Si Jade, Romy, Gabriel et Léo ont le vent en poupe chez les enfants, côté IA, on préfère Albert, Mona, Claude ou Georges. Plusieurs interfaces d’intelligence artificielle générative portent des noms au charme suranné – pour ne pas dire des prénoms de personnes âgées –, une manière de conjurer les craintes liées à cette nouvelle technologie qui bouscule nos sociétés, selon les experts.
« Tradition et valeurs »
Lorsqu’il a fallu trouver un nom à son outil d’intelligence générative, spécialisé dans l’aide à la création d’entreprise, Rachid Belaziz a contacté son équipe marketing. Le consensus est vite arrivé, ce serait Georges.
Celui-ci évoque « quelqu’un de calme », « réfléchi », « avec de l’expérience » et renvoie à une idée de « tradition et de valeurs », le chef d’entreprise originaire du Gers, dans le sud-ouest de la France. « Il faut de la sérénité car les gens sont souvent excités lorsqu’ils veulent démarrer leur entreprise », poursuit-il.
Georges est un agent conversationnel (ou « chatbot ») avec lequel un utilisateur peut discuter de son projet pour réaliser un business plan en quelques minutes. Une tâche qui peut habituellement prendre entre deux à trois semaines. Il est là « pour fixer un cadre, un peu comme un professeur », explique Rachid Belaziz.
Un prénom facile à retenir
Ulrich Tan, de la Direction interministérielle du Numérique (Dinum), qui a développé Albert, une intelligence artificielle déployée dans l’administration française, cherchait quelque chose de « mémorable ». Et surtout pas un acronyme.
« De nombreux agents publics connaissent aujourd’hui cette IA car ce n’est pas un nom qu’on a l’habitude d’entendre ailleurs et encore moins dans le monde numérique », souligne-t-il.
Aide à la recherche d’informations, à la synthèse de documents ou encore à la génération de réponses aux avis des utilisateurs : près de 200 fonctionnaires utilisent désormais Albert, lancé en janvier dans plusieurs services de l’État français.
« Chaleureux et attachant »
La start-up californienne Anthropic a baptisé son modèle d’IA générative Claude, en hommage au mathématicien américain Claude Shannon, dont les théories sur le langage binaire appliquées aux circuits électriques ont rendu possibles les réseaux de communication de masse modernes. .
« Claude est là pour vous aider », clame le site de la start-up, qui a dévoilé sa première version en mars 2023.
Comme son rival ChatGPT créé par OpenAi, et dont la sortie en 2022 a lancé la révolution de l’IA générative, Claude peut produire toutes sortes de contenus sur une simple requête dans le langage courant, et permet d’interagir avec une machine comme jamais auparavant. Le tout avec un nom « chaleureux et attachant », explique à l’AFP un porte-parole d’Anthropic.
Comme un grand-père
Ce choix de prénoms est avant tout « une stratégie de réassurance » pour la sémiologue Gaëlle Pineda face à une technologie qui « fait peur ». Il s’agit ainsi de « donner incarnation, chair, à quelque chose qui, dans les représentations culturelles, en est dépourvue », poursuit-elle.
Les intelligences génératives n’ont fait irruption dans nos vies que récemment, qu’il s’agisse de digérer des textes complexes, de produire des poèmes en quelques secondes ou de réussir des examens médicaux. Un sursaut qui suscite autant de promesses que d’inquiétudes sur les plans économique, social et sociétal.
L’IA évoque ainsi des craintes liées à « un futur dystopique, à la Orwell ou Terminator », fait écho Elodie Mielczareck, sémiologue, à l’AFP. « La meilleure façon de conjurer cette peur, c’est d’injecter du passé, une profondeur historique » que peuvent avoir les prénoms dépassés, soutient-elle.
« On imagine que Claude ou Georges sont des gens d’une génération avant nous et donc qui ont su emmagasiner une certaine sagesse qui serait une sagesse d’humanité », pour l’expert.
L’équipe d’Anthropic souhaite que les internautes imaginent Claude comme « quelqu’un à qui on irait demander conseil », à la manière d’un grand-père.
Ulrich Tan, quant à lui, voit dans la tendance des prénoms néo-rétro une façon de rappeler « qu’il y a eu des avancées technologiques dans le passé et qu’il y en aura dans le futur ». « Aujourd’hui, travailler sur une technologie de pointe, c’est à terme poursuivre sur cette dynamique », conclut-il. Comme un lien entre le passé et le futur.