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« Cette tragédie ne suscite pas la révolte qu’elle mérite » – Libération

Alors que l’Assemblée nationale vient de lancer une commission d’enquête sur la protection de l’enfance, le Syndicat de la magistrature publie ce lundi 6 mai un état des lieux de la justice civile pour mineurs dont les conclusions inquiètent.

C’est l’histoire d’une adolescente battue, frappée à coups de câbles et de ceintures, et qui, un jour, arrive à l’école avec les cheveux et les sourcils coupés par sa mère. Alertée par son établissement, la justice a ordonné un placement d’urgence pour trois semaines. Et puis ? Rien. Faute de place disponible pour la récupérer durablement, la jeune fille est renvoyée chez ses parents violents. «C’était la semaine dernière. Les juges pour enfants ont tous des histoires très récentes comme celle-ci à raconter. alerte la présidente du Syndicat de la Magistrature (SM), Kim Reuflet.

L’organisation professionnelle, classée à gauche, a publié ce lundi 6 mai un état des lieux de la justice civile pour mineurs, visant à sonder la capacité de cette dernière à protéger les enfants en danger. Face à la multiplication des alertes sur l’état de la protection de l’enfance, et alors qu’une commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) vient de s’ouvrir, le SM « décidé de contribuer à une prise de conscience nécessaire » et a entrepris d’interroger les juges des enfants du territoire à travers une enquête. 176 personnes sur 522, réparties dans 92 des 156 tribunaux pour enfants, ont répondu aux questions du syndicat envoyées en novembre. La conclusion est claire : « La protection de l’enfance est en très mauvais état. »

« Maltraitance des enfants en institution »

« Nous avons voulu souligner le caractère systémique de la maltraitance institutionnelle envers les enfants en danger. Faire prendre conscience de ce que l’on voit au quotidien quand on est juge d’enfants : des enfants en danger qui ne sont pas protégés malgré ce qui existe au niveau institutionnel pour le faire”, détaille Kim Reuflet, lors de la présentation de l’état des lieux dans une salle de l’Assemblée nationale, en présence du militant des droits de l’enfant Lyes Louffok, de la députée écologiste Francesca Pasquini, d’Olivier Treneul, travailleur social à la syndiquée ASE Sud. Est également présente la dessinatrice Bahareh Akrami, qui a passé quelques jours chez un juge des enfants pour raconter son quotidien et ses difficultés, sous forme d’une courte bande dessinée, enrichissant le document.

Alors qu’en théorie un juge pour enfants devrait suivre au maximum 325 situations représentant un enfant ou une fratrie, 50 % des juges pour enfants ayant répondu à l’enquête suivent 450 situations ou plus. Leurs conditions de travail sont extrêmement précaires et parfois même contraires à la loi, qui prévoit que le juge des enfants, comme tous les autres, soit assisté d’un greffier pour tenir les audiences, afin de garantir leur bon déroulement et l’authenticité de la procédure. Or, selon l’enquête SM, plus de 30 % des juges pour enfants tiennent leurs audiences sans greffier. « Les juges pour enfants sont considérés comme des juges « à part », « pas de vrais juges », disent même certains.regrette Kim Reuflet. Le juge des enfants est maltraité au sein de sa propre institution.»

Disparités territoriales

77% d’entre eux l’ont déjà fait « ont renoncé à la décision de placer des enfants en danger dans leur famille en raison du manque d’espace ou de structure adaptée à leur accueil », le rapport continue. Surtout, au moins 3.335 décisions de placement ordonnées par un juge n’étaient pas exécutées au moment du questionnaire. Toutefois, ces décisions sont prises dans les situations les plus graves, lorsqu’un enfant est victime de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, ou fait l’objet d’une négligence importante de la part de ses parents. En France, ce sont les départements qui, comme « chef » de protection de l’enfance, sont chargés de garantir l’accueil des mineurs en danger.

Une organisation qui explique les importantes disparités territoriales mises en évidence par l’inventaire : la Corrèze n’a connu que deux placements non exécutés en novembre, contre 397 en Ille-et-Vilaine. « Faute de moyens, les juges des enfants sont souvent contraints de faire du bricolage en ordonnant des stages éducatifs à domicile. (avec les parents mais avec un accompagnement régulier des éducateurs, ndlr) qui permettent de confier les enfants aux départements sans les prendre en charge dans des structures adaptées », prévient Olivier Treneul.

Selon le Service statistique ministériel de la Sécurité intérieure, 60 enfants sont morts de mort violente au sein de leur famille en 2022, soit 22 % de plus qu’en 2021. Et environ 160 000 enfants sont agressés sexuellement chaque année, principalement au sein de leur famille. famille, selon le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et la violence sexuelle contre les enfants. « Cette tragédie (des dysfonctionnements de la protection de l’enfance) ne suscite pas la révolte qu’elle mérite » insiste Lyes Louffok.

Le Syndicat de la Magistrature appelle donc à son tour les pouvoirs publics à agir. Comment ? En recrutant davantage de juges pour enfants, au moins « 235 de plus juste pour l’aide à l’éducation. » Et en exigeant l’attribution d’un greffier pour chaque juge pour les enfants en aide éducative, ainsi que la publication mensuelle par chaque département du nombre de placements non exécutés. Pour traiter les violences faites aux enfants, « au même titre que les violences conjugales », « un objectif prioritaire de la politique pénale ».

Cammile Bussière

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