On dit que la première impression est souvent la bonne. Tous les constructeurs l’ont bien compris : il suffit qu’une machine soit ratée au niveau de sa présentation pour qu’ils soient obligés de sortir le grand jeu pour rattraper la concurrence. PlayStation 3, Wii U, Xbox One… ont toutes subi l’affront d’un démarrage poussif. Mais avec la Xbox One, le coup porté à Sony a été encore plus dur. Retour sur un événement resté dans toutes les mémoires.
Le marché du jeu vidéo est un univers extrêmement concurrentiel où les constructeurs jouent sur les faiblesses de leurs adversaires pour les vaincre. En mai 1995, SEGA Japon était persuadé de créer un énorme buzz en annonçant la disponibilité immédiate de sa console Saturn. Ce faisant, la firme japonaise pensait prendre une avance considérable sur Sony et sa nouvelle PlayStation, quitte à bousculer volontairement les habitudes commerciales. Cela allait également créer un certain émoi, en raison d’un nombre réduit de consoles disponibles et d’une offre d’une pauvreté abyssale. SEGA est allé dans cette direction et était convaincu qu’il frapperait fort avec sa Saturn à 399 $.
C’était sans compter sur l’ingéniosité et la force marketing de Sony qui, en coulisses, a décidé, juste avant de monter sur scène, de casser le prix de sa PlayStation. Steve Race, nouveau salarié de Sony et ancien de SEGA (il connaissait donc les faiblesses du concurrent), s’est alors approché de son pupitre et a prononcé un laconique « 299 ». Dans l’inconscient collectif, cette séquence est devenue culte car elle symbolise la victoire de Sony sur SEGA. En un instant, la PlayStation est passée à 299 dollars (selon les rapports, elle était plutôt prévue autour de 349 ou 399 dollars, comme la Saturn) et nous a complètement fait oublier l’annonce précédente de SEGA. Microsoft aurait pu apprendre de cette erreur. En vain…
La conférence Blur
Nous sommes le 21 mai 2013 et Microsoft a décidé de présenter sa nouvelle console, la Xbox One, quelques semaines avant l’E3, le plus grand salon mondial du jeu vidéo. Après le succès de la Xbox 360, la firme de Redmond compte bien montrer les dents à Sony, mais il fera malheureusement une série d’erreurs. Après une courte vidéo, Don Matrick, responsable de la section Xbox, entre en scène et dévoile le projet de l’entreprise pour sa future console : la All in One System. Derrière ce nom un peu pompeux se cache le principe d’une machine de divertissement capable de proposer des jeux, de la télévision, des films, de la musique, etc. Le concept est prometteur et le public est sous le charme lorsque les courbes de la toute nouvelle Xbox One prennent forme. Volontairement sobre, la console a pour vocation d’être le centre multimédia des salons et de se fondre dans l’environnement familial. Pour l’occasion, le constructeur américain a mis le paquet pour créer une machine plutôt jolie en lui offrant une manette aussi belle que prometteuse. Le problème, c’est que toutes les bonnes intentions voleront en éclats à la fin de la conférence…
Très vite, les joueurs comprennent que le constructeur entend tout contrôler. Si la caméra Kinect apporte le jeu sans manettes et l’interaction vocale, la Xbox One traînera malheureusement quelques fardeaux dont elle sera (presque) incapable de se débarrasser. Lors de son discours, Yusuf Mehdi, responsable marketing, multiplie les évocations à la télévision, à tel point que les joueurs, circonspects, avoir la désagréable sensation d’assister à la présentation d’un boîtier TV. Certains iront même jusqu’à créer une vidéo parodique de l’événement en rassemblant les moments (et ils sont nombreux) où l’homme balance le terme « TV » (« Tivi »). Le reste de la conférence, qui dure environ une heure, est du même acabit et tout ce qui ressort de l’événement tourne autour des mots TV, Sports et Call of Duty. Et ce n’est que le début…
La révolte des joueurs
À cette époque, les différents fabricants et éditeurs parlaient discrètement de la fin du marché de l’occasion. Et pour y parvenir, d’innombrables concepts sont présentés en secret. Il s’agit d’un code unique qui empêche toute revente d’un jeu ou d’une connexion Internet obligatoire pour jouer. On parle aussi d’une vérification en ligne, toutes les 24 heures, pour continuer à jouer. Microsoft est ainsi le premier à y mettre les pieds et la riposte ne se fait pas attendre. Si quelques personnes tentent d’expliquer sur les forums que cette philosophie du tout-connecté est dans l’air, la grande majorité des joueurs sont en colère et appellent au boycott de la Xbox One. C’est d’autant plus vrai que la France, à cette époque, est très loin de proposer le haut débit sur l’ensemble de son territoire. La grogne est tout aussi profonde dans d’autres pays, à tel point qu’une véritable révolte commence à émerger. Impossibilité de revendre un jeu, connexion obligatoire, vérification en ligne toutes les 24 heures… la coupe est pleine et Microsoft voit le torrent de haine qui est alimenté par les réseaux sociaux et les forums. Pour Sony, c’est une nouvelle aubaine…
La réponse du berger à la bergère
Dans un premier temps, réalisant qu’il avait pris la mauvaise direction, Microsoft a tenté de revoir sa stratégie pour sa conférence E3 2013. Largement axée sur les jeux vidéo, c’était l’occasion pour le constructeur de se racheter, mais Don Mattrick a laissé échapper une réponse maladroite à la question d’un journaliste que l’on pourrait définir ainsi : » Pas de connexion ? Achetez une Xbox 360. » Une terrible erreur qui ne sera pas pardonnée, puisque Don Mattrick sera éjecté de Microsoft en juillet 2013. Il y a aussi un autre événement, ou plutôt un micro-événement, qui restera dans toutes les mémoires : la réponse de Sony, aussi brillante qu’humoristique.
En juin 2013, Sony a eu l’occasion de tenir sa conférence après celle de Microsoft. Les responsables de la marque PlayStation ne se laissent pas tromper et comptent bien profiter des erreurs répétées du concurrent. Sur scène, l’un des pontes historiques de Sony, Jack Tretton (ancien président et directeur général de Sony Computer Entertainment America), savoure : « La PlayStation 4 n’imposera aucune nouvelle restriction à l’utilisation des jeux PS4, je… » Il n’a même pas le temps de terminer sa phrase que le public éclate en acclamations. Et pour finir, en souriant, …je suppose que c’est une bonne chose. »
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En supprimant une à une les restrictions de Microsoft (opportunité possible, pas de connexion obligatoire, pas de code unique, etc.), Sony va livrer un final fatal avec une vidéo aussi drôle que symbolique. On y retrouve Shuhei Yoshida (président de Sony Development Studios) et Adam Boyes (vice-président des relations avec les éditeurs tiers). Le premier, face à la caméra, déclare : « Voici comment partager vos jeux sur PS4. Puis le terme apparaît Étape 1 – Partager le jeu (Étape 1 – Partager le jeu) sur l’écran. Sans un mot, il se tourne vers son interlocuteur et lui donne le jeu, ce dernier lâchant un simple « MERCI. » avec un grand sourire.
En 21 secondes, Sony a littéralement atomisé Microsoft et sa Xbox One. Comme près de deux décennies auparavant, le constructeur japonais a profité des erreurs de son concurrent pour réagir immédiatement en appuyant là où ça fait mal. Ce qui est terrible, c’est que cette vidéo expéditive symbolise le succès de la PS4 face à la Xbox One. Sony a vendu deux fois plus de PlayStation 4 que de Xbox One et Microsoft, par ces erreurs de communication et de vision, n’a jamais pu rattraper son retard et compenser ses bourdes. Promis, la prochaine fois, nous vous parlerons des débuts contrastés de la Wii U, qui a également souffert des erreurs répétées de Nintendo. Elle aussi, un cas d’école…