Cinéma décalé : « Carcasse divine », de Dominique Loreau
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Cinéma décalé : « Carcasse divine », de Dominique Loreau

Cinéma décalé : « Carcasse divine », de Dominique Loreau

Les aventures d’une 403 Peugeot en Afrique. Un docufiction hors du commun, disponible en VOD, conçu comme un « marabout-de-string », qui mène du matérialisme occidental à l’animisme africain, de manière un peu ironique.

Publié le 21 juin 2024
Mis à jour le 21 juin 2024 à 10h27

Le principe de « Au chance Balthazar » de Bresson appliqué à l’automobile ? C’est un peu ce que suggère « Divine Carcass » (1998), curieux docufiction belge de Dominique Loreau. Mais ici, au lieu de suivre le destin tragique d’un âne, on s’intéresse au parcours d’une vieille Peugeot 403 déchargée au port de Cotonou au Bénin et à ses avatars.

Bien entendu, la comparaison est un peu approximative, puisque dans ce cas la voiture n’est en aucun cas personnifiée. Ce n’est pas Christine, la méchante voiture de Stephen King. Il s’agit néanmoins d’une façon plutôt originale d’entrer et de vivre la vie africaine, en passant des centres urbains grouillants aux villages traditionnels. Le film permet d’abord d’interroger les relations postcoloniales entre expatriés occidentaux et autochtones.

Le premier propriétaire de la 403 était probablement un agent de développement belge, un écrivain ou un chercheur ayant à son service un cuisinier africain, Joseph. Il héritera du véhicule récalcitrant (il tombe constamment en panne), qui connaîtra une existence mouvementée.

Une spirale de situations et de tableaux

La particularité du film est de rester dans un entre-deux lointain. Hormis Joseph, les personnages n’ont pas de nom et sont plutôt des « modèles », comme Bresson, ou plutôt comme Tati ou encore son disciple, Otar Iosseliani, dont les histoires ressemblaient à des courses de relais. Non pas l’ombre d’une intrigue romantique mais un réseau de situations et de tableaux pour illustrer l’avenir de cette Peugeot, seul repère visuel dans cette Afrique colorée où l’on ne sait plus où donner de la tête.

Le véhicule est un prétexte, qui permet élégamment de faire le lien entre le matérialisme occidental le plus ordinaire (la voiture tombe en panne, on la jette) et l’animisme africain. Même réduite à l’état de coquille, la 403 connaît une forme de rédemption lorsqu’un sculpteur local découpe ses portes en lamelles et les utilise pour réaliser une statue moderne d’une divinité, style art brut. D’où le titre du film. Cette statue fera ensuite un long voyage qui vous permettra de voir le pays. Un croisement d’apparences qui, passant de la mécanique aux pratiques votives, n’est pas sans rappeler le cinéma de Jean Rouch dans sa candeur assumée.

Il semble également que Dominique Loreau ait pris des leçons auprès de ce cinéaste ethnologue, ce qui pourrait expliquer sa démarche. Elle a filmé d’autres œuvres en marge du documentaire, mais sans lien avec l’Afrique, comme « Une si longue marche », sur la transhumance des crabes à travers la Flandre, ou « Dans le regard d’une bête », une étude singulière sur les relations entre humains et animaux — également visibles sur la plateforme documentaire Tënk.

« Carcasse divine » de Dominique Loreau. Belgique, 1998, 1h23

A voir sur-tenk.com

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