comme Gisèle Pelicot, ces victimes accusées d’être coupables au procès
Par
Mathilde Desgranges
Publié le
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« Qui est le coupable dans cette salle d’audience ? », a lancé Gisèle Pélicot, mercredi 18 septembre dernier, au procès pour viol de Mazan. Largement relayée dans la presse, la question de la plaignante fait écho à ce que dénoncent depuis longtemps les victimes qui portent plainte pour viol : la virulence des procès.
« Madame a été volontaire et joueuse pour aller partager un moment à trois », contredit un avocat au procès de Dominique Pelicot et la douzaine de coaccusés qui l’accompagnent. Le mari de Gisèle Pelicot est accusé d’avoir drogué sa femme pendant près de dix ans et invité des inconnus à la violer. « Vous n’auriez pas des tendances exhibitionnistes que vous n’accepteriez pas ? » », demande un autre avocat. Face aux questions violentes de la défense, l’accusatrice se retrouve ainsi dans la position de l’accusé.
Il n’est pas rare, lors de ces procès déjà « extrêmement difficiles » pour les victimes, selon les mots de l’avocate spécialiste des droits des femmes Anne Bouillon, qu’elles soient confrontées à de tels propos culpabilisants. Comme une double peine.
« Un enfer », « un véritable traumatisme »… Lors de ces procès, de nombreuses personnes ont également eu l’impression d’être sur le banc des accusés. Pourquoi les victimes de viol sont-elles poussées dans leurs retranchements, comme si elles étaient soupçonnées d’être complices des violences qu’elles ont subies ?
« Mes traumatismes sont les souvenirs du procès »
« Non, mais où en sommes-nous ? Lors d’un rendez-vous avec Marlène Schiappa ? », « Si on l’écoute, elle se fait violer tous les jours », « Bientôt, tu vas écrire un livre ? Ou en faire un film ? »… Lors du procès de son ex-compagne pour viols et violences conjugales, Alison Blondy a également entendu de nombreux propos dégradants. « On m’avait prévenu que le tribunal correctionnel était un véritable rouleau compresseur, mais Je n’avais aucune idée à quel point c’était violent
», assure la victime àactu.fr.
Plus d’un an et demi après la confrontation, « je suis dans un état post-traumatique », confie cette femme dont l’ex-conjoint a été reconnu coupable et condamné à 12 ans de réclusion criminelle. » Et mes traumatismes sont les souvenirs du procès. »
Cette dernière dit avoir « encore des flashs, et les propos de l’avocat, qui vous culpabilisent et vous discréditent, (qui) tournent en boucle dans (sa) tête ». Elle se souvient des paroles, mais aussi des soupirs d’impatience lorsqu’elle parlait à la barre, et de ses yeux roulant vers le ciel.
En tant que victime, « on fait ressortir tout ce que vous avez vécu, on vous rabaisse sur terre, on vous culpabilise beaucoup ».
« J’ai été déshabillé devant tout le public »
«C’est toujours un véritable calvaire», assure l’avocate Anne Bouillon, qui accompagne depuis vingt ans les victimes de violences sexistes et sexuelles (SGBV).
Si les accusations sont contestées, il faut se battre pour faire prospérer sa parole, ce qui donne souvent lieu à de violents débats. Et, même lorsque ce n’est pas le cas, il faut quand même évoquer une chose intime, perçue comme honteuse pour celui qui la vit.
D’autant que, lors du procès, « on parlera forcément de la vie privée, de la vie de l’accusé, de la vie de la partie civile », explique Olivier Leurent, ancien président de la cour d’assises, dans un entretien à la Cour d’assises.AFP. C’est très difficile et c’est parfois extrêmement violent pour les personnes interrogées. »
Depuis plusieurs jours, la vie privée du plaignant a été scrutée. Blandine Hupert, victime de viol incestueux, a vécu le procès comme un « grosse atteinte à (sa) vie privée ».Sans la prévenir, « les avocats ont projeté des photos (d’elle), très jeune et nue, sur l’écran géant de la salle d’audience », raconte-t-elle.
Même son de cloche pour Alison Blondy. « Photos (prises à son insu –ndlr) me montrant nue et endormie ont été projetées sur l’écran. » Cette fois encore, elle n’a pas été prévenue, et a vécu un choc « assez violent ».
Contrainte, de son côté, de décortiquer en public son passé marqué par l’inceste, Louise reste dans un véritable traumatisme. « J’ai été exposé devant tout le public, honnêtement, Je l’ai vécu comme un deuxième viol», confie-t-elle, victime d’un violeur récidiviste.
Le sentiment de « ressembler à un fou »
Au-delà des propos humiliants et dégradants, de vraies accusations . Lors du procès, Louise affronte les avocats de la défense. Prêts à tout pour discréditer son témoignage, ils la font presque « passer pour une folle ».
« Non, je ne suis pas folle », « non, je ne suis pas paranoïaque », « non, je n’ai rien inventé », a dû justifier la jeune femme, alors âgée de 23 ans, tout au long de son procès. « Si j’avais su, j’aurais engagé un meilleur avocat »regrette celui qui se contentait, à l’époque, d’un avocat commis d’office. « Je ne pensais pas en avoir besoin, ce n’est pas moi qui suis à blâmer. » »
La victime, dont l’agresseur a été condamné à 10 ans de prison, était accusée de mensonge. « On m’a dit que ce n’était pas possible qu’autant de choses m’arrivent en 23 ans de vie… Comme s’il y avait un quota, comme si j’avais choisi d’être une victime. »
Lors du procès de l’agresseur d’Alison Blondy, la plaignante n’a pas été la seule à faire face à ces critiques. « Je me sentais d’autant plus coupable que les témoins, mon ex-mari et un ancien collègue, étaient traités de menteurs », raconte-t-elle. Même l’enquête menée par la police a été remise en cause, et jugée « jetée à l’eau ».
L’obligation d’impartialité des juges
Tout au long du procès, les victimes sont confrontées à l’obligation d’impartialité des juges, nécessaire à la manifestation de la vérité.
« Cette obligation nécessitera des questions qui peuvent être ressenti comme remettant en cause ce crédit de bonne foi qu’elle attend : » A travers vos questions, vous insinuez que peut-être je n’ai pas dit la vérité, que peut-être ce que j’ai dit était erroné. Alors, vous ne me croyez pas », explique Olivier Leurent àAFP.
Pourtant, la démarche est nécessaire « car une parole accusatrice ne prouve rien », ajoute l’avocate Anne Bouillon. « Toutes les questions doivent pouvoir être posées, il ne peut y avoir d’angle mort », poursuit-elle. Nous discutons de toutes les éventualités… y compris celui où le plaignant ne dit pas la vérité. »
La question de la responsabilité
Pourtant, « il existe des manières de conduire le procès et les interrogatoires, et on n’est pas forcément obligé d’être méfiant, virulent ou agressif », souligne Anne Bouillon. Car, si toutes les questions doivent être posées, « parfois elles ne sont que préjugés ou jugements de valeursous le feu nourri des questions. »
Certains posent « des questions sales, qui n’ont d’intérêt à être posées qu’en raison du message implicite qu’elles véhiculent », estime l’avocat. Souvent, cela vient du désir de semer le doute non pas sur les faits, mais sur la moralité. Ce qui est remis en question, c’est la responsabilité de la victime. »
Dans ces procès, son consentementune notion que le nouveau garde des Sceaux souhaite inscrire dans la loi, reste centrale avec, souvent, une défense « qui évoque un partage de responsabilité ».
Vers une évolution dans le traitement de ces dossiers ?
Pour surmonter les tensions, l’avocate des droits des femmes, qui exerce depuis vingt ans, fait évoluer sa pratique. « J’ai changé mon mode opératoire, je suis moins dans l’attaque, pour qu’un mot, une histoire surgisse de ces longues heures d’écoute », explique-t-elle. De manière générale, « on nous apprend de plus en plus à être sensibles à ces questions », renchérit Lois Pamela Lesot, jeune avocate pénaliste.
« La définition actuelle du viol dans le Code pénal est une présomption de consentement implicite», dénoncent des députés de gauche, dans une proposition de loi favorable à l’inclusion de la notion de consentement dans la définition du viol. Si elle est adoptée, cette mesure pourrait modifier le traitement de ces dossiers.
Mais, pour l’heure, les victimes insistent surtout sur la nécessité d’une préparation efficace en amont. « La tromperie est de penser que pour la victime, le procès est le point culminant de sa thérapie, mais il est extrêmement important de permettre à la victime pour atteindre plus facilement la résilience», insiste Olivier Leurent.
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