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« C’est décourageant de voir où le club est arrivé », déplore l’ancien président de Bordeaux, Stéphane Martin.

Il a été auditionné lundi par le Syndicat des acteurs du football (rassemblant des représentants des joueurs, entraîneurs et éducateurs, arbitres, médecins, administrateurs et professions assimilées) avant d’être auditionné jeudi prochain par Foot Uni, le syndicat des clubs professionnels français. Objectif : obtenir les deux parrainages pour postuler le 10 septembre aux deux postes d’administrateurs indépendants de la Ligue de football professionnel (LFP), le troisième en jeu étant réservé à l’émissaire de la FFF (Karl Olive). Cinq autres candidats (Vincent Labrune, Christophe Bouchet, Cyril Linette, Alain Guerrini, Gervais Martel) postulent, suivi de l’élection à la présidence de l’instance.

Pour « Sud Ouest », l’ancien président des Girondins Stéphane Martin explique sa démarche, ses idées et revient sur la chute de son club favori, relégué en N2 et en redressement judiciaire.

Pourquoi as-tu commencé ?

J’étais passionné par le football et ça me manque. Depuis que j’ai quitté les Girondins, j’ai travaillé pour de nombreuses entreprises dans le domaine de l’innovation, notamment dans le sport. Et je pense que le football français est à un moment charnière, où il est important d’avoir au Conseil d’administration des gens qui pensent différemment. Je suis très sceptique sur le fait que les vieilles recettes lui permettront de sortir du cercle vicieux dans lequel il est. Quand on réduit les droits TV, on réduit les recettes, et donc a priori le niveau. Et sur le prochain cycle des droits TV, c’est encore plus compliqué. Il faut ajouter que si les gens ne s’abonnent pas à DAZN (nouveau diffuseur de 8 matchs de L1 sur 9, NDLR) et perdent l’habitude de regarder la L1, ce sera très dur de les reconquérir.

Il faut revoir le modèle et je veux apporter ma pierre à l’édifice, parmi les présidents de club avec qui je m’entends bien. L’objectif est d’être au conseil d’administration et de voir. Je ne suis pas obsédé par le fait d’être président.

Pensez-vous que les deux principaux dossiers de ces dernières années – la cession de 13% de la société commerciale de la LFP au fonds d’investissement CVC pour 1,5 milliard d’euros, la négociation d’une forte baisse des droits TV pour 2025-2029 – ont été mal gérés ?

Je n’aime pas donner des leçons de l’extérieur. Après Mediapro et le Covid, le football français était en urgence absolue et des remèdes drastiques (prêts garantis par l’État, CVC) ont été appliqués. Les remèdes étaient-ils pires que la maladie ? Il faut au moins faire une vraie élection pour ouvrir le débat. Quand les résultats ne sont pas bons, on peut améliorer la gouvernance. Et il est indiscutable que les résultats sont catastrophiques. Tout n’est pas de la faute de Vincent Labrune : le contexte macroéconomique, la pandémie… Si le débat montre que cela aurait été pire sans lui et qu’il a amorti les dégâts, il faut voter pour lui. Mais on peut se poser les questions.

Vous étiez président des Girondins lorsque Mediapro a été choisi comme diffuseur pour la période 2020-2024 avant de se retirer. C’est là que tout a commencé ?

Ce qui est sûr, c’est que si Mediapro avait respecté son contrat, le football français serait plus riche. Et s’il n’y avait pas eu cette obsession du milliard, on ne serait pas non plus à 500 millions d’euros par saison. La relation avec Canal+ ne se serait pas dégradée de cette façon.

Regrettez-vous de ne pas avoir dénoncé à l’époque ce contrat dépourvu de garanties ?

Ce serait hypocrite de dire ça. Je venais d’arriver, je n’étais pas au conseil d’administration de la Ligue, je n’avais pas mon mot à dire. Avec un actionnaire issu du secteur audiovisuel (M6), ce n’était pas à moi, le dernier arrivé, de donner mon avis.

« Le drame serait que les gens perdent l’habitude de regarder L1 »

Quelles sont les nouvelles idées que vous souhaitez apporter ?

Je trouve dommage que la LFP n’ait pas choisi d’avoir une plateforme de diffusion en propre (sa propre chaîne, ndlr). Cela lui permettait de s’assurer un minimum d’audience, même si les retours financiers n’étaient pas terribles au début. Pour moi, le drame serait que les gens perdent l’habitude de regarder la L1 : tu te dis que DAZN est trop cher, tu prends un abonnement à Canal+ et tu as la Premier League et la Ligue des champions, sans compter le cinéma et le reste. Au bout de six mois, tu te dis que tu ne rates pas grand-chose.

Les présidents ont-ils été trop réticents à rejeter cette solution ?

Oui. C’est un problème culturel : parmi les managers de football, rares sont ceux qui ont la culture de l’innovation. Il y a un manque de sensibilisation à ce type de solutions et c’est dommage. Dès la fin de Mediapro, j’ai discuté avec la LFP pour une société d’OTT (autodiffusion, ndlr) dont je suis actionnaire. Lancer une chaîne à ce moment-là, plutôt que de signer un contrat au rabais (250 000 euros, en 2021) avec Amazon, aurait envoyé un signal fort aux chaînes traditionnelles. Avec les 1,5 milliard de cash de CVC qui arrivaient au même moment, le risque n’était pas énorme. D’autant que je n’ai pas l’impression que l’argent de CVC a servi à améliorer les infrastructures, mais plutôt à boucher les trous avec ces 13 % de revenus à vie qui leur reviennent désormais. On est dans un business qui ne rapporte pas d’argent, et maintenant les premiers 13 % de vos contrats servent à payer une société extérieure…

Le choix de DAZN vient également d’un besoin de trésorerie à court terme des clubs qu’une chaîne LFP ne fournissait pas…

Oui, mais il aurait pu y avoir une solution mixte. Nous avons un patient mourant à qui on administre en permanence des piqûres d’adrénaline. Mais est-ce que cela va le sauver à long terme ? Avec cette solution, on n’échappe pas au cercle vicieux.

« S’il suffisait de réduire drastiquement les coûts de 30 %, ce serait facile »

Quel est votre point de vue sur le train de vie de la LFP, avec le coûteux déménagement du siège, le salaire du président Vincent Labrune (1,2 million d’euros brut annuel), les recrutements…

Ce sont des questions à se poser. Lorsqu’une entreprise est en grande difficulté, nous avons tendance à réduire les frais généraux et non à les augmenter de manière significative.

Est-il possible pour les clubs, comme le souligne Cyril Linette, de réduire drastiquement les effectifs et les salaires tout en restant compétitifs ?

S’il suffisait de réduire drastiquement les coûts de 30 %, ce serait facile. L’investissement salarial permet aussi de générer des revenus. Pourquoi pas s’il y avait un salary cap, mais il faudrait que ce soit au niveau européen. Sinon, les joueurs iront ailleurs. On aura moins de bons joueurs, moins de places en Coupe d’Europe, moins de gens qui regardent à la télé… Et on s’enfoncera encore davantage. Le dernier trésor, ce sont les quatre places en Ligue des champions qui contribuent à l’attractivité, y compris pour les investisseurs étrangers. Ils se disent qu’on peut y arriver avec un ticket d’entrée limité. Brest s’est qualifié avec un budget inférieur à celui du dernier de Premier League.

Comment alors trouver des clubs pérennes sans recourir à une austérité totale ?

Cela va être extrêmement difficile. C’est pour cela qu’il faudra peut-être penser différemment, raconter l’histoire différemment, trouver d’autres angles d’attaque pour plaire au public, diversifier les revenus. Il y a des choses à faire sur le digital, sur la façon d’inclure davantage les supporters dans la vie des clubs. Et sur les droits TV, j’ai du mal à voir comment s’en sortir si on ne remet pas Canal+ dans la boucle. Cela reste le partenaire historique du football français, un groupe avec des assises financières solides qui ne pense pas à la rentabilité à un an mais a des intérêts à long terme.

« Les coûts ont explosé après M6, ce n’est pas M6 qui les a créés »

Quel regard portez-vous sur la chute des Girondins ?

Dommage. C’est déprimant de voir où le club, au sens large, en est arrivé. Car il n’y a pas que l’équipe première. J’appartiens à une génération où tous les gamins de la région rêvaient de jouer là-bas. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus d’équipes de jeunes… Il y a des clubs qui ont vite rebondi comme Strasbourg, Bastia, mais il y a aussi Tours, Le Mans qui sont en difficulté… Il ne faut pas minimiser la difficulté du championnat de N2, d’autant que ce sera un 16e de finale pour les adversaires tous les dimanches. Et pour relancer le centre de formation, il faut remonter en L2 et y rester, donc attendre trois ans minimum.

Durant la période de transition entre M6 et GACP/King Street, vous avez pris vos distances avec la direction de GACP. Regrettez-vous de ne pas avoir tiré la sonnette d’alarme publiquement ?

Non, parce que c’est M6 qui m’a mis là et il y a une question de loyauté. Ce n’est pas absurde que M6 ait voulu vendre après 19 ans. Le vendeur est libre de vendre à qui il veut. M6 a laissé le club sans dette, avec un patrimoine joueur de 100 millions d’euros, 6e et qualifié pour la Coupe d’Europe. L’acheteur (pour 100 millions d’euros, NDLR) leur a permis de limiter les dépenses cumulées pendant 19 ans. La gestion qui a suivi n’est pas de leur ressort. J’ai eu des réserves assez tôt mais d’autres éléments ont pu donner l’impression que ça allait marcher : les Américains avaient mis une grosse somme pour acheter le club, ils avaient déployé de l’énergie. Les Ultras s’y étaient opposés, mais je me souviens aussi que certains disaient : « ça ne peut pas être pire que M6 ».

Comment réagissez-vous lorsqu’on vous fait remarquer que le déficit structurel a été créé sous M6 ?

Qu’entendez-vous par déficit structurel ? A quelques exceptions près, tous les clubs sont déficitaires avant les transferts. Pour viser les places européennes, sauf exploit, il faut construire un budget avec une surtaxe salariale par rapport aux recettes. Ensuite, on équilibre avec les résultats et les transferts. Les années où ce n’était pas le cas, M6 couvrait l’écart et il n’y avait pas de problèmes de DNCG. Il est possible d’avoir un budget équilibré hors transferts, mais on est entre la 10e et la 17e place. Les supporters bordelais voulaient-ils ça ? Les coûts ont explosé après M6, ce n’est pas M6 qui les a créés. Le déficit lié au nombre de salariés est une fable. On parle de 250 salariés. Mais à l’intérieur, il y a 90 joueurs et 60 encadrants, formation comprise. Les 120 personnels administratifs, dont une chaîne de télé et une agence de voyages, pesaient 5 millions d’euros. Que tout n’était pas parfaitement géré, peut-être, mais dire que le déficit vient de là… Les suivants ne l’ont pas réduit, au contraire.

Vous avez travaillé sur des projets de reprise au printemps 2021. Y avait-il d’autres candidats en dehors de Gérard Lopez ?

Il y en a eu, mais le jour où la décision a été prise par le syndic, c’était, à ma connaissance, le seul à avoir fait une proposition formelle. Trois ans plus tard, vu où nous en sommes, on peut dire qu’on aurait dû se mettre en redressement judiciaire. Mais cela aurait été criminel à mes yeux, alors que le club était encore en L1. La grosse dépense, c’était les contrats des joueurs, et se mettre en redressement judiciaire aurait envoyé le club en L2 sans régler ce problème.

Le club était-il « sauvable » ?

Oui, si la saison suivante les astres s’étaient alignés surtout sur le plan sportif, si le club avait produit un Tchouaméni ou un Koundé et/ou terminé en Europe. Ça ne s’est pas passé comme ça (relégation en L2) et ça n’a pas été très bien géré. Après, même remonter en 2023, ça aurait été compliqué. En 2021, le club était en mauvaise posture mais il fallait prendre le risque.

« Cela peut être passionnant, avec un actionnaire qui a vraiment les moyens financiers »

Voyez-vous une issue ou une liquidation irrémédiable ?

J’espère que les six mois de reprise permettront de clarifier la situation, de réduire significativement les dettes extra-sportives (si les dettes sportives ne sont pas honorées, le club peut être exclu des championnats nationaux par la FFF, NDLR) : la question des loyers des stades, les prud’hommes. Si les dettes sont bien restructurées et que sportivement ça tient, il y a un espoir de reconstruction pour un repreneur, même si ce sera difficile.

Seriez-vous tenté de rejoindre un projet de reprise ?

Bien sûr, cela peut être excitant, mais avec un actionnaire qui a vraiment les moyens financiers et le savoir-faire pour mener un projet. Je suis sûr qu’il y en aura. Si ça se passe bien, si le club joue la montée, il jouera à guichets fermés. Il y a beaucoup de frustration mais aussi d’amour autour et ça peut repartir. Or, aujourd’hui, Gérard Lopez n’a pas montré son envie de vendre. Restructurer les dettes, il sait le faire. Peut-être qu’il veut être celui qui reconstruit. Les trois ou quatre prochains mois seront la clé.

Jeoffro René

I photograph general events and conferences and publish and report on these events at the European level.

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