cinq questions sur le projet de fusion, bientôt examinées à l’Assemblée nationale
Un appel général à la grève. Les syndicats de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA) appellent à se mobiliser jeudi 23 mai et vendredi 24 mai contre la réforme de l’audiovisuel public, votée au Sénat en juin 2023 mais largement révisée en commission. à l’Assemblée à la mi-mai. Les députés européens doivent en parler dans les prochains jours dans l’hémicycle. Le sujet d’un rapprochement, voire d’une fusion des médias publics, récurrent depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, s’est rapidement dessiné depuis la prise de fonction de la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, en janvier.
1Qu’est-ce que la radiodiffusion publique ?
Dans le vaste paysage de l’audiovisuel public, France Télévisions est le poids lourd. Il regroupe les chaînes France 2, France 3 (et ses antennes régionales), France 4 et France 5, la chaîne d’information franceinfo et le site franceinfo.fr (en collaboration avec Radio France), le réseau Outre-mer La 1ère et le plateforme numérique france.tv. A ses côtés, Radio France regroupe les stations généralistes France Inter et franceinfo, les stations thématiques France Culture, France Musique, FIP et Mouv’, le réseau local France Bleu (en pleine fusion avec France 3), ainsi que des orchestres et des chorales.
France Médias Monde (FMM) est le groupe en charge du secteur audiovisuel extérieur de la France. Il regroupe la chaîne d’information France 24 (en français, anglais, arabe et espagnol), la radio RFI (en français et 16 autres langues) et la radio arabe Monte Carlo Doualiya (MCD).
Enfin, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) est chargé de l’archivage des images et des sons de la télévision et de la radio. Ces dernières années, elle est également devenue un média à part entière, en exploitant ses archives. L’audiovisuel public comprend également les chaînes de télévision TV5 Monde et Arte, mais elles ne sont pas concernées par la réforme en cours car elles ont un statut international.
2 Que prévoit le projet de réforme ?
La réforme sur laquelle doivent se prononcer les députés s’appuie sur un projet de loi d’un sénateur centriste de l’Union, Laurent Lafon, adopté par le Sénat en juin 2023. Dans cette version du texte, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA devaient être regroupées, au 1er janvier 2025, dans une société holding baptisée France Médias. Une structure ayant pour objectif de « définir les orientations stratégiques » des quatre sociétés et « pour assurer la cohérence et la complémentarité de leurs offres de programmes ».
Rendue aux oubliettes après son adoption au Sénat, la proposition a été exhumée par l’exécutif début 2024, et la voici désormais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée, avec une modification importante. Un amendement du gouvernement, adopté par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, fait de la holding une étape transitoire, avant une fusion des quatre sociétés au 1er janvier 2026. L’entreprise géante disposerait alors d’un budget de quatre milliards d’euros et de quelque 16 000 salariés. Son PDG serait « nommé pour cinq ans par Arcom »l’autorité de régulation de l’audiovisuel – dont le président est nommé par l’Elysée –, comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour la plupart des entités publiques de l’audiovisuel.
Dans ce projet, le sort de France Médias Monde ne semble pas décidé. Lors de l’examen du projet de réforme en commission, Rachida Dati a préconisé l’intégration de cette entité dans le nouvel ensemble. Mais lors de l’examen en commission, les députés se sont prononcés contre la présence de FMM dans la holding. Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, avait alors affirmé que le gouvernement était finalement favorable à son exclusion de l’entreprise unique. Les discussions pourraient néanmoins être serrées, le droit étant attaché à son inclusion.
3 Quel serait l’intérêt d’une fusion ?
Nous devons nous rassembler pour être plus forts face à la concurrence accrue des réseaux sociaux, des médias privés et des plateformes américaines comme Netflix, insistent les promoteurs de la fusion. Les synergies déjà existantes entre les différentes sociétés sont «insuffisant tant en termes de partenariats éditoriaux que de fonctions supports», détaille le rapport de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. La fusion doit notamment permettre de « déployer une stratégie numérique unifiée et puissante, regrouper les moyens éditoriaux et ouvrir la voie à plus d’innovation dans la production et le développement de nouveaux formats pour prendre en compte tous les publics et tous les usages ». Ces arguments n’ont pas trouvé grâce aux yeux de cinq anciens ministres de la Culture, qui ont témoigné devant les députés au printemps et mis en garde contre une réforme qu’ils jugent coûteuse, inefficace et hors des enjeux du moment, rappelle La Chaîne Parlementaire.
Pour la droite, la réforme est aussi l’occasion de proposer de nouvelles économies sur le budget de l’audiovisuel public, déjà soumis à plusieurs coupes ces dernières années. « Je ne vois pas pourquoi le secteur audiovisuel en France ne ferait pas comme les Français, à l’heure où nous avons 3,100 milliards de dettes »a ainsi estimé sur franceinfo Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR et membre de la commission des affaires culturelles du Sénat. Un discours qui tranche avec celui de la majorité. « Il ne s’agit pas d’économiser de l’argent »assure ainsi le rapport de la commission de l’Assemblée, soulignant que « La radiodiffusion publique fonctionne bien ».
4 Qu’en pensent les entreprises concernées ?
Les orientations des différentes entités sont partagées. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, soutient le projet de holding puis de fusion. Si le projet se concrétise, elle apparaît comme une candidate logique à la présidence de cette nouvelle entreprise. Son homologue de Radio France, Sibyle Veil, est favorable à une société holding, mais opposé à une fusion. La présidente de France Médias Monde, Marie-Christine Zaragosse, souhaite préserver le « spécificité » de l’audiovisuel public à l’échelle internationale, quelle que soit la solution retenue. Enfin, le président de l’INA, Laurent Vallet, est favorable à la holding ainsi qu’à la fusion.
Les organisations syndicales du secteur sont en revanche opposées à toute fusion, notamment au scénario de fusion. Des préavis de grève pour jeudi 23 et vendredi 24 mai ont été déposés dans les quatre entreprises publiques, où l’on craint pour les ressources, l’emploi et l’indépendance éditoriale. « A l’heure où l’audiovisuel public joue pleinement son rôle face à des médias privés contrôlés par une poignée de milliardaires, pourquoi l’engager dans une fusion qui s’annonce longue, complexe, anxiogène pour les salariés, et sans véritable rédaction éditoriale. objectif? « demandent les syndicats de France Télévisions. « Le risque est avant tout démocratique »pointent également plus d’un millier de salariés de Radio France dans une tribune à Monde. « Nous craignons pour l’indépendance de vos médias de service public lorsqu’un seul PDG doté de pleins pouvoirs est nommé pour cette superstructure. »
Les syndicats réclament plutôt « la mise en place rapide, au plus tard à l’automne 2024, d’un système de financement durable et dynamique du service public audiovisuel »qui garantit son « indépendance ». Depuis la suppression de la redevance en 2022, le secteur est financé par une fraction de la TVA, selon un mécanisme provisoire. députés Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (LR) travaillent également sur un autre projet de loi visant à assurer un financement à long terme de l’audiovisuel public, via un « prélèvement sur les recettes » du budget de l’Etat.
5Quel est le rapport de force à l’Assemblée sur ce texte ?
S’il est soutenu par la droite et l’extrême droite au Parlement, l’exécutif rencontre des résistances dans son propre camp, les députés MoDem s’étant déclarés opposés à une fusion. « Une société holding peut être un outil intéressant » mais « la fusion avec une date fixée comme celle-là, assez proche, semble prématurée et surtout précipitée »se défend Erwan Balanant, porte-parole du groupe, sur franceinfo.
La gauche, de son côté, se heurte au projet même de holding. « Sa mise en œuvre serait l’aboutissement d’un processus de dénigrement et d’affaiblissement financier de l’audiovisuel public mené méthodiquement depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir »pensez par exemple aux députés de La France insoumise (LFI), rappelant que les médias publics peuvent se féliciter de bonnes audiences, et n’ont donc pas besoin d’être « renforcé ».