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Cette hypothèse qui agite les nationalistes russes

Le rôle joué par Alexeï Dyumine, ancien garde du corps du président russe et personnage clé de l’annexion de la Crimée en 2014, fascine les blogueurs militaires russes influents.

La rumeur a commencé à se répandre lundi parmi les principaux blogueurs militaires russes. Le colonel-général Alexeï Dyumine, originaire de Koursk et proche de Vladimir Poutine, ayant été l’un de ses chefs de sécurité, aurait été nommé « coordinateur de l’opération antiterroriste » dans la région de Koursk, où l’armée ukrainienne a lancé une offensive il y a une semaine, contrôlant plusieurs centaines de kilomètres carrés, dont la petite ville de Soudja. Nikolaï Ivanov, député de cet oblast à la Douma d’Etat, a confirmé cette nomination à la chaîne de télévision russe RTVI, attribuant au colonel-général la responsabilité de la sécurité de l’Ukraine. « La tâche principale est de vaincre les troupes d’invasion des forces armées ukrainiennes » dans cette région.

Le quotidien russe en langue anglaise Le Times de Moscou évoque une « confirmation apparente »Alors qu’aucune annonce officielle n’a été faite par le Kremlin et que les principaux médias et agences russes n’évoquent pas cette hypothèse, tout a commencé lundi lors de la réunion organisée par Vladimir Poutine dans sa résidence de Novo-Ogaryovo, près de Moscou, et retransmise à la télévision : le général Dioumine est apparu en bonne place parmi les participants, assis à gauche de Sergueï Choïgou, l’ancien ministre de la Défense nommé en mai secrétaire du Conseil de sécurité. Un temps pressenti par les médias russes pour remplacer Choïgou lors du remaniement du printemps, Alexeï Dioumine, jusqu’alors gouverneur de l’oblast de Toula, a finalement été nommé secrétaire du Conseil d’Etat – un organe consultatif directement rattaché au président russe – et assistant de Vladimir Poutine au sein de la puissante administration présidentielle.

« Tous les pouvoirs »

Au lendemain de la réunion de lundi, les blogueurs militaires russes, particulièrement influents depuis le début de la guerre en Ukraine, ont commencé à affirmer que Dyumin « coordonner » le front de Koursk. « Selon des sources internes, le président russe a déjà donné à son assistant « plusieurs instructions importantes » (…) Son rôle est de coordonner tous les départements qui opèrent désormais conjointement dans la région de Koursk et font tout pour chasser l’ennemi. »a d’abord annoncé la chaîne anonyme Telegram « PolitSatirKa » qui fait partie du giron de ces puissants médias informels. Régulièrement cité par la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, il fait partie des réseaux pro-gouvernementaux sur Telegram, selon le site d’investigation indépendant Agentstvo cité par le Le Times de Moscou.

C’était ensuite au tour du journal en ligne pro-gouvernemental Readovka, fondé en 2011, de reprendre l’affaire. «Dioumine a déjà visité la zone frontalière»le site l’a même précisé. Rybar, le plus célèbre d’entre eux « Milblogueurs »a continué en disant que Dioumine était « doté de tous les pouvoirs pour résoudre la crise opérationnelle dans la région de Koursk ». « C’est un signe que les forces de sécurité n’ont pas été capables de résoudre à elles seules les problèmes de coordination (…) Sa nomination signifie que l’équipe de Poutine prend le contrôle total de la situation (…) Je me souviens que Dioumine était pressenti pour le poste de ministre de la Défense. En fait, il a des pouvoirs beaucoup plus étendus. »il a commenté avec le ton critique qu’il adopte souvent envers l’armée. « GuerreGonzo »un autre compte Telegram très suivi, a également mentionné la nomination, tout en reconnaissant qu’il n’y avait pas « données officielles ».

Messages de « Sladkov »un autre de ceux-là « Milblogueurs »semez cependant le doute. Il commença par suivre le mouvement en écrivant de son côté qu’Alexeï Dioumine avait été nommé « commandant de la direction nord de l’opération militaire spéciale » – dans le jargon militaire russe, une zone correspondant de facto à la zone de combat de Koursk. Mais il a ensuite rectifié le tir en publiant mardi matin, toujours sur Telegram, un « explication » au moins énigmatique : « C’est intéressant, j’ai lu dans une agence gouvernementale respectée cette nomination d’Alexeï Dyumine. Maintenant, le message officiel a disparu et ils me renvoient à moi ». Sauf que, comme le note le site d’investigation Agentstvo, aucune trace d’une dépêche – même supprimée – des agences TASS ou RIA n’a pu être retrouvée à ce stade.

Beaucoup de brouillard entoure donc encore la possible mais encore hypothétique nomination d’Alexeï Dioumine comme coordinateur des opérations à Koursk. Cette incertitude est aussi le reflet des combats qui se déroulent dans la région : l’étendue exacte des territoires contrôlés par Kiev est inconnue et les informations sur les combats en cours sont fragmentaires. « La situation semble encore confuse »se confie à la Figaro une source militaire française, alors qu’il est encore difficile de tracer une ligne de front précise. « Si l’arrivée du général Dyumin se confirme, nous disposerons d’un état-major interministériel chargé des opérations dans la région de Koursk, plutôt que de dépendre uniquement du ministère de la Défense. Ce serait un camouflet pour ce dernier. »décrypte l’officier supérieur.

L’homme qui a sauvé Poutine d’un ours

Le nom de Dioumine n’est pas inconnu des Russes, loin de là. Le général de 51 ans est même régulièrement cité dans la longue et fluctuante liste des successeurs présumés de Vladimir Poutine. Cet ancien officier du FSB faisait principalement partie du service de protection du président et, à ce titre, aurait été l’un des plus proches gardes du corps du président russe depuis son arrivée au pouvoir en 1999. « L’ancien garde du corps qui a sauvé Poutine d’un ours – et qui pourrait lui succéder »a même titré en mai dernier le Fois en référence à une anecdote, sans doute quelque peu romancée, selon laquelle Dioumine aurait un jour protégé le président russe lorsqu’un ours s’approchait de sa résidence…

Plus sérieusement, le colonel-général collectionne les postes stratégiques : en 2014, il est chef adjoint du service de renseignement militaire russe, le GRU, et, à ce titre, aurait joué un rôle clé dans l’annexion de la Crimée. En 2015, il est nommé vice-ministre de la Défense. Avant d’entrer en politique, il est largement élu gouverneur de Toula (région à 200 km au sud de Moscou, NDLR) en 2016. Avec le remaniement de mai 2024, il revient se rapprocher de Vladimir Poutine, au cœur de la puissante machine du Kremlin. À moins qu’il ne revienne aujourd’hui et pour un temps dans la région de son enfance, Koursk ? La rumeur est persistante, mais s’écrit toujours au conditionnel. « Cela me rappelle le mois d’août 1999, lorsque Poutine lui-même, inconnu du pays, fut nommé Premier ministre par Eltsine et chargé de repousser l’incursion tchétchène au Daghestan, construisant ainsi sa réputation de « garant de l’ordre public » sur la voie de la succession présidentielle. »diapositives sur le chercheur X Alex Yusupov, directeur du programme Russie au centre Friedrich Eibert Stiftung.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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