreux : les auteurs de l’étude ont dénombré 888 enfants hospitalisés pour scorbut entre janvier 2015 et novembre 2023, à partir des chiffres du Programme de médicalisation des systèmes d’information, qui regroupe les données de l’ensemble des hospitalisations en France.

Mais le phénomène s’accentue : 60 % des cas (536) ont été enregistrés entre avril 2020 et novembre 2023. Le nombre d’hospitalisations de mineurs a également augmenté de près de 2 % par mois depuis mars 2020, contre 0,05 % par mois en 2020. moyenne auparavant. Sans parler des cas qui ne sont pas suffisamment graves pour déclencher une hospitalisation et qui passent donc sous les radars.

Pourquoi cette maladie refait-elle surface ? Le scorbut est provoqué par une carence importante et prolongée en vitamine C (ou acide ascorbique), que l’organisme est incapable de produire lui-même et doit donc recevoir par des apports de fruits et légumes comme « agrumes, pommes de terre, épinards, fraises, choux ou brocolis »énumérer les auteurs de l’étude.

La maladie peut apparaître chez une personne lorsqu’elle absorbe moins de 10 mg de vitamine C par jour pendant un à trois mois, rappelle l’étude. Par exemple, 100 grammes d’orange contiennent en moyenne 47,5 mg de vitamine C, selon l’Anses. Les enfants atteints du scorbut consomment donc très rarement ces aliments riches en vitamine C pendant une longue période.

Le nombre de cas de malnutrition sévère a grimpé en flèche depuis le début de la crise sanitaire : il a connu une augmentation cumulée de 20 % entre mars 2020 et novembre 2023. Et parmi les enfants hospitalisés pour scorbut après mars 2020, 22,6 %. souffraient de malnutrition sévère.

L’étude met en évidence « une corrélation significative et positive » entre le nombre de cas et l’inflation, dans un contexte de crise sanitaire et de guerre en Ukraine. « La pandémie de Covid-19 a eu un impact psychologique et socio-économique majeur et a creusé les inégalités sociales, et les conflits socio-géopolitiques majeurs, comme la guerre en Ukraine, les ont exacerbées. »écrivent les auteurs.

« De plus en plus de gens craignent que les défis socio-économiques posés par la pandémie n’aient fait augmenter le coût de la nourriture, limitant ainsi l’accès à des aliments frais et variés. »

Les auteurs de l’étude sur le scorbut

dans la revue « Lancet »

« On a vu la précarité s’aggraver depuis la pandémie. Les infirmières nous signalent de plus en plus souvent des familles qui n’ont pas mangé faute de moyens »décrit à Libérer Professeur Ulrich Meinzer, pédiatre-chef à l’hôpital Robert-Debré à Paris et l’un des concepteurs de l’étude.

Autre élément qui montre que scorbut et précarité sont liés : la part des jeunes couverts uniquement par la couverture maladie universelle (CMU) a augmenté parmi les mineurs malades du scorbut depuis la pandémie. Il est passé de près de 20 % à 27 % en moyenne entre la période pré et post mars 2020.

Cependant, les professionnels contactés par Libérer suggèrent également des habitudes alimentaires déséquilibrées chez les patients jeunes, même en l’absence de troubles alimentaires ou de difficultés économiques.

Parmi les exemples cités par les praticiens quotidiens, celui d’un garçon d’environ 5 ans, reçu au CHU de Nîmes avec des douleurs osseuses importantes, et pour lequel la possibilité d’un scorbut a été envisagée car « il ne mangeait que du yaourt et du boudoir »rappelle le professeur Tu-Anh Tran, chef du service de pédiatrie et l’un des auteurs de l’étude.

Ou celle d’un adolescent contraint d’utiliser un fauteuil roulant depuis des mois à cause du scorbut, et qui ne mangeait pas. “seulement des pâtes et des Danettes” selon le récit du professeur Eric Jeziorski, chef du service de pédiatrie générale au CHU de Montpellier. « Les enfants qui veulent seulement manger des pâtes n’ont rien de nouveau, mais il y a peut-être moins d’éducation en matière de nutrition. (à cause de) la possibilité de manger des produits transformés en évitant les fruits et légumes »expose le praticien à Libérer.

Une hypothèse qui amène les auteurs de l’étude à formuler plusieurs recommandations. Parmi eux : « intensifier les programmes alimentaires et d’assistance sociale » réduire le taux de malnutrition et d’insécurité alimentaire, mener des études similaires dans d’autres pays à revenu élevé afin d’avoir une vue d’ensemble du problème et former des praticiens « assurer une détection précoce du scorbut et un dépistage proactif des populations à risque ».

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