Champions Cup – Denis Charvet avant Toulouse – Racing 92 : « Je crains qu’il n’y ait pas photo »
L’ancien centre international Denis Charvet, passé par le Stade Toulouse et le Racing 92, connaît bien ces deux institutions du rugby français et a un regard unique sur leur rivalité centenaire.
Si on vous parle de Toulouse-Racing, que vous fait penser cette affiche ?
Spontanément, ce match du 10 avril 1988 me revient, qui est un souvenir incroyable. Ce jour-là, à la sortie des vestiaires avec Toulouse, on a remarqué que les trois quarts du Racing s’étaient peints en noir, de la tête aux pieds (rires). Après le match, Jean-Ba’ Lafond m’a dit que même leurs attaquants n’avaient pas conscience de ce qu’ils allaient faire, et que cela les avait un peu inquiétés… C’était la grande époque du show-biz et ce jour-là, ils l’a fait officiellement pour rendre hommage à leur pilier, Momo Lelano. Mais la vérité c’est que ça nous a un peu désorientés parce que sur le terrain, on avait du mal à savoir qui était qui. A tel point que le match s’est soldé par un match nul (18-18), même si nous étions encore un peu plus forts qu’eux à l’époque…
L’âge d’or des confrontations entre les deux clubs réside sans doute dans cette période, non ?
Sans doute, mais je vais vous le dire : ces matchs sont pour moi des déchirements et essentiellement de mauvais souvenirs ! J’ai joué deux Toulouse-Racing en demi-finale du championnat de France : l’une avec Toulouse en 1990 à Béziers, l’autre avec le Racing un an plus tard à Bordeaux. Eh bien, j’ai perdu les deux ! (sourire) La deuxième à cause de ce fameux drop fait à mon ami Philippe Rougé-Thomas lorsqu’il est passé sous la barre transversale… Ce sont des matches qui ne m’ont jamais porté chance.
Paradoxalement, les Toulouse-Racing sont toujours considérés comme de grandes stars même si, strictement du point de vue des palmarès et des confrontations directes, cela n’est pas vraiment justifié…
Sans insulter le Racing, il est vrai qu’en matière de rivalité sportive entre les deux clubs, il n’y a pas de comparaison. Cela fait trente ans que Toulouse règne en maître sur le rugby français… Mais il existe toujours un lien qui unit ces deux clubs qui se sont toujours beaucoup respectés. En fait, c’est une querelle d’école. Toulouse, même si certains peuvent la trouver prétentieuse, c’est une école de jeu, avec sa propre culture. Et au Racing, il y a une forme d’éducation très spécifique, très anglo-saxonne, presque aristocratique. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est le peuple contre l’aristocratie, mais il y a un peu de cela. D’autant qu’il faut rappeler qu’avant l’émergence du Stade Français, le Racing incarnait l’image du titi parisien lors de ses déplacements en province. Et il s’en est nourri.
Les joueurs passés par les deux clubs incarnent une idée d’esthétique génération après génération : de Borde et Jauréguy à Gaël Fickou, en passant par vous, Gérald Martinez, Erik Bonneval ou bien sûr Jean-Pierre Rives… Comment l’expliquez-vous ?
Sur le plan personnel, ce petit rejet m’avait toujours interpellé et avait beaucoup contribué à mon envie d’évoluer un jour dans le ciel et le blanc, de voir ce qui se passait de l’autre côté de la barrière. Quand le Racing se déplaçait à Toulouse, comme partout ailleurs en province, on ressentait à leur égard une sorte de… (il hésite) Oui, une sorte de jalousie qui ne disait pas son nom. Je savais qu’en signant là-bas, je perdrais un peu en terme de jeu et de rigueur par rapport au Stade toulousain mais que je vivrais autre chose. Une autre vie, qui m’attirait : le Paris, c’était le Saint-Germain, les acteurs, le show business, et le Racing était la porte d’entrée de tout ça. Jean Castel avait joué au Racing et grâce à lui, vous aviez vos entrées partout dans la nuit parisienne. En vivant cela, j’ai beaucoup mieux compris la raison de la jalousie que d’autres clubs éprouvaient à l’égard du Racing, et qui perdure qu’on le veuille ou non ces jours-ci, malgré tout. Il n’y a qu’à voir le beau monde qui se presse régulièrement à l’Arena…
En parlant d’actualité, que représente pour vous les huitièmes de finale à venir ?
Cela ne plaira peut-être pas à mes amis du Racing mais malheureusement, je crains qu’il n’y ait pas de photo. Mon principal regret est que ce match ne puisse pas se jouer au Stade comme cela était initialement prévu, car cela génère bien souvent des ambiances extraordinaires. Les Toulousains adorent jouer là-bas, et j’imagine que c’était un peu une déception pour eux de devoir jouer contre Ernest-Wallon. Mais je n’imagine pas une seconde que cela puisse les déranger, bien au contraire. C’est leur jardin, qu’ils connaissent jusque dans ses moindres recoins. Et la Coupe d’Europe est « leur » compétition, celle qui les fait rêver, celle qui les met actuellement le plus en compétition puisqu’ils sont à la lutte avec le Leinster en termes de trophées remportés. Les Toulousains seront prêts.
Comme toujours, lorsque les dernières étapes approcheront, vous nous le direz…
À coup sûr. Même quand c’est une mauvaise journée comme contre Pau, le Stade gagne, c’est un signe certain. Comme le disait Antoine Dupont, certains Toulousains avaient sans doute déjà mené en huitièmes de finale. Historiquement, Toulouse a toujours été présent dans ses grands rendez-vous européens. Le Stade a récupéré Romain Ntamack qui a faim de jeu et qui semble plus fort que jamais, Dupont est en pleine forme après son break à 7, la ligne des trois quarts va à 2000 à l’heure et le banc est juste monstrueux… Cela paraît d’autant plus déséquilibré que, même s’ils récupéreront peut-être Kolisi qui manquera de rythme quoi qu’il arrive, les Racingmen ont perdu très gros le week-end dernier avec les blessures de Le Garrec et Gibert dont l’importance s’est mesurée lors des duplicata.
L’expérience de Stuart Lancaster, vainqueur de Toulouse lors de ses trois dernières défaites en phase finale de Coupe d’Europe, n’est-elle pas un argument en faveur du Racing ?
Peut-être, oui… Mais c’est sur le terrain que l’expérience compte le plus. Toulouse a réalisé le doublé en 2021 alors que le Racing a perdu trois fois en finale de Champions Cup, et Stuart Lancaster n’en a gagné qu’une sur quatre… Même le facteur expérience penche en faveur de Toulouse, à mes yeux. J’ai beau regarder, j’ai du mal à voir comment le Racing pourra arrêter la machine toulousaine…