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Chronique pour ne pas piquer les hannetons

Un après-midi, ma progéniture est revenue de l’école à une heure d’arrivée très éloignée de celle indiquée sur l’horaire affiché sur notre frigo. Aucun doute : l’adolescent a pris le chemin des écoliers peu pressés de faire leurs devoirs. En embuscade derrière la porte d’entrée, je le récupère avec un glacial : « Alors, on était en virée ? « . Ma progéniture me regarde avec le même air ahuri que si je leur avais demandé le nom du Président du Conseil en 1924 :

 » En ce que ???

– Bon sang !, je réponds, dans une pathétique tentative de connivence et de jeunesse.

« Arrête, maman, tu es gênante », a-t-il conclu en me fermant la porte de sa chambre au nez.

Me voilà sur le seuil, mon verre à l’ancienne sous le bras. Elle est bientôt rejointe par d’autres petites phrases picturales récurrentes dans ma famille. « Ce serait donner de la confiture aux cochons » fait référence aux Noëls où, enfants, nous protestions parce que seuls les adultes avaient droit au foie gras et nous en réclamions aussi notre part.

Ces expressions constituent également la signature de l’un ou l’autre membre du clan. Ils n’en restaient pas moins mystérieux. Quel sort pesait sur les épaules de ma grand-mère, pour qu’au moindre retard elle craigne « s’appeler Arthur » sachant qu’elle s’appelait Luce ? Et depuis quand ma mère était-elle devenue une défenseure des insectes, elle pour qui beaucoup de choses étaient « ne pas mordre les hannetons » ? Ces petites phrases constituent aussi le miroir d’une époque. En bon baby-boomer ayant grandi avec le film de Charlton Heston, mon père a stoppé net nos caprices avec un « Arrête ton char, Ben-Hur ».

Au-delà de la dimension sentimentale, la puissance de ces expressions réside dans les images mentales fortes qu’elles suscitent. Laisse quelqu’un me dire que quelqu’un est « blessure comme un pendule » et je l’imagine instantanément jaillir d’une horloge suisse sonnant un « coucou » vengeur. J’ai aussi un ami qui, lorsqu’il s’agit de devenir actif, « secoue le pompon ». Ce qui, forcément, me pousse à la visualiser avec un pompon de marin collé sur son postérieur (je confirme, c’est assez déroutant).

Avouons au passage une tendresse particulière pour le célèbre pingouin qui « ne glisse pas le plus loin possible sur la banquise ». Rien que l’idée de le voir bouger lentement sur le ventre me fait rire. C’est le cousin du couteau : celui qui n’est pas le plus tranchant du tiroir.

En effet, sur Internet, j’ai trouvé un délicieux site qui répertorie et explique toutes ces expressions. Ce qui me donne l’occasion de constater que, à la maison, on utilise « être à l’affût » abuser. Dans notre usage familial, cela signifie sortir le nez au vent. Cependant, au XVIIIee, les goguettes font référence à des soirées assez alcoolisées. Selon la définition du Larousse, être en liberté signifie « être dans un léger état d’ivresse ». N’appelez pas les services sociaux : je vous promets que mon fils, que j’accusais d’être ivre, est rentré de l’école parfaitement sobre.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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