Claudia Sheinbaum, favorite du scrutin, un paradoxe dans un pays rongé par le machisme
ALFREDO ESTRELLA / AFP
Claudia Sheinbaum (Photo de Claudia Sheinbaum prise le 29 mai 2024)
MEXIQUE – Le paradoxe mexicain a un nom : Claudia Sheinbaum. Cette femme est en passe de devenir la nouvelle présidente du Mexique à l’issue de l’élection présidentielle qui s’ouvre ce dimanche 2 juin. Poussée par la popularité du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador (« Amlo » pour les intimes), qui a installé la gauche au pouvoir, elle affronte une autre femme, l’opposante de centre droit Xochitl Galvez.
Sauf surprise, le leader du parti Mouvement de régénération nationale (Morena), largement en tête dans les sondages, devrait remporter ce scrutin. Selon une enquête réalisée du 22 au 27 mai par la société de sondage Parametria, Claudia Sheinbaum a obtenu 53% des intentions de vote, devant Xochitl Galvez et ses 36%.
Deux candidats en tête des sondages, un fait totalement inédit au Mexique, pays rongé par le machisme, souligne le HuffPost Jimena Reyes, directrice du bureau Amériques de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme). » C’est très paradoxal que Claudia Sheinbaum soit la favorite. Même s’il est de bon ton que les femmes accèdent au pouvoir, celui-ci est très fort. »
Faire » appeler la femme compétente »
Comment expliquer cette montée au pouvoir des femmes ? Une question à laquelle il est difficile de répondre concrètement, mais le spécialiste évoque un « situation courante « , » qui veut que quand on est au fond du trou, on pense à la femme compétente » en dernier recours pour tenter de résoudre la situation, explique-t-elle schématiquement, reprenant ainsi le concept de falaise de verre.
Jimena Reyes évoque ainsi l’insécurité et la violence liées au crime organisé dans le pays. En 2022, le décompte officiel a recensé plus de 100 000 disparitions forcées et plus de 33 300 assassinats sur la seule année 2022, soit 91 par jour. » Ce sont des chiffres semblables à ceux d’une guerre civile », déplore-t-elle, évoquant la présence de différents groupes du crime organisé qui sévissent sur le territoire et qui « acheter les autorités « .
Tout au long de sa campagne présidentielle, elle a promis de lutter contre ces fléaux, même si, comme le souligne CNNelle s’est montrée très timide quant à ses propositions pour y parvenir, tout comme son rival Xochitl Galvez.
La franchise d’un scientifique, loin des discours d’une tribune
Mais le candidat sait rassurer. Tout en incarnant le changement, elle assume rester dans la même lignée qu’Amlo et ses 60% d’avis favorables. « Nous poursuivrons le travail du président Andrés Manuel López Obrador, il n’y aura pas de régression ni de retour au passé, nous poursuivrons la transformation »elle a expliqué.
Et les points communs entre le président sortant et son héritier s’arrêtent là. C’est aussi le paradoxe de Claudia Sheinbaum : le Mexique a été habitué à des présidents aux discours lyriques, au profil de tribune. Ce qui n’est pas du tout le cas de Claudia Sheinbaum.
» Le profil de la tribune est celui d’Amlo, celui de ceux qui parlent facilement, qui feront de grands discours, virant parfois au populisme, avec facilités intellectuelles et stigmatisation de groupe. » explique Jimena Reyes. Alors que la personnalité plutôt distante de Sheinbaum est tout le contraire. » C’est une scientifique, elle le revendique, elle a un esprit carré et rigoureux. Elle dit ce qu’elle a à dire sans détour », souligne le spécialiste du HuffPost.
Expert de l’ONU, secrétaire à l’environnement et maire de Mexico
Fille de scientifiques et petite-fille de réfugiés juifs de Bulgarie et de Lituanie, elle est docteur en physique et spécialiste en ingénierie énergétique. Elle a travaillé comme experte à l’ONU et a été, en 2000, secrétaire à l’environnement au Mexique, dans le gouvernement de Manuel Lopez Labrador.
Elle est surtout issue de cette première génération d’hommes politiques à ne pas être issue du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le parti unique qui a vu se succéder tous les dirigeants mexicains du XXe siècle.
Autre exemple éloquent, quand Amlo recevait chaque matin des journalistes pour vanter les réalisations de son gouvernement, lors de son « mañanera», Claudia Sheinbaum, en tant que maire, recevait chaque matin les citoyens pour écouter leurs problèmes. En effet, la candidate a été maire de la capitale, Mexico, de 2018 à 2023. Une mégapole urbaine de 9 millions d’habitants, en proie à la corruption, à la criminalité et aux violences faites aux femmes.
La violence contre les femmes à son paroxysme
Des problèmes que Claudia Sheinbaum va rencontrer à l’échelle nationale. Outre l’incroyable violence qui règne dans les rues, les femmes constituent une cible privilégiée. Les données les plus récentes de l’Institut national de statistique et de géographie du Mexique révèlent qu’au moins 11 852 féminicides ont été enregistrés au cours des trois premières années de la présidence d’Amlo. Celles-ci n’aboutissent souvent pas à des poursuites, avec un taux d’impunité de 88,6 % pour les cas de féminicide, selon le groupe de réflexion Mexico Evalua.
» Il y a une violence extrême au Mexique, la violence domestique bien sûr, mais aussi au sein du crime organisé, au-delà du trafic de femmes et de la prostitution. », souligne Jimena Reyes. Elle évoque ainsi des acteurs criminels qui cèdent » la consommation « , là » réification » des femmes, notamment dans les cartels.
Et pourtant, Claudia Sheinbaum s’apprête à être élue en annonçant que sa première action en tant que présidente portera sur l’égalité femmes-hommes. De quoi souligner encore davantage ce fameux paradoxe mexicain.
Reste à savoir comment sa victoire sera accueillie, alors que les assassinats de personnalités politiques se poursuivent ces derniers mois, notamment au niveau régional et à deux jours du scrutin.
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