Chagrin du matin | Vendée Globe 2024
C’est le réveil que nous craignons, que nous détestons, dont nous savons malheureusement qu’il est difficile d’éviter. Le coup de téléphone, les paroles lourdes, lancées en urgence, et le silence à nouveau. A 800 milles sous l’immensité de l’Australie, dans les derniers kilomètres qui devaient l’amener vers le tant attendu Pacifique, Pip Hare est là, peinant à monter un gréement de fortune, et à trouver une solution pour rejoindre la terre. A 22h45 (heure française), alors qu’il pointait en 15ème position du Vendée Globe, son IMOCA Medallia démâte, sans qu’on sache encore comment ni pourquoi.
Ce que l’on sait en revanche, c’est que le reste du bateau est préservé et que Pip Hare n’est pas blessé. Physiquement du moins, car moralement, c’est une tout autre histoire quand on voit la course que nous menons vigoureusement depuis cinq semaines, sans ménager nos efforts, se terminer si brusquement. Quatre ans après un Vendée Globe où elle a montré toute l’étendue de sa force physique et mentale en changeant de safran au milieu de l’océan Indien, la navigatrice britannique de 50 ans a prouvé une nouvelle fois qu’en matière de ténacité, elle avait définitivement à être généreusement servi à la grande cantine de la vie.
Pas épargnée par les difficultés techniques depuis le départ le 10 novembre, notamment avec des problèmes de quille qui l’ont un temps ralenti, celle dont le bonheur d’être en mer est si contagieux qu’il pourrait faire l’objet d’une quarantaine partagée chaque jour avec spontanéité. , sans jamais chercher à édulcorer ses joies et ses difficultés dans le duel intense qu’elle mène depuis plus de deux semaines avec Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 14ème). Quelques heures avant son démâtage, l’éternel optimiste a encore envoyé vingt-trois secondes de vidéo, un sourire bouleversant sur le visage caché par l’un de ses indescriptibles gros chapeaux de laine, alors que son bateau dévalait à grande vitesse. V au coucher du soleil la forçant, dans un petit rire si contagieux, à se réfugier pour éviter de finir trempée. « C’est tellement beau ici »» dit-elle fascinée, détachant chaque mot comme pour nous faire mieux ressentir. Merci pour le cadeau, Pip, et surtout bravo.
Ponctuation variée
Le Britannique n’est malheureusement pas le seul à affronter des difficultés ce soir. Confronté à une casse sur une partie de son gréement, le marin hongrois Szabolcs Weöres (New Europe, 38e) semble avoir mis le cap vers l’Afrique du Sud tandis que plus loin, sous le vent de l’île Saint-Paul, Antoine Cornic (Human Immobilier, 33e) a lancé a quitté son amarre tôt le matin pour tenter de réparer son chariot de grand-voile, malgré une mer encore très agitée. Une course entre parenthèses, où l’on espère que le point d’interrogation ne se transforme pas en ellipses.
Pour d’autres, en revanche, on n’a guère le temps de réfléchir à une quelconque ponctuation, hormis celle de l’exclamation. Tels des hamsters infatigables dans une roue suralimentée, le trio de tête continue d’avancer péniblement, espérant gagner le plus de terrain possible avant d’être rattrapé par la crête sans vent. Si Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) devrait franchir le fameux antiméridien en tête, ce qui le ferait reculer d’un jour, il travaille surtout à ne pas chuter au classement. Car derrière, Yoann Richomme (PAPREC – ARKÉA, 2e) est revenu comme un coucou, désormais à moins de 50 milles du leader, et près de 100 milles devant Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e).
Derrière, ceux qui restaient coincés dans la langue bleue sans vent ont repris de la vitesse, et savent qu’il n’y a plus une minute à perdre s’ils veulent arrêter l’hémorragie. Emmenés par un Thomas Ruyant (VULNÉRABLE, 4ème) flashé à près de 25 nœuds de moyenne, leurs prochaines heures ne seront certainement pas consacrées à composer des poèmes.