Les élections municipales turques de dimanche constituent le pire revers électoral du président Recep Tayyip Erdogan depuis l’arrivée au pouvoir de son parti islamo-conservateur AKP en 2002.
Les élections municipales de dimanche 31 mars ont infligé leur pire défaite au président turc Recep Tayyip Erdogan et à son parti islamo-conservateur, l’AKP, au pouvoir depuis 22 ans.
Cinq choses à savoir sur cette élection qui a tourné à la débâcle pour le camp présidentiel.
Un vote local, des enjeux nationaux
En s’impliquant personnellement dans la campagne pour les élections municipales aux côtés des candidats de son parti, notamment à Istanbul qu’il voulait à tout prix reconquérir, Recep Tayyip Erdogan a donné à ce scrutin local une résonance nationale.
Plus que la débâcle du candidat de l’AKP dans la mégapole, le peu charismatique Murat Kurum, c’est celle du chef de l’Etat qui a été abondamment commentée dimanche.
Son parti n’a pas réussi à reconquérir les grandes villes perdues il y a cinq ans, notamment Istanbul et la capitale Ankara, mais il a également perdu des capitales provinciales de l’Anatolie conservatrice, longtemps considérées comme acquises.
Berk Esen, politologue à l’université Sabanci d’Istanbul, a évoqué « la plus grande défaite électorale de la carrière d’Erdogan », notant à l’inverse que le CHP, premier parti d’opposition, a enregistré « son meilleur résultat depuis les élections de 1977 ».
Le poids de la crise économique
Outre une possible lassitude de retourner aux urnes dix mois après les élections présidentielle et législatives de mai 2023, les électeurs, confrontés à une grave crise économique, ont sanctionné le gouvernement : une inflation de 67 % sur un an et le dévissage de leur monnaie font la vie quotidienne de nombreux Turcs de la classe moyenne est insupportable.
Cette désaffection s’est notamment traduite par une baisse de la participation par rapport à 2019.
« Les changements les plus importants en Turquie se produisent lorsque les gens ne peuvent plus mener leur vie quotidienne, lorsqu’ils ne peuvent plus manger », note Ali Faik Demir, professeur à l’université Galatasaray d’Istanbul.
Istanbul et Ankara, fiefs de l’opposition
« Celui qui gagnera Istanbul gagnera la Turquie », a coutume de dire le président Erdogan. Byzance puis Constantinople, la mégapole multimillénaire de 16 millions d’habitants (près d’un cinquième de la population turque) est à la fois le joyau du pays au passé prestigieux, sa capitale culturelle située sur le Bosphore, mais elle est aussi le « trésor » au sens strict du terme, représentant à lui seul 30 % du PIB turc.
« Ce n’est pas facile de gérer Istanbul, une ville plus peuplée que vingt pays de l’Union européenne… C’est une plaque tournante, un centre commercial, financier et culturel. C’est un pays », commente Aylin Unver Noi, professeur à l’Université Haliç d’Istanbul. , pour qui « ceux qui parviennent à diriger cette ville et à y faire leurs preuves » voient alors leur carrière décoller.
Recep Tayyip Erdogan l’a vécu, lui qui fut maire en 1994.
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Passées aux mains du principal parti d’opposition il y a cinq ans, les deux plus grandes villes de Turquie, détenues par l’AKP (Parti de la justice et du développement) et ses prédécesseurs islamistes entre 1994 et 2019, ont vu dimanche leurs deux maires sortants triomphalement réélus. .
A Istanbul, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) du maire Ekrem Imamoglu a remporté 26 des 39 districts (contre 14 en 2019), dont certains étaient auparavant considérés comme des bastions conservateurs, notamment celui d’Üsküdar. où le chef de l’Etat a sa résidence.
À Ankara, la capitale, le CHP a remporté 16 des 25 districts, dont Keçiören, le deuxième plus peuplé dirigé par l’AKP et ses prédécesseurs islamistes depuis 1994.
Le crépuscule d’Erdogan ?
Au pouvoir depuis 2003 comme Premier ministre, puis comme Président depuis 2014, réélu en 2018 et 2023, le chef de l’Etat, pour qui il s’agissait de sa cinquième élection municipale, a bravé bien des tempêtes.
Il a survécu aux grandes manifestations de l’opposition à Istanbul en 2013, connues sous le nom de Gezi, qui se sont étendues à 80 des 81 provinces du pays. Puis à une tentative de coup d’État en juillet 2016, suivie de vastes purges.
Aussi, l’effondrement de son parti signifie-t-il la fin du chef de l’Etat ? Les analystes avaient déjà annoncé le crépuscule du « reis » en 2019 après la défaite d’Istanbul et d’Ankara aux élections municipales. Il parvient cependant à se maintenir au pouvoir, réélu à la présidence en mai 2023 avec 52 % des voix.
Cette fois, il a laissé entendre que ces élections seraient ses « dernières ».
Bayram Balgi, chercheur au CERI-Sciences Po à Paris, en est convaincu : « Il est capable de surprendre et de décider de mettre un terme à sa carrière. Une manière de sortir avec style, tout en restant fidèle à sa vision de l’Islam et à ses convictions religieuses que rien est éternel sur cette terre.
Président Imamoglu ?
Le maire d’Istanbul, reconduit à la mairie, est plus que jamais le « patron » de l’opposition : il a la stature, la popularité, le sens médiatique et surtout, l’appétit de conquête, jusqu’à la présidence. C’est ce que ne manquent pas de lui reprocher ses adversaires au sein de son parti, qui lui reprochent de se soucier davantage de sa carrière que des affaires de sa ville.
Surtout, Ekrem Imamoglu est dans le viseur des autorités qui l’ont condamné fin 2022 à deux ans et sept mois de prison pour « insulte » aux membres de la Haute commission électorale turque.
L’édile a fait appel mais cette sentence continue de menacer son avenir politique et l’avait exclue de la course à la présidentielle de mai 2023.
Avec l’AFP