Ces parents n’ont pas enseigné l’arabe à leurs enfants et le regrettent
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Si l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France – on compte 4 millions d’arabophones – c’est aussi la communauté qui transmet le moins sa langue d’origine.
HÉRITAGE – Dans « Langage grossier », le journaliste Nabil Wakim parle d’une perte. Celle de sa langue maternelle, l’arabe. Arrivé à l’âge de 4 ans en France avec sa famille qui fuyait la guerre civile au Liban, il porte en lui un « honte » qui ne le quitte plus depuis, ne pouvant parler arabe. De cette intimité familiale, qu’il explore dans un documentaire, diffusé le 11 septembre à 22h50 sur France 2il en tire un « histoire collective « .
Comme il l’a déjà mentionné dans son livre L’arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue (Seuil, 2020), le journaliste de Monde revient, aux côtés du réalisateur Jaouhar Nadi, sur un paradoxe bien français : si l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France – on compte entre 3 et 4 millions d’arabophones –, c’est aussi celle qui se transmet le moins aux nouvelles générations.
Longtemps perçue comme la langue de les pauvres, les immigrants, les nouveaux arrivants « , et en signe de » non-intégration « , Elle est aussi associée, depuis les attentats du 11 septembre, à une suspicion d’intégrisme islamiste, voire de terrorisme. De nombreux parents arabophones en France, consciemment ou non, ne l’ont pas transmise à leurs enfants.
» Je le regrette aujourd’hui « , confie à la HuffPost Mohamed*, un fonctionnaire de 60 ans arrivé d’Algérie à l’âge de 18 ans. Ses trois filles adolescentes ne parlent plus que quelques mots de » darija » (les différents dialectes arabes). Marié à une française non arabophone, la question de la transmission de sa langue maternelle « ne s’est pas levé » à ce moment-là de sa vie.
« Une forme d’autocensure »
» Dans les années 80, c’était assez compliqué d’être algérien en France. J’étais l’immigré. Donc forcément, tu montres tes papiers, inconsciemment. Et pourtant, tu ne peux pas cacher le fait que tu es arabe, parce que tu es typé », a-t-il expliqué. souligne-t-il. Il invoque un « forme d’autocensure « , dont il a récemment pris conscience, lorsque ses filles lui ont reproché de ne pas leur avoir légué une partie de leur identité familiale.
Née en France de parents algériens, Selma* a grandi en parlant arabe à la maison avec ses parents. Ils ont fait le choix, dès ma naissance, de me parler uniquement en arabe.confie le quadragénaire à HuffPost. Cependant, lorsqu’il s’agissait de devenir mère, après » un mariage avec un Normand « , elle n’a pas reproduit ce schéma.
« Mon mari était plutôt favorable à cette idée, mais je trouvais ces échanges dans une langue que leur père ne comprenait pas un peu étranges.Elle explique, en faisant également valoir que l’arabe n’a pas une réputation particulièrement bonne. Parler arabe aujourd’hui n’est pas très valorisé.elle regrette. Parler anglais est utile, parler allemand est exigeant, parler chinois ouvre des portes… Mais qu’en est-il de l’arabe dialectal ?
« Poésie, proverbes, une autre façon de penser »
Un complexe que l’on retrouve chez de nombreux Maghrébins, qui estiment que le « darija « , le dialecte, n’est pas une langue » noble » par rapport à l’arabe classique. « J’aurais pu leur apprendre à parler, mais pas à lire et à écrire, Mohamed se développe. Et trouver des lieux pour apprendre l’arabe littéraire est extrêmement difficile, si on ne veut pas d’une structure privée qui est très souvent rattachée à un lieu de culte.
En fait, la langue arabe n’est pas homogène et il existe de nombreux dialectes. Seul l’arabe dit « littéraire ou littéral « , celle des médias, de l’édition, du Coran ou encore des situations officielles, est comprise partout. Le documentaire de Nabil Wakim met aussi en lumière un paradoxe : malgré le grand nombre d’arabophones en France, la langue arabe est considérée comme une » langue rare » par l’Éducation nationale. Et elle n’est enseignée que dans 3% des collèges et lycées, moins que le russe et le chinois.
Un choix que Mohamed considère comme « politique « Et pour cause : chaque débat public sur l’apprentissage de l’arabe à l’école tourne à la bagarre, comme l’a vécu l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem interrogée par Nabil Wakim. En 2016, elle était à la tête de l’Éducation nationale et avait proposé de développer un système appelé à l’époque « Enseigner la langue et la culture d’origine »Ou « ELCO ».
Elle espère que ce programme, qui s’adresse aux enfants de travailleurs immigrés et leur permet de bénéficier d’heures hebdomadaires de cours de langues étrangères en dehors des horaires scolaires, débutera dès le CP et non plus dès le CE1. Outre l’arabe, cela concerne aussi le portugais, le turc, l’italien, le serbo-croate et l’espagnol.
Le tollé est immédiat. Najat Vallaud-Belkacem est accusée par ses adversaires politiques de vouloir « imposer l’arabe à tous les élèves à partir du CP « et d’ouvrir la porte au communautarisme. Emmanuel Macron mettra un terme définitif au programme en 2020. » Cette langue continue d’être vue comme le cheval de Troie de ce « grand remplacement », de cette invasion fantasmée, de cet islamisme qui fait peurelle résume dans le documentaire. C’est oublier qu’il y a des gens qui parlent arabe, qui l’écrivent, qui le lisent, qui sont athées, qui sont chrétiens… C’est une incompréhension incroyable de la réalité des arabophones. »
« Un héritage familial non transmissible »
Dans » Langage grossier « , citoyens ordinaires et personnalités regrettent que la barrière de la langue ait fermé toute possibilité de communiquer avec une partie de leur famille, qui ne parlait pas français. C’est aussi ce que reprochent les filles de Mohamed à leur père.
» C’est la tragédie de l’autocensure.il admet. Ma mère ne parle pas français. Il n’y avait donc aucune conversation possible entre elles. » La barrière de la langue a coupé ces enfants d’une partie de leur héritage, de leur culture, de leur identité. Avec une langue, on transmet toute une poésie, des proverbes, une autre façon de penser.dit aujourd’hui Selma, dont les enfants ont 9 et 14 ans. Il s’agit d’un héritage familial qui n’aura pas été préservé et transmis. »
La plus jeune fille de Mohamed, à 18 ans, a décidé cet automne de choisir l’option » arabe classique » dans son double cursus universitaire en droit et en histoire. Un choix qui a ravi son père. » « Une langue peut être apprise, même à l’âge adulte » il espère, même s’il avoue que c’est plus compliqué que durant l’enfance. Il veut quand même envoyer un message aux » jeunes parents arabophones » : « Ne faites pas cette erreur, faites l’effort d’enseigner l’arabe à vos enfantsil conseille. Car même si elle a une mauvaise réputation, c’est une langue qui ne disparaît pas, ce n’est pas une langue morte. »
* Les prénoms originaux ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.
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