« Chez Eiffage, nous avons développé notre propre IA générative privée avec Gemini »
Le groupe Eiffage a annoncé ce jeudi 27 juin une collaboration étendue avec Google Cloud pour accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle. Jean-Philippe Faure, directeur des systèmes d’information, dévoile la stratégie IA du groupe de construction.
JDN. Quels nouveaux cas d’usage en IA générative avez-vous pu développer grâce aux modèles Google ?
Jean-Philippe Fauré. Nous avons développé notre propre IA générative privée avec Gemini. Nous incluons toutes les fiches techniques classées par nature de site. Ainsi, quelle que soit la situation géographique en France, nos collaborateurs peuvent bénéficier de l’expérience de leurs collègues sur toutes les réponses aux appels d’offres. Par exemple, si quelqu’un demande les caractéristiques de la climatisation d’un bâtiment de 10 000 mètres carrés en cours de rénovation, il pourra récupérer toutes les informations pertinentes sur des projets similaires. Bien entendu, le résultat n’est qu’un document de travail. Chaque collaborateur combine ensuite son expérience professionnelle avec les informations fournies par l’IA, adaptant les options en fonction de sa situation spécifique.
« Nous travaillons actuellement à l’intégration de données multimodales, telles que des photos et des vidéos de chantiers. »
Un autre cas d’usage concerne les rapports de site. Chaque semaine, nos équipes rencontrent tous les acteurs du chantier pour faire le point sur les avancées. Nous avons développé une solution pour générer automatiquement un rapport à partir d’un enregistrement audio de la réunion, basée sur Gemini. Même si le rapport généré doit toujours être relu et ajusté, cela fait gagner un temps précieux à nos collaborateurs. Notre objectif n’est pas de remplacer l’humain, mais de lui permettre d’accomplir plus rapidement certaines tâches chronophages.
Nous travaillons actuellement sur l’intégration de données multimodales, telles que des photos et vidéos de chantier, pour enrichir davantage ces rapports automatisés. Nous menons une expérimentation avec notre service régional Route Île-de-France, car cette solution présente un réel intérêt pour nos conducteurs de travaux en leur faisant gagner du temps. À terme, nous souhaitons également utiliser cette technologie pour générer des retours sur le site. En intégrant des emails horodatés, des photos et des vidéos issues d’un projet de 3 ans, nous pourrons générer une première version de 80 pages par exemple du rex, offrant ainsi une vraie valeur ajoutée à nos équipes.
Combien d’employés ont accès à Gemini ?
Nous avons déployé Gemini auprès d’une centaine de personnes et continuons à l’étendre. Nous fournissons un feedback à chaque étape pour évaluer les résultats. Nous collaborons avec différents services, notamment les ressources humaines, les opérationnels et le service informatique. Nous impliquons également des collaborateurs proches qui ont la capacité de discerner si l’IA « hallucine » ou non.
Utilisez-vous également des systèmes d’apprentissage automatique pour des cas d’utilisation plus complexes ?
Oui, je peux vous donner deux exemples. Le premier s’appelle Metronia, une solution déployée sur le chantier du métro de Toulouse pour gérer les vibrations générées par le tunnelier. Il s’agit d’une énorme machine qui creuse le couloir du métro, provoquant des vibrations importantes. Notre objectif est de surveiller ces vibrations grâce à des capteurs installés sur le chantier, jusqu’à 1 000 capteurs que nous déplaçons au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Nous collectons environ 500 000 messages par jour avant de les envoyer dans le cloud, ce qui représente environ 10 000 calculs quotidiens. Cela nous permet de surveiller ce qui se passe autour du chantier pendant le creusement et de vérifier si tout se passe bien. L’incident survenu sur l’A13, où un malheureux pelleteur a provoqué des fissures dans la chaussée, illustre bien l’importance de cette surveillance. Les capteurs collectent les données en local, tandis que le stockage, la transformation et les calculs se font dans le cloud. Nous sommes actuellement en train de passer à GCP après avoir testé différentes solutions.
Le deuxième exemple concerne la prévention des accidents de chantier. Avec Dataiku, nous avons développé une solution d’évaluation des risques sur les chantiers. Nous analysons l’historique des visites de chantier et les observations qui en découlent, les relevés de temps du personnel interne et externe, leur ancienneté, le type d’emploi, le taux de supervision du chantier, ainsi que les données météorologiques en open data. À partir de ces informations, notre algorithme propriétaire définit un niveau de risque pour chaque chantier, en tenant compte de l’ancienneté des salariés, des résultats des dernières visites, du taux de supervision et des prévisions météorologiques.
Comment définir les cas d’usage de l’IA avec le meilleur ROI ?
Nous définissons les cas d’usages de l’IA avec le meilleur potentiel de ROI lorsqu’ils répondent à un besoin commun à toutes nos branches d’activité. Même si nos métiers sont tous liés à la construction, ils restent différents. Alors, quand les 15 branches s’accordent sur les priorités, cela a vraiment du sens. Notre objectif est de proposer un service au plus grand nombre, tout en évitant tout copinage. Nous travaillons en équipe soudée, une quarantaine de personnes en collaboration avec les branches, et tout le monde est partie prenante du projet.
« La philosophie d’ouverture de Google Cloud nous intéresse bien plus qu’un écosystème fermé »
Bien sûr, il y aura probablement du « versioning » selon les branches, car certaines seront plus sensibles à tel ou tel critère. Mais le modèle de base restera le même, seule la sensibilité du modèle variera. Plus nous pouvons générer de modèles standards, plus nous créerons de valeur. Notre objectif est d’uniformiser au maximum nos besoins pour éviter de développer des solutions trop spécifiques qui n’enrichissent pas l’ensemble de l’entreprise.
Pourquoi avoir choisi Google Cloud pour votre stratégie d’IA plutôt qu’un autre fournisseur comme Azure OpenAI par exemple ?
Notre choix de Google Cloud pour notre stratégie IA s’explique par notre volonté d’ouverture. Historiquement, nous sommes très liés à Microsoft, avec une forte dépendance à leurs solutions, même si Azure est une excellente plateforme et Microsoft une entreprise remarquable. Cependant, nous avions besoin d’une approche plus ouverte. En travaillant avec Google, nous avons apprécié leur transparence : ils nous ont montré comment remplacer chaque composant de leur solution par des alternatives si nécessaire. Cette philosophie d’ouverture nous intéresse bien plus qu’un écosystème fermé comme celui de Microsoft. Malgré les qualités indéniables de Microsoft, il est extrêmement compliqué de s’extraire de leur environnement une fois qu’on y est intégré. Nous ne voulions pas ajouter une dépendance supplémentaire à celles que nous avons déjà.