Ces immatriculations de voitures électriques cachent une autre réalité
Les statistiques d’immatriculations permettent de prendre le pouls du marché des véhicules électriques. Il faut cependant se méfier des apparences : toutes les immatriculations ne correspondent pas à un client satisfait.
Dans le jargon automobile, on les appelle inscriptions tactiquesCertains groupes automobiles y sont particulièrement friands, notamment lorsqu’il s’agit de dépasser un concurrent. Alors que les marques sont parfois au coude à coude, quelques jours avant la fin du mois (ou du trimestre), certains véhicules neufs sont immatriculés de cette manière pour gonfler les chiffres, même s’ils n’ont pas encore été vendus.
Le client final bénéficie de cette manipulation des chiffres, car elle lui permet d’accéder à des véhicules d’occasion avec 0 km, et donc d’avoir un meilleur prix. Il est toujours assez surprenant de se plonger dans les statistiques détaillées pour voir quels constructeurs immatriculent un peu trop de voitures électriques dans leurs points de vente. Numerama a eu accès aux données statistiques réservées aux constructeurs sur les immatriculations du premier semestre 2024.
Aiways, Vinfast et Mercedes sont sur le podium
La marque chinoise Aiways a failli disparaître en raison de sa situation financière en Chine. Il faut dire que la marque ne connaît pas non plus le succès escompté en Europe. Pourtant, selon les statistiques d’immatriculation du premier semestre 2024, plus de 106 Aiways U5 ont été immatriculées en France. Ce chiffre peut paraître surprenant à première vue, car il est plutôt bon pour un tel modèle. Si l’on gratte un peu la surface, le résultat est tout autre : seuls 3 Aiways U5 ont été immatriculés pour des particuliers, les 103 autres l’ont été par des revendeurs, soit 97 % des immatriculations.
Fin 2023, la situation est sensiblement différente : ces immatriculations chez les concessionnaires représentent un peu moins de 50 % des 103 immatriculations de l’année. Il s’agit sans doute de masquer une partie de l’échec commercial de la marque. L’autre explication pourrait être imputable à la nouvelle surtaxe pour les véhicules chinois, l’importateur ayant peut-être voulu constituer un stock avant son application.
Le cas du constructeur vietnamien Vinfast est également intéressant. Après un lancement commercial repoussé à plusieurs reprises, la jeune marque a enfin livré ses 7 premiers clients, dont 2 en juin. La marque a toutefois immatriculé 56 véhicules depuis le début de l’année. Le reste recouvre les véhicules de démonstration des 4 points de vente en France et certainement quelques véhicules collaborateurs. Il faudra encore patienter un peu avant de se réjouir d’un démarrage pas si mal pour cette nouvelle marque.
Chez Mercedes, un modèle en particulier est systématiquement immatriculé par les concessionnaires : la Mercedes EQT, qui ne se vend apparemment pas. Sur 21 immatriculations en 2024, 85 % sont des immatriculations en garage, soit 18 modèles. C’était même un peu plus fin 2023, avec 45 modèles immatriculés par les concessionnaires sur un total de 51 immatriculations.
Après tout, une marque comme Xpeng vient d’immatriculer les toutes premières G9 sur le marché français. La part de ses immatriculations en garage est donc de 100%, avoir des véhicules de démonstration – rien d’anormal. Il faudra surveiller la marque au cours des prochains mois pour voir si les modèles trouvent des clients en France, en battant Vinfast par exemple.
Toyota et Lexus : l’effet JO de Paris 2024
Deux chiffres ressortent rapidement dans ces statistiques du premier semestre 2024. Toyota et Lexus semblent avoir soudainement le vent en poupe. Cependant, encore une fois, il ne faudra pas trop se fier aux 877 Toyota bZ4X et 37 Lexus RZ450e immatriculés sur les 6 premiers mois de l’année. Nombre de ces véhicules ont été immatriculés pour les besoins des Jeux Olympiques 2024, dont le groupe Toyota est partenaire.
Ainsi, sur les 37 modèles Lexus RZ immatriculés, 26 appartiennent au constructeur. Il n’y a eu que 9 clients pour ce modèle sur la période. C’est toujours plus que les 2 immatriculations de Lexus UX300e enregistrées pour les clients.
Du côté de Toyota, 366 bZ4X sont inscrites aux JO, sur les 877 immatriculations de l’année en cours. Fin 2023, ces modèles électriques du groupe étaient très bien représentés parmi les véhicules déjà immatriculés par les points de vente du groupe.
Stocks pour véhicules impopulaires et haut de gamme
Les périodes de lancement ou de lifting des modèles peuvent déformer les apparences. On peut s’attendre à ce que les modèles soient surreprésentés parmi les véhicules immatriculés par les concessionnaires. C’est le cas par exemple de la Citroën ë-C3, dont aucun client ne peut prendre livraison pour le moment. Pourtant, 367 immatriculations sont clairement visibles dans les statistiques en ce moment. En dehors de ces cas, le volume de véhicules « concessionnaires » est significatif dans deux catégories : les modèles qui peinent à séduire les clients et les modèles les plus haut de gamme.
Fin 2023, les véhicules de plus de 100 000 € immatriculés par les garages représentaient entre un quart et la moitié des immatriculations de ces modèles : Audi Q8, Audi e-tron GT, BMW iX, Mercedes EQE, Mercedes EQS, Porsche Taycan, Jaguar i-Pace (81% fin 2023, tout de même)… C’est un peu moins à la mi-2024, pour les modèles Audi et Mercedes.
Les modèles qui n’ont jamais réussi à décoller en France, ou qui sont en perte de vitesse, sont également très bien représentés chez les détaillants :
A titre de comparaison, Tesla est à 2,5% d’immatriculations par les concessionnaires sur l’ensemble de ses immatriculations. La Renault Mégane e-tech et la Ford Mustang Mach-e sont à 3%, sachant que la seconde n’est pas un modèle qui a le succès escompté par la marque. Les stratégies sont très différentes selon les marques.
Les fabricants chinois ont des stocks
Il existe également une troisième catégorie de constructeurs qui stockent des voitures électriques dans les points de vente : les constructeurs chinois. Inévitablement, la fin du bonus et la surtaxe douanière ont poussé les constructeurs à augmenter le stock de véhicules immatriculés avant les sanctions. Cela se reflète dans les statistiques.
De plus, les constructeurs chinois expédient massivement des véhicules depuis la Chine, alors même qu’ils n’ont pas trouvé preneur. Ces modèles finissent parfois par squatter les ports, transformés en stock contre leur gré, ou repartir chez quelques concessionnaires. Un exercice pas toujours simple pour ces marques, souvent dépourvues de véritable structure de distribution.
Les marques MG, BYD, Smart, Seres, Leapmotor dépassent toutes les 20% des immatriculations chez les concessionnaires :
- Aiways : 97 %
- Moteur de saut : 31 %
- Intelligent : 29 %
- Sérés : 26 %
- MG : entre 11 et 33% selon les modèles
- BYD : 23 %
Il faut toutefois noter que toutes ces immatriculations ont toujours pour but de trouver un heureux propriétaire, y compris un modèle d’occasion. Normalement, les modèles concernés ne finissent pas dans un cimetière de véhicules électriques abandonnés. Il y a juste moins de visibilité sur ce que deviennent ces voitures électriques immatriculées.
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