Oui, les peuples autochtones jouent un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité dans le monde. Mais contrairement à ce qui a été largement rapporté, y compris dans les rapports officiels sur la question, qui affirment que « 80 % de la biodiversité mondiale restante est protégée par les peuples autochtones », leur degré d’implication n’a jamais fait l’objet de telles statistiques.
Si les auteurs d’un article de « commentaire » paru dans Nature le 4 septembre 2024 – dont trois se définissent comme autochtones – tirent cette sonnette d’alarme, ce n’est en aucun cas dans le but de porter atteinte à la crédibilité des représentants de ces peuples sur la scène internationale. Mais au contraire, de la renforcer en basant désormais les discours sur des faits avérés, expliquent-ils.
« Les rapports politiques ont utilisé (cette figure). Des rapports scientifiques également. Il a été cité dans plus de 180 publications scientifiques.Álvaro Fernández-Llamazares, ethnobiologiste à l’Université autonome de Barcelone et co-auteur de l’article, a déclaré au Guardian.
Retour aux « 80 % »
De nombreux médias, aussi sérieux soient-ils dans leur traitement de l’information, s’y sont laissés prendre… y compris, et c’est ahurissant, un site dédié au fact-checking (Gigafact.org). Sommes-nous tous coupables ? Pour le chercheur catalan, la vraie question serait : « Comment se fait-il que ce chiffre n’ait pas été remis en question depuis tant d’années ? »
Lui et son équipe se sont mis au travail, consultant des décennies de littérature et de citations. Et ont finalement trouvé, « rien qui ressemble à un vrai calcul ». D’autre part, certains rapports des Nations Unies et de la Banque mondiale datant des années 2000 semblent avoir popularisé le fameux « 80% ».
Un rapport de 2005 du World Resources Institute était en fait basé sur une recherche qui a révélé que sept tribus indigènes des Philippines conservaient « plus de 80 % » de la couverture forestière originelle à forte biodiversité. Le pays concerné a cependant rapidement disparu du radar, tout comme « plus » et la notion de « couverture forestière ».
Sans même avoir à revenir aux citations, les auteurs estiment que « La revendication des 80 % » aurait dû éveiller les soupçons, étant donné qu’il « repose sur deux hypothèses : la biodiversité peut être divisée en unités dénombrables, et celles-ci peuvent être cartographiées dans l’espace à l’échelle mondiale. » Or, « aucune de ces deux hypothèses n’est plausible »ils soulignent.
D’autres fake news sur la biodiversité ?
Nos collègues britanniques se sont demandés s’il existait d’autres fausses affirmations sur la biodiversité. Et ils n’ont pas tardé à en repérer une autre : « L’Afrique comptait autrefois 26 millions d’habitantséléphantspuis leur nombre est tombé à 10 millions en 1900 et à un demi-million aujourd’hui. » Là encore, les ONG et les médias n’hésitent pas à l’utiliser, sans jamais penser à mal.
Ce chiffre provient en réalité d’une thèse de doctorat rédigée au début des années 1990 par la biologiste d’Oxford Eleanor Jane Milner-Gulland, ont-ils découvert. « Comme il n’y a pas eu de recensement sérieux des éléphants avant le début des années 1900, elle a construit un modèle statistique, en prenant des comptages récents dans des zones peuplées d’éléphants et en les multipliant à travers le continent dans les zones où les éléphants auraient pu vivre. »
Or, « l’hypothèse initiale de l’étude est fausse » : « Il a été écrit en partant du principe qu’il n’y avait pratiquement pas d’habitants (humains) en Afrique. »Chris Thouless, directeur de recherche pour Save the Elephants au Kenya, a déclaré au Guardian. Une fourchette plus logique serait « quelques millions (des éléphants) – plutôt que des dizaines de millions. Ce qui ne nous dispense pas, bien sûr, d’agir en faveur de leur survie…
GrP1