ces militants veulent « imposer un freinage d’urgence »
Lerm-et-Musset (Gironde), reportage
Vers le chapiteau dressé dans cette prairie bordée de forêts du sud Gironde, la foule, vêtue de noir, converge. Quarante-huit heures plus tôt, le lieu du rendez-vous avait été révélé sur un fil Telegram par les organisateurs de l’événement, le collectif local LGV Non merci et Les Soulèvements de la Terre : un « propriété privée » de Lerm-et-Musset, petit village de 500 habitants, à deux pas du Lot-et-Garonne, accueillerait la mobilisation « freinage d’urgence »du 11 au 13 octobre.
L’emplacement est symbolique : à 3 kilomètres de là, au milieu de la forêt de feuillus et de conifères des landes gasconnes, devrait être construit le triangle ferroviaire de la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Bordeaux à Dax et Toulouse. Sur les 2,5 hectares prêtés par Philippe Barbedienne, vice-président de Sepanso, association de défense de l’environnement en Nouvelle-Aquitaine, entre 1 000 et 1 500 personnes venues de toute la France ont répondu à l’appel de « Super match contre LGV ».
Leur première nuit ne fut pas des plus reposantes. Vers 3 heures du matin, les militants ont été réveillés par un hélicoptère de la gendarmerie survolant les lieux, des sirènes retentissantes et un flash stroboscopique dirigé vers les tentes. Des feux d’artifice ont ensuite visé l’hélicoptère.
Trente ans de lutte
Regroupés sous le chapiteau du camp de base, à l’abri d’une bruine saisonnière, les militants sont prêts à découvrir le programme d’action de la journée, annoncé « de fête » Et « espiègle ». « Bien que le projet ne soit pas encore financé, les destructions ont commencéaffirment Léonie et Sylvie du collectif LGV Non merci, en référence aux tout premiers travaux autour de Bordeaux et de Toulouse. Il faut unir nos forces pour imposer un freinage d’urgence, voire un arrêt d’urgence. »
Après trente ans de lutte contre ce grand projet ferroviaire du sud-ouest (GPSO), les différents anti-LGV Bordeaux-Toulouse-Dax a décidé, un an plus tôt, de contacter Les Soulèvements de la Terre pour organiser une mobilisation. « Nous voulons avoir plus de visibilité médiatique, passer à une plus grande échelle »explique Léonie, également membre de l’association Desrailha (« ça déraille »en gascon). La pression s’est accrue ces derniers mois sur les opposants, alors que le budget pour la construction de la ligne est en cours de négociation au niveau européen et que l’Union européenne doit contribuer à hauteur de 20 %. La table ronde serait alors close.
« Là LGVce n’est pas fait ! » scandent les deux militants devant la foule qui a lu le programme des mini-jeux proposés pour l’après-midi. Une heure plus tard, un cortège d’environ 700 personnes s’est élancé pour une balade de plus d’une heure dans la forêt, emportant avec eux des poutres en bois, des planches, de quoi jouer un Giga Kapla, comme annoncé. le dépliant distribué dans le mémoire.
Le camp de base retrouve son calme. Sous les bannières des associations locales du collectif LGV Non merci, la colère est tenace. Laurence, de l’association LGV Nina (Ni ici ni ailleurs), dénonce « cette absurdité alors qu’on a déjà des répliques ». Les opposants souhaiteraient celui qui relie déjà Bordeaux à Toulouse, où TERInterurbain et TGV au ralenti, convient. Les manœuvres et le développement des passages à niveau rendraient la circulation des TGV à pleine vitesse possible, selon un rapport de 2012. Le coût de cette adaptation serait de 5 milliards d’euros, contre 14 milliards d’euros pour la nouvelle ligne, sans tenir compte de l’inflation des quatre dernières années. Les opposants estiment que le coût réel de ce projet serait de 18 milliards d’euros.
Pour financer le projet, l’État contribuera à hauteur de 40 %, jusqu’à 25 communautés traversées par le LGV. Selon le collectif LGV Non merci, le risque de dépassement du budget est réel et expose les collectivités à un « risque financier »inscrit dans le plan de financement du GPSO. Deux recours ont ainsi été déposés, l’un par des associations, l’autre par un collectif d’élus, devant le tribunal administratif de Toulouse en 2022 pour obtenir son annulation.
Les habitants des communes situées à moins d’une heure d’une des gares de la ligne doivent désormais s’acquitter d’une taxe créée spécifiquement pour financer la ligne : la taxe d’équipement spécial (EST). « C’est une taxe injuste, payée par des gens qui regardent le TGV sans les prendreestime Simon, Lot-et-Garonnais de Stop LGV 47, qui rappelle que seulement 5 % des voyages en train en France sont effectués en TGV. Sur le site Internet du collectif, nous appelons à la désobéissance fiscale. »
Un contexte d’austérité budgétaire
« Nous avons besoin de trains quotidiens »» raconte Antoine, membre de Desrailha. L’association qui regroupe les habitants de La Réole, commune girondine située à quarante minutes en voiture de la ligne et qui est desservie par une voie ferrée TERparvient à se mobiliser contre le LGV. « Les lignes sont mal entretenues, les gares sont inaccessibles aux personnes à mobilité réduiteinsiste-t-il. Avec 18 milliards d’euros, que pourrions-nous faire pour nos territoires ? »
Face à l’annonce d’une politique d’austérité par le gouvernement Barnier, Laurence, LGV Nina, pense qu’avec « financement par l’État d’un tel projet avec la dette actuelle, on peut se demander si c’est judicieux ». Cependant, rapporte le quotidien Sud-OuestCarlo Secchi, coordinateur du réseau transeuropéen de transport, précisait quelques jours avant la mobilisation que « les investissements nationaux en faveur des grandes infrastructures ne sont plus comptabilisés dans le déficit budgétaire (limité à) 3 % établi par le Traité de Maastricht ».
La dernière inconnue financière reste la participation de l’Union européenne à hauteur de 20 % du budget. « Pour cela, il faut que le LGV arrive en Espagne »commente Laurence. L’anti-mobilisationLGV au Pays Basque a été telle qu’une ligne à grande vitesse dans cette partie de la France n’est plus à l’ordre du jour.
Une fausse condition, balaie Christian Broucaret, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) de Nouvelle-Aquitaine, joint par téléphone. « Au-delà de Dax, les trains basculeront sur la ligne classique »explique-t-il, et pourra ainsi rejoindre l’Espagne, même sans LGV. La construction de cette dernière serait pourtant nécessaire, toujours selon Christian Broucaret, afin de « désaturer le trafic ferroviaire en prévision du trafic futur RER Basque-Landes ».
Pendant ce temps, une mobilisation d’une centaine de militants s’est lancée dans le centre de Bordeaux, faisant irruption dans la gare Saint-Jean. Trois militants ont alors été arrêtés. D’autres groupes ont quitté le camp de base pour opposer desLGV ou encore pour taguer les gares de la ligne Bordeaux-Toulouse actuelle. Le cortège Giga Kapla commence à construire un belvédère, à l’endroit où sera construit l’un des aqueducs qui enjamberont la vallée du Ciron, classé Natura 2000.
Le chantier s’est déroulé presque sans problème. Une voiture de gendarmerie s’est ensablée alors qu’elle surveillait l’action des militants. Face aux menaces d’une vingtaine de militants, les deux gendarmes ont pris la fuite, laissant sur place leurs équipements de protection dans la voiture découverte. En fin d’après-midi, le belvédère est enfin debout. « Elle dit à ceux qui veulent construire le LGV : « Nous vous surveillons ! » » explique un participant.
En chants et au fil des sentiers forestiers, le cortège regagne le camp de base avant d’entamer une soirée de concerts et de célébrations. Le lendemain soir, alors que 200 militants s’affairaient à démanteler le camp, une perquisition a été effectuée par la gendarmerie sans interpeller personne ni rien saisir.