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Charles Onana: « Macron doit publier les archives du génocide rwandais» 

Charles Onana: « Macron doit publier les archives du génocide rwandais» 

Au lendemain du trentième anniversaire du génocide au Rwanda, le président français, le 7 avril, s’est bien gardé de faire, au nom de la France, un nouveau mea culpa… alors qu’il avait été annoncé quelques heures auparavant par l’Élysée. En effet, le conseiller de presse pour les questions internationales de la Présidence de la République, avait indiqué qu’Emmanuel Macron reconnaîtrait que « la France aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais n’en avait pas la capacité. « . Comment interpréter ce malentendu, vrai « à la fois » macroniste ?

Entretien exclusif avec l’essayiste franco-camerounais Charles Onana, spécialiste de la région des Grands Lacs, auquel il a consacré sept ouvrages (le plus récemment, Holocauste au Congo : le silence de la communauté internationale (L’Artilleur, 2023), préfacé par l’ancien ministre chiraquien de la Défense, Charles Million).

Norbert NAVARRO

L’essayiste franco-camerounais Charles Onana à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo

Mondafrique : Comment interprétez-vous ce nouveau rétropédalage d’Emmanuel Macron ?

Charles Onana : « Certains dirigeants français ont du mal à dire simplement la vérité sur les événements du Rwanda. On a donc l’impression qu’il est difficile pour le président Macron de reconnaître que les accusations portées contre la France depuis plusieurs années sont fausses. Les Américains, qui ont soutenu Paul Kagame et le FPR dans leur prise de pouvoir en 1994, n’ont jamais porté d’accusations aussi sérieuses que le président rwandais était capable de les formuler. Dans la gestion du dossier des Grands Lacs, les Américains sont en désaccord total ou ont été en désaccord total avec la France.

De gauche à droite, tous les dirigeants français savent que les accusations de Kagame sont fausses. Et personne n’a le courage de le dire aux Français.

D’abord, on a entendu que la France était complice du génocide puis, à un moment donné, le fameux rapport Duclert est apparu comme presque accusateur, lui aussi, de la France, sans étayer la thèse de la complicité française dans le génocide. On est donc dans un désordre indescriptible dans un dossier pourtant infiniment simple. Ou bien les Français ont été complices du génocide au Rwanda et, dans ce cas, nous le disons très clairement et en apportons la preuve. Ou alors, il faut aussi dire les choses très clairement.

En 1994, alors qu’il était porte-parole du gouvernement Balladur, Nicolas Sarkozy affirmait que la France s’était très bien comportée au Rwanda. Lorsqu’il est devenu président de la République, il a argumenté le contraire, affirmant que la France avait commis des erreurs, sans jamais les citer. Lorsqu’il s’est également rendu à Kigali, le président Macron a affirmé que la France devait faire face à l’histoire. C’est aussi vague que les propos contradictoires de Nicolas Sarkozy.

Mais il existe à l’Élysée des archives, auxquelles j’ai eu accès, et qui permettent aujourd’hui de dire la vérité. Il existe des documents aux Nations Unies qui permettent également de retracer point par point les événements tels qu’ils se sont déroulés en 1994.»

Mondafrique : Justement, selon vous, Emmanuel Macron ignore-t-il ou fait-il semblant d’ignorer les archives de l’Elysée sur le Rwanda ?

Charles Onana : « Ou alors ses conseillers ne lui donnent pas les bonnes notes pour que ses positions publiques soient claires. Ou bien il y a une volonté d’ignorer les documents des archives de l’Elysée. En 1993, la France, l’un des architectes du processus de paix d’Arusha, a encouragé le président Habyarimana à négocier le partage du pouvoir avec le FPR, le parti de Paul Kagame. Le FPR a alors écrit une lettre au président Mitterrand pour remercier la France d’avoir joué un rôle positif dans ces négociations. Pourquoi l’Elysée ne rend-elle pas public ce document pour mettre un terme à toute polémique ? Que ce document et les échanges de correspondance entre Mitterrand et Habyarimana soient rendus publics afin que les Français puissent apprécier par eux-mêmes l’attitude de l’Élysée à l’égard des deux parties rwandaises en conflit.

Comment peut-on alors affirmer que la France aurait pu empêcher le génocide ? Dans les archives de la Mission des Nations Unies au Rwanda comme dans celles de Washington, pas un seul document n’affirme que, le 6 avril 1994, ce qui se passait au Rwanda était un génocide planifié. En revanche, toutes les archives, celles des Nations Unies ainsi que celles des ambassadeurs américain, belge et français sur place, font état d’un violent affrontement militaire entre les rebelles tutsis et l’armée gouvernementale rwandaise, couplé à un début d’affrontement et massacres. des populations.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de génocide par la suite, mais je veux dire que personne n’en a conscience lorsque les événements commencent. Il est alors difficile d’affirmer que la France aurait pu empêcher le génocide. Les 6 et 7 avril 1994, personne ne savait que ce qui se passait au Rwanda était un génocide. »

Mondafrique : A l’inverse, s’appuyant sur les archives du Département d’Etat, Antony Blinken n’a pas manqué de rappeler sur le réseau social les Tutsis. Pourquoi, selon vous, le secrétaire d’État américain a-t-il mis son message en ligne le jour même du trentième anniversaire du génocide rwandais ? Et comment interprétez-vous la réaction du président rwandais Kagame ?

Charles Onana : « Pour la première fois dans l’histoire de la politique américaine, un haut responsable américain dit enfin la vérité sur les victimes de la tragédie rwandaise. Le secrétaire d’État n’est pas n’importe qui, il est même un haut représentant du gouvernement américain. Les États-Unis, qui ont soutenu le FPR en 1994 dans sa prise de pouvoir militaire par la force et la violence au Rwanda, sont très bien placés pour savoir ce qui s’est passé là-bas. Ils disposaient de photos satellites de la guerre et des massacres, et avaient des agents de renseignement sur le terrain. Ils reconnaissent qu’il y a eu un affrontement militaire doublé de massacres de populations.

S’ils affirment que les victimes ne sont pas simplement parmi les rangs des Tutsis, ceux qui tendent à remettre en question cette version des faits reconnus par les Nations Unies auraient dû attaquer Antony Blinken pour négationnisme. Je vois que personne en France n’a le courage de le faire. Si M. Blinken ment, il doit être attaqué pour négation de l’Holocauste. Mais s’il dit la vérité, alors il faut rendre publics les éléments sur lesquels il s’appuie.

Je constate que Paul Kagame a été très modéré dans sa manière de réagir. Il se limite à demander que l’on accorde aux Rwandais une seule journée, sur 365, pour commémorer dans la sérénité, sans accuser M. Blinken d’être un négationniste, puisqu’il met en avant toutes les autres victimes. Comme M. Blinken, je considère depuis plusieurs années que lorsqu’on analyse les événements du Rwanda, il faut considérer toutes les victimes sans distinction de race ou de religion. Et dire cela ne veut pas dire que nous nions le génocide des Tutsis. Le secrétaire d’État revient en effet sur ce que les services de renseignement américains et l’ensemble des diplomates américains savent depuis trente ans maintenant, mais qu’ils n’ont jamais osé dire publiquement. Depuis plus de vingt-cinq ans, je n’ai rien dit d’autre.

Mondafrique : Dans ses mémoires, Carla Del Ponte avait incriminé la responsabilité du FPR de Paul Kagamé dans les massacres de 1994. Il lui en voulait, puisque ce magistrat suisse très respecté avait été démis par les Nations Unies du poste de procureur de la République. Tribunal pénal international pour le Rwanda. Mais depuis le génocide, trente ans se sont écoulés. Les mémoires de Carla Del Ponte ne sont-elles pas dépassées ?

Charles Onana : « Non, je pense qu’à travers la déclaration de M. Blinken, les Américains démontrent qu’ils ont commis une erreur en évinçant la procureure Carla Del Ponte. La résolution du Conseil de sécurité créant le Tribunal pénal international pour le Rwanda prévoyait que cette juridiction devrait poursuivre tous les auteurs de crimes commis entre le 1euh Janvier et 31 décembre 1994, y compris donc l’attentat du 6 avril qui fut l’événement déclencheur du génocide. Le TPIR devait donc poursuivre tous les crimes commis aussi bien par l’armée gouvernementale hutue, ou par des miliciens hutus, que par les rebelles tutsis du FPR, dirigés par Paul Kagame. Le problème dans cette affaire est que la Cour pénale internationale n’a poursuivi que les crimes commis par les Hutus, et en aucun cas ceux commis par les rebelles du FPR. En 2005, la procureure Carla Del Ponte, en présence de son attachée de presse, Florence Hartmann, m’a raconté que Paul Kagame, la regardant droit dans les yeux, lui avait dit qu’elle n’était pas venue au TPIR pour poursuivre les rebelles tutsis et que , évidemment, il n’y avait que les Hutus qu’il fallait poursuivre. « Je ne suis pas venue au TPIR pour faire une justice ethnique », me disait alors Carla Del Ponte. Je suis venu pour poursuivre. En fait, elle voulait mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Et parce qu’elle a eu l’audace de vouloir poursuivre les gens du FPR, donc d’appliquer ladite résolution, elle a été licenciée. Mais vous aurez remarqué qu’aucun des autres procureurs qui lui ont succédé – et qui se sont comportés de manière servile, s’alignant sur la politique américaine et celle de Paul Kagame – n’a été évincé. Tous ceux qui n’ont fait que poursuivre les Hutus sont restés à leur poste jusqu’au bout. D’ailleurs, Louise Harbour, la procureure qui a précédé Carla Del Ponte, a déclaré, après l’avoir quitté, que Kagame avait exercé beaucoup de pression sur le TPIR.

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