comment Donald Trump a réussi à reprendre le pouvoir
Le républicain a fait du chemin, moins de quatre ans après sa défaite face à Joe Biden et l’assaut du Capitole.
Une résurrection politique. Le candidat républicain et populiste Donald Trump a revendiqué la victoire « jamais vu » à l’élection présidentielle face à Kamala Harris, mercredi 6 novembre, avant même que le Wisconsin ne tombe entre ses mains et ne scelle son retour à la Maison Blanche. « C’est une victoire exceptionnelle pour les Américains. Une victoire qui redonnera sa grandeur à l’Amérique (…) Nous avons gagné le vote populaire”a déclaré le milliardaire, depuis West Palm Beach, en Floride, où il attendait les résultats du vote.
L’image d’un Donald Trump vaincu quittant la Maison Blanche deux semaines après l’assaut du Capitole appartient bel et bien au passé. Pourtant, aux yeux de beaucoup, ce 20 janvier 2021, il est alors voué à devenir un paria, lui qui a harangué ses partisans ce 6 janvier à Washington pour remettre en cause le processus démocratique. Il a également refusé de se rendre à l’investiture de son successeur, Joe Biden, sans jamais reconnaître la victoire du président élu.
Près de deux ans s’écoulent, et les élections de mi-mandat de novembre 2022 ne marquent pas vraiment le retour triomphal du président déchu, qui rêve de revanche. Les résultats des républicains, qui espéraient une vague rouge, sont mitigés, notamment ceux des candidats trumpistes. Surtout, une alternative se dessine au sein du « Grand Old Party » : le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, est sorti triomphant de ces mi-sessions. L’étoile montante du parti ? « Il a fait campagne avec un programme similaire à celui de Trump, mais avec un visage plus respectable. » soulignait Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire de l’Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès, en début d’année à franceinfo.
Cependant, l’option DeSantis ne tient pas longtemps. L’emprise de Donald Trump sur le Parti républicain reste forte. Le style du milliardaire n’a pas changé, les excès et le complot ne sont jamais loin. C’est encore un carton : à l’approche des primaires pour l’élection présidentielle, Donald Trump creuse l’écart avec son rival ultraconservateur, même en avril 2023, au moment de l’annonce de sa première mise en examen dans l’affaire Stormy Daniels. L’ancien président est accusé d’avoir falsifié des documents pour cacher le remboursement d’un paiement de 130 000 dollars à l’actrice et réalisatrice de porno, une manière d’acheter son silence. Dans les sondages, les intentions de vote pour l’accusé grimpent, de 47 à 54% en dix jours.
Inculpé dans d’autres affaires, notamment pour « complot contre l’État américain », Donald Trump fustige une justice politisée – et l’appareil républicain suit. « Cela coûte cher de s’opposer à un candidat populaire » soulignait, début 2024, le politologue Hans Noel, de l’université de Georgetown, à franceinfo.
« Les dirigeants républicains ne l’ont pas fait parce que Trump a suffisamment d’attrait personnel. Ses partisans l’aiment pour qui il est, ils le suivraient même s’il quittait le Parti républicain. Le mouvement ne veut pas perdre cet électorat. »
Hans Noel, politologue américainen début d’année sur franceinfo
Un instant reflète cet alignement du collectif derrière un seul homme. Le 23 août 2023, huit républicains en lice pour les primaires s’affrontent lors d’un débat télévisé. A la question de savoir si Donald Trump devrait pouvoir revenir au Bureau Ovale, même s’il est condamnésix candidats lèvent la main. Seuls deux d’entre eux s’y opposent.
Les nombreuses affaires judiciaires n’ont pas non plus beaucoup d’effet sur l’opinion publique. « On peut se demander si ses multiples procès n’ont pas contribué à accroître la popularité de Donald Trump. Parce qu’il apparaît comme une sorte de victime de la volonté des démocrates d’abaisser leur principal rival.analysait l’historien André Kaspi mercredi dans Franceinfo en direct.
L’ancien président écrase ses concurrents et remporte les primaires républicaines. La machine de guerre est lancée vers la Maison Blanche. Lara Trump, sa belle-fille, succède à Michael Whatley à la présidence du Comité national républicain. Chris LaCivita, un autre ami proche du milliardaire, en devient le directeur exécutif.
« Il est intouchable, tout semble lui échapper »résumait Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, en début d’année. Son aura auprès de ses partisans s’est encore accrue lorsqu’il a échappé de peu à une tentative d’assassinat le 13 juillet à Butler (Pennsylvanie). Images montrant Donald Trump, le visage ensanglanté, brandissant le poing et criant « Lutte » (« Lutte ») voyager à travers le monde.
Deux jours plus tard, à Milwaukee, Donald Trump apparaissait triomphant au premier jour de la convention républicaine du Wisconsin. Ses anciens adversaires du parti se relaient sur scène pour prêter allégeance. « Donald Trump a été diabolisé, il a été poursuivi et il a failli perdre la vie. Nous ne pouvons pas le laisser tomber »dit Ron DeSantis. La droite américaine est derrière son champion, convaincue de sa victoire le 5 novembre.
Le candidat populiste réussit à convaincre dans un contexte bien différent de celui de 2020. A l’époque, la gestion de la pandémie de Covid-19 était la première préoccupation des électeurs interrogés, rappelle Associated Press. Aujourd’hui, près de 40 pour cent considèrent l’économie comme le problème le plus grave auquel le pays est confronté. L’immigration arrive en deuxième position, selon les sondages de l’agence de presse américaine. Deux sujets martelés par le Républicain au fil des semaines, d’un Etat clé à l’autre.
Donald Trump a l’avantage de ne plus être au pouvoir. Ses discours populistes et ses attaques contre l’administration démocrate sont efficaces, malgré une stratégie remise en question par un adversaire inattendu. Les attaques sur l’âge et la santé de Joe Biden ne sont plus d’actualité, depuis que le président renonce à se présenter après un débat catastrophique contre Donald Trump en juin.
Face à Kamala Harris, la campagne du Républicain prend une tournure sexiste. Il décrit son rival comme un « handicapé mental »un « harpie »implique qu’elle doit sa carrière à des faveurs sexuelles. Les droits des femmes deviennent un sujet de campagne. La démocrate défend le droit à l’avortement et rappelle que Donald Trump fait tout pour entraver la liberté des femmes. L’intéressé affirme, le 31 octobre, qu’il protégera les femmes « qu’ils le veuillent ou non ».
Ces sorties constituent autant de signaux envoyés à son électorat masculin, voire masculiniste, selon Jackson Katz, éducateur et auteur d’ouvrages sur la masculinité en politique aux États-Unis : « Nous avons assisté à une récupération spectaculaire des jeunes hommes par le Parti républicain, et par Donald Trump en particulier, parce que personne ne se souciait vraiment d’eux »il explique.
« Le Parti démocrate se rend tout juste compte qu’il n’a pas suffisamment ciblé les jeunes hommes, laissant un vide dans lequel les Républicains se sont glissés. »
Jackson Katz, essayistesur franceinfo
Ces discours s’inscrivent plus généralement dans le « Vision trumpiste »estime Paul Johnson, professeur de communication à l’université de Pittsburgh (Pennsylvanie), à l’AFP. Il s’agit de décrire un monde « méchant »où le « Les vrais Américains doivent être prêts à se battre pour leur place, à dire des vérités désagréables et racistes et, si nécessaire, à recourir à la violence ». En fait, Donald Trump menace tout, promettant de contester les résultats s’ils ne lui sont pas favorables. Les armes et l’agressivité abondent dans les discours du candidat, par exemple lorsqu’il suggère de pointer des armes sur Liz Cheney, l’une des rares personnalités républicaines à le combattre.
Ses refrains complotistes sur la fraude électorale touchent également une partie de son électorat. « Nous sommes des Américains, nous sommes des soldats de la liberté. Il ne faut pas nous laisser provoquer, nous défendrons la Constitution de toute façon. Et si cela signifie prendre les armes, qu’il en soit ainsi »a par exemple assuré un de ses partisans en Arizona à franceinfo.
Surtout, Donald Trump profite de l’incapacité de la vice-présidente Kamala Harris à prendre ses distances avec son administration. Or Joe Biden « est considéré comme responsable de l’inflation », Clifford Young l’a souligné en septembre : directeur des enquêtes d’opinion pour Ipsos aux Etats-Unis, chez franceinfo.
« Donald Trump domine toujours les fondamentaux, c’est-à-dire qu’il est perçu comme plus fort sur le sujet principal : l’inflation. »
Clifford Young, directeur des sondages chez Ipsos aux Etats-Unisen septembre sur franceinfo
Près de sept électeurs sur dix estiment que la situation économique est mauvaise aux Etats-Unis, selon un sondage publié mardi, relayé par ABC News. Près de la moitié – 45% – confie même que leur situation personnelle s’est dégradée au cours des quatre dernières années. Un tel niveau n’a pas été atteint depuis 2008.
L’économie a ainsi été le principal moteur du vote d’Estevan Manuel, 28 ans, en faveur de Donald Trump. « Les choses étaient bon marché et les taux d’intérêt étaient bas avec Trump. À l’époque, je gagnais bien ma vie. raconte ce chef de petite entreprise, résident de Phoenix, en Arizona. Le jeune hispanique soutient également les propos très durs, souvent xénophobes, de son candidat sur l’immigration clandestine. Cependant, sa grand-mère a émigré du Mexique vers les États-Unis. «Elle est arrivée légalement» répond l’Américain.
Le discours de Donald Trump a porté ses fruits, y compris auprès d’électorats qui semblaient loin d’être certains. Comme le note CNN, les hommes latino-américains ont pour la première fois choisi le républicain plutôt que la personne en face de lui.
Le soutien aux démocrates a également légèrement diminué parmi l’électorat noir américain, par rapport à 2020. Selon AP, environ 80 % des électeurs noirs ont voté pour Kamala Harris, contre près de 90 % il y a quatre ans. Les jeunes semblent également avoir moins de soutien au vice-président : un peu plus de 40 % d’entre eux préféraient Donald Trump, précise AP.
Donald Trump pourrait donc défiler mercredi, lui qui a même remporté pour la première fois le vote populaire, devant Kamala Harris de plusieurs millions de voix au niveau national. Il pourrait même bénéficier de tous les pouvoirs, puisque le Sénat est passé du côté républicain et que la Chambre des représentants semble emprunter la même voie. De quoi lui permettre de mettre en œuvre sa promesse faite en décembre 2023 : «Ils me demandent si je serai un dictateur. Je dis non… sauf le premier jour. »