Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Lundi 7 octobre 2024 : journaliste et écrivain Charles Enderlin. Il vient de rééditer, en édition augmentée, son ouvrage « La grande cécité : Israël face à l’islam radical », aux éditions Albin Michel.
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Charles Enderlin a été correspondant à Jérusalem pendant plus de 35 ans pour France 2, nous plongeant presque à chaque fois en terrain de guerre. Parallèlement, il écrit et réalise des documentaires pour informer, expliquer et raconter ce que vivent ces populations israéliennes et palestiniennes. Il réédite son œuvre dans une version actualisée « Le grand aveuglement : Israël face à l’islam radical » aux éditions Albin Michel, déjà paru en 2009.
franceinfo : Vous avez donc réécrit une préface expliquant les événements du 7 octobre à l’origine de cette guerre annoncée. Rien n’a été fait pour l’empêcher. Comment l’expliquons-nous ?
Charles Enderlin : Cela s’explique par le manque de compréhension des fondamentalistes. Benjamin Netanyahu est revenu au pouvoir en 2009 avec une grande idée, mettre en œuvre ce que son père, historien, lui avait confié : la grande défense du peuple juif. Pour lui, le peuple juif est menacé depuis sa création dans l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Il doit absolument veiller à ce que la démocratie israélienne se transforme en autre chose. C’est l’idée de base de Benjamin Netanyahu. Quand aujourd’hui on nous dit que Benjamin Netanyahou est un belliciste, c’est faux. Benjamin Netanyahu déteste l’armée israélienne et cette situation s’est produite aujourd’hui en raison du manque de compréhension quant au fait de laisser Gaza au Hamas.
« Personne en Israël n’a compris que l’objectif du fondamentalisme islamique est évidemment la destruction d’Israël, d’où l’attaque du 7 octobre. »
Charles Enderlinsur franceinfo
Comment avez-vous vécu cet attentat et ce massacre du 7 octobre ?
Avec une énorme surprise. Le 7 octobre, des soldats israéliens ont été attaqués par le Hamas et capturés ou assassinés en pyjama. C’est quelque chose d’absolument hallucinant. Il s’agissait d’un acte de laissez-faire de la part de l’armée israélienne. Aujourd’hui, on a eu l’attaque du Hezbollah au Liban, l’affaire des pagers qui explosent, des talkies-walkies. Les services israéliens savaient exactement où se trouvait Nasrallah. Gaza, rien, le noir absolu. Pour quoi ? Car Benjamin Netanyahu, sous sa direction, a déclaré aux services : « Laissez le Hamas tranquille. » Le 7 octobre s’est produit en raison de la politique d’interdiction de l’État palestinien menée par Benyamin Netanyahu et ses prédécesseurs.
Comment expliquer que les gens ne se révoltent pas ? D’un côté les Israéliens face à Benjamin Netanyahu et de l’autre les Palestiniens face au Hamas. Vous expliquez aussi dans votre livre que tout ce qui a créé des tunnels à Gaza n’a finalement servi qu’aux soldats. Ils ne servent pas à protéger la population civile qui sert de chair à canon.
Abou Marzouk, l’un des dirigeants du Hamas, a été interrogé sur la date du début de la guerre israélienne à Gaza : « Pourquoi ne laissez-vous pas les civils entrer dans les tunnels et se protéger ? Il a répondu : « Les tunnels sont pour les combattants ». Alors, qui doit protéger les civils à Gaza ? Il a répondu : « L’ONU et Israël ». Pour les islamistes, les pertes civiles ne sont pas importantes, ce sont des martyrs. Ce qui est important, c’est jusqu’où nous allons. Le mouvement messianique d’Israël, quant à lui, est convaincu que ça y est, nous sommes dans la période eschatologique. Le Messie arrivera dans les mois et les années à venir, afin que nous puissions rendre les otages de Gaza. C’est la même vision intégriste des deux côtés et c’est ça qui devrait terroriser tout le monde.
Tomer Persico, chercheur à l’Institut Shalom Hartman, parle de ce cercle vicieux qui peut conduire à l’isolement d’Israël et à son effondrement économique et social. Le pensez-vous ?
Assez. L’économie israélienne s’effondre. Le 8 octobre, la mobilisation des réservistes atteint 120 %. Les gens qui n’étaient pas rappelés venaient quand même se battre. Aujourd’hui, nous en sommes à 60 %. Le grand risque pour Israël est le départ à l’étranger de cette jeunesse laïque ou pratiquante qui n’est pas prête à payer le prix de cette politique nationaliste religieuse de transformation de cet État en autocratie.
Comment voyez-vous l’ensemble de ce parcours ? Faut-il continuer à raconter correctement cette histoire, maintenant avec le Liban et l’Iran ?
Je crois que c’est nécessaire, car souvent on ne le comprend pas. Il faut quitter l’aspect purement géopolitique pour se lancer dans la lecture de textes religieux.
« Le cheikh Ahmed Yassine a déclaré en 1999 qu’Israël serait détruit en 2027. Pour le Hezbollah, je crois que leur calcul va jusqu’en 2030. Donc toutes ces attaques tombent pour une raison purement religieuse. C’est ce qu’il faut analyser. «
Charles Enderlinsur franceinfo
Il est rare qu’il y ait des notions de désespoir. Avez-vous peur et êtes-vous désespéré ?
D’un point de vue purement militaire et sécuritaire, je n’ai absolument aucune inquiétude, Israël va gagner. Politiquement? Probablement pas. À ce stade, malgré tout ce qu’ils disent, la droite, l’extrême droite et les Israéliens messianiques sont prêts à sacrifier les otages. C’est un manque de stratégie. Même en ce qui concerne le Liban, que veut Israël au Liban ? Nous ne le savons pas. Il y a des problèmes d’équilibre politique interne entre la droite et l’extrême droite, les messianiques. C’est Israël aujourd’hui.